De nombreux moines en robe safran ont été vus parmi les manifestants qui demandent depuis quelques semaines la libération d’Aung San Suu Kyi et le départ des militaires du pouvoir. Mais la situation n’est pas comparable à 2007, où les moines constituaient la cheville ouvrière de la contestation. «Le contexte est très différent», souligne au quotidien Libération le professeur Ashley South, de l’Université de Chiang Mai, en Thaïlande. Le spécialiste de la Birmanie rappelle qu’en 2007, «les moines avaient initié le mouvement parce que personne d’autre qu’eux ne pouvait le faire». Ils avaient un intérêt particulier dans cette révolte, du moment que les militaires menaçaient les ressources des gens ordinaires, ceux précisément qui nourrissent les moines. Le clergé bouddhiste vit en effet essentiellement des offrandes de nourriture de la population des villes et des villages.
Le code de vie monastique auxquels sont soumis les moines, le Vinaya, leur interdit théoriquement de prendre part à des manifestations politiques ou même de voter. Le mouvement de 2007 était donc une exception. Dans le contexte actuel, une grande partie des moines sont restés dans les temples.
Si le clergé est traversé des mêmes clivages que la société civile, il est connu que certains moines, y compris des chefs de monastères, soutiennent les militaires. Quelques jours avant le coup d’État, des moines ont manifesté à Rangoun, la principale ville de Birmanie, et à Naypyidaw, la capitale, pour dénoncer des fraudes supposées aux élections de novembre dernier. Ils faisaient ainsi écho au discours officiel de l’armée. Dans les semaines qui ont précédé le coup, l’initiateur du putsch du 1er février, le général Min Aung Hlaing, a multiplié les gestes pour s’attirer les bonnes grâces des bouddhistes.
De plus, certains moines, et notamment ceux qui bénéficiaient le plus de l’association Bouddhisme-État-Armée, ont pu se sentir menacés sous le gouvernement d’Aung San Suu Kyi, explique Khin Mar Kyi, chercheuse à l’Université d’Oxford et ancienne militante du mouvement anti-junte de 1988. «Jusqu’à une période récente, être Birman équivalait strictement à être bouddhiste», ajoute-t-elle. Mais la visibilité grandissante accordée aux minorités, la libéralisation des mœurs et une jeunesse moins tournée vers les questions religieuses, ont fait penser à certains moines qu’un gouvernement mené par la National League for Democracy (NLD), le parti d’Aung San Suu Kyi, était incapable de protéger l’identité birmane et sa spécificité bouddhiste. Des projets de réformes visant à diminuer le budget du ministère des Affaires religieuses, notamment le financement des universités monastiques, ont achevé de les convaincre.
Le relatif effacement des moines bouddhistes a laissé place à l’implication d’autres communautés religieuses, au premier rang desquelles les religieuses et prêtres chrétiens. Les images de sœur Ann Rose Nu Tawng, cette religieuse Kachin agenouillée devant la police birmane, le 9 mars, offrant sa vie en échange de celle des manifestants, ont fait le tour du monde.
Pourtant, les militaires ont également tenté de mettre les chrétiens de leur côté. Très rapidement après le coup d’État, Min Aung Hlaing a rendu visite au cardinal Charles Maung Bo, archevêque catholique de Rangoun, en offrant du matériel médical. Cela n’a cependant pas empêché le cardinal d’appeler, par la suite, à la libération des prisonniers politiques et de dénoncer la brutalité de la dictature. Dès les premiers jours suivant le coup d’État, Mgr Marco Tin Win, évêque de Mandalay, la deuxième plus grande ville de Birmanie, est sorti dans les rues, pour soutenir les manifestants.
Le 9 février, la Conférence épiscopale birmane (CBCM) et le Conseil des Églises du Myanmar, qui regroupe des Eglises protestantes, publiaient également un communiqué commun appelant l’armée birmane à agir pacifiquement et à libérer immédiatement Aung San Suu Kyi et les autres dirigeants civils. Le texte invitait également les chrétiens à prier et à jeûner pour la paix, la justice et le développement dans le pays.
«L’importance des religieux chrétiens dans les manifestations est à l’image des évolutions de la société du Myanmar, avec une revendication de visibilité des minorités», estime Khin Mar Kyi. Même les communautés musulmanes, régulièrement pointées du doigt ces dernières années dans la presse et l’opinion birmane, sont très actives dans le mouvement anti-junte. Des cérémonies funéraires, dirigées par des imams à Rangoun, de jeunes Musulmans tombés sous les balles de la police, ont donné à voir des images inhabituelles de bouddhistes et musulmans enlacés. Le mouvement anti-junte donne ainsi à voir une diversité religieuse jusque-là peu représentée en Birmanie.
La religion bouddhiste est prédominante en Birmanie, représentant près de 90% de la population. Le 10% de la population restante représente les minorités musulmanes, chrétienne (6,2%) et hindouiste. (cath.ch/liberation/eda/arch/ag/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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