Le député européen Pierre Larrouturou, membre du parti socialiste européen (S&D) devait être reçu en audience le 15 mars par le pape François. Il était venu à Rome avec l’écrivain et réalisateur écologiste Cyril Dion, l’entrepreneuse Eva Sadoun et le fondateur du mouvement «Coexister» Samuel Grzybowski. Contrôlé positif au Covid-19 à la veille de la rencontre, Pierre Larrouturou a cédé sa place à son assistant parlementaire belge qui lui a rapporté le contenu des échanges.
La raison de cette audience, qui aura duré 45 minutes, tient de la conjonction du calendrier politique européen et la volonté d’un homme. En tant que rapporteur général du budget pour le Parlement européen, Pierre Larrouturou demande depuis plusieurs mois la mise en place d’une taxe sur les transactions spéculatives financières en Europe. Il a fait une grève de la faim de deux semaines cet automne pour alerter sur les risques de voir cette mesure, pourtant adoptée par le Parlement européen, être refusée par le Conseil européen.
Comme la présidence portugaise – favorable à la mesure – doit toucher à sa fin dans quatre mois, et que la présidence suivante – la Slovénie – devrait probablement s’opposer au projet de loi, un «contre-la-montre est lancé», explique le député européen. C’est cette urgence qui l’a poussé à venir chercher l’appui du pape, «autorité morale», qui pourrait «donner du courage aux chefs d’État».
Au sortir de l’entretien, l’entrepreneuse Eva Sadoun, de confession juive, explique avoir voulu montrer au pontife l’importance actuelle de «l’institutionnalisation» d’une pensée économique durable. Celle qui souhaite réformer la finance sur des fondations éthiques a été étonnée de voir le pontife «devancer» sa pensée, par exemple quand il leur a déclaré: «La finance, c’est le brouillard». La jeune femme a aussi été touchée par le pont générationnel demandé par l’évêque de Rome entre les jeunes et les anciens, seule façon de trouver la «créativité nécessaire pour faire bouger les choses» selon lui.
Les trois Français ont salué «une vraie liberté de parole» et une «jeunesse d’esprit» chez le pontife. «On est d’accord!», se félicite Cyril Dion, qui a pour sa part présenté au successeur de Pierre les questions démocratiques que posent selon lui des phénomènes tels que les Gilets jaunes ou les assemblées citoyennes dans l’Hexagone. À rebours, le pape a déploré l’émergence d’une «démocratie idéologique», c’est-à-dire le détournement de la démocratie par les idéologies, précise Eva Sadoun.
Le pape a eu un «discours fort contre le populisme», déclare Samuel Grzybowski, soulignant que le pontife l’avait clairement distingué du «popularisme», c’est-à-dire le fait de «vraiment prendre en compte ce que souhaite le peuple» et non pas de «l’enfermer».
François leur a aussi confié avoir été informé par un tiers de la situation politique en France: «Si j’ai bien compris, lors des prochaines élections, c’est Marine Le Pen qui va l’emporter». Et a ajouté, tout en affirmant ne pas vouloir intervenir dans ces questions politiques: «c’est inquiétant».
Le pontife a aussi critiqué le «laïcisme», qu’il distingue de la laïcité, explique encore le fondateur de «Coexister». Considérant que la laïcité avait permis de mettre fin aux théocraties qui sont «mauvaises», le pape François leur a affirmé, citant le livre biblique des Proverbes, que le laïcisme était «comme le chien qui retourne à son vomissement», une formule crue qui les a marqués.
Après avoir eu un compte-rendu de la rencontre, Pierre Larrouturou, co-président du parti Nouvelle Donne, s’est félicité de la teneur des échanges. «Le pape est engagé depuis très longtemps sur les questions de climat, de justice sociale et justice fiscale», souligne-t-il, citant à plusieurs reprises le récent livre du pape Un temps pour changer, publié le 2 décembre dernier.
Comme le pontife, Pierre Larrouturou considère que l’Europe a un rôle de premier plan à jouer sur les questions sociales et environnementales. «Si l’Europe se donne les moyens, y compris financièrement […] les choses pourront bouger. Sinon, ce sera désespérant», assure l’homme politique.
Le député, catholique pratiquant, est un habitué du Vatican: intervenant lors d’un séminaire sur les trois ans de Laudato si’ en 2018, le pape l’avait reçu en 2019 lors d’une audience avec le climatologue Jean Jouzel il y a deux ans. Cette fois, c’est le cardinal luxembourgeois Jean-Claude Hollerich, président de la COMECE (Commission des épiscopats de la communauté européenne) qui a demandé au pape cette audience pour l’homme politique français. S’il n’a pas pu voir le pape cette fois-ci, il a rencontré plusieurs de ses collaborateurs depuis une semaine, notamment des membres du Dicastère pour le service du développement humain intégral. (cath.ch/imedia/cd/rz)
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