Par Hugues Lefèvre/I.Média
Dans la plaine de Ninive recouverte d’un manteau de verdure, le printemps a déjà balayé l’hiver. Accroché à la chaîne de montagnes qui traverse le nord de l’Irak d’est en ouest et contre laquelle viennent buter les immenses étendues fertiles, le village d’Alqosh domine la plaine; fièrement. C’est par un check-point tenu par les forces kurdes qu’on accède à la petite ville peuplée uniquement de chrétiens mais dont les origines remontent au VIIIe siècle avant Jésus Christ, au temps de la fin de l’empire assyrien. On y trouve d’ailleurs la tombe de Nahum, un des douze petits prophètes de la Bible, qui avait annoncé la chute de Ninive et de l’Assyrie.
À quelques kilomètres au-dessus du grand bourg se trouve, comme suspendu aux parois rocheuses, le majestueux monastère de Rabban Hormizd. Fondé vers 640, il est un haut lieu du christianisme en Irak, l’un des sièges de l’Église d’Orient qui envoya des missionnaires jusqu’en Inde et en Chine.
En cette fin de mois de février, la douceur de la saison a poussé quelques locaux à grimper jusqu’au monastère aujourd’hui inoccupé. Aux côtés de nombreux Kurdes venus en tenue traditionnelle contempler la prodigieuse citadelle, on retrouve quelques chrétiens, comme Ghanem et Suha, un couple de retraités. En évoquant la visite imminente du pape François dans la Plaine de Ninive, les yeux du vieil homme se remplissent de larmes.
Difficile pour lui de contenir son émotion tant la joie et la fierté d’accueillir le successeur de Pierre sur sa terre sont grandes. «C’est une première pour l’Irak!», insiste-t-il, avec un sourire démonstratif et contagieux. Avec son épouse, il habitait autrefois Mossoul. Mais au fil des ans, la sécurité des chrétiens dans la ville s’est détériorée et ils ont fui l’ancienne Ninive pour s’installer à Alqosh.
«Pouvoir vivre en sécurité», tel est le refrain qui revient dans la bouche des chrétiens lorsqu’on leur demande quel vœu ils souhaiteraient adresser au pape François. Il faut dire que tous restent traumatisés par leur dernière épreuve dont la date est – elle aussi – dans toutes les bouches: 2014. Il y a sept ans, dans la nuit du 6 au 7 août, quelque 120’000 chrétiens ont dû fuir en hâte pour trouver refuge au Kurdistan irakien. Une à une, sans défense, les localités sont tombées aux mains des islamistes qui allaient les occuper durant plus de deux années.
«Pas Alqosh!», souligne Athra, 31 ans, habitant le village de 5’000 âmes. «Ici, les familles sont parties un mois et les hommes ont gardé les lieux. Quand on a vu que Daech ne viendrait pas, les familles sont revenues» raconte-t-il. Pourquoi la ville n’a finalement pas été la proie des islamistes? Les hypothèses sont nombreuses, selon Athra, mais la situation géographique du lieu y est sans doute pour beaucoup – les hommes de Daech auraient dû user de beaucoup d’énergie pour prendre et tenir ce territoire accroché au flanc de la montagne. Le jeune professeur de soureth, la langue des Assyriens, indique par ailleurs une autre raison: «il n’y a aucun musulman chez nous donc ils n’avaient pas de guide pour les mener».
Comme beaucoup de chrétiens de la Plaine de Ninive, le jeune homme considère que la confiance a été rompue avec les musulmans. « Ils ont coopéré avec Daech. Certes, ils en ont souffert aussi au final car c’est un groupe terroriste. Mais il est difficile de vivre à côté de voisins qui ont trahi la confiance », tranche-t-il.
Alqosh n’aura finalement jamais été inquiétée par les hommes de l’organisation État islamique, mais le traumatisme reste présent. Certains chrétiens ne comprennent toujours pas comment la Plaine de Ninive a pu être abandonnée par les forces kurdes et irakiennes en 2014. Alors, souhaitant prendre les devants au cas où une nouvelle hydre islamiste viendrait à surgir, certains plaident pour la constitution d’une province pour les chrétiens et Yezidis dans le nord de l’Irak. «Cette province de la Plaine de Ninive nous permettrait d’assurer notre protection avec nos propres forces», affirme Athra, qui milite activement pour sa réalisation. Il l’assure: «si nous parvenions à l’avènement d’une telle province, ce ne seraient pas des dizaines de familles chrétiennes qui reviendraient de l’étranger mais des milliers».
Ce projet politique est cependant vivement critiqué par une large partie de l’épiscopat irakien, à l’instar de sa Béatitude Louis Raphaël Sako, patriarche des Chaldéens. Pour beaucoup, la volonté d’établir un «christianistan» est à la fois une erreur politique et spirituelle. «Nous n’avons pas à avoir de milices chrétiennes», tacle en ce sens un prêtre chaldéen du diocèse d’Alqosh. «Nous ne devons pas nous défendre en tant que chrétiens mais en tant qu’Irakiens», insiste-t-il. Pour autant, tous s’accordent à dire que la faiblesse actuelle de l’État ne permet pas d’entrevoir des horizons meilleurs pour les minorités qui se sentent démunies et à la merci de nouvelles tragédies.
À quelques dizaines de mètres de la maison d’Athra, les cloches de l’église Saint-Georges sonnent l’issue de la messe. Des dizaines de fidèles sortent, l’occasion d’évoquer avec eux leur joie d’accueillir bientôt le pape François. Mais alors qu’on aurait pu s’attendre à un enthousiasme débordant de leur part, on est surpris par une certaine retenue. Sans doute la pointe d’amertume de ne pas voir le pape monter à Alqosh se mêle-t-elle aux doutes plus profonds qui les habitent quant à leur avenir sur cette terre. La visite du pape pourra-t-elle lancer les bases d’un futur meilleur pour eux ? Dans cette région évangélisée par l’apôtre Thomas, certains attendent de voir pour y croire vraiment. (cath.ch/imedia/hl/bh)
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