Les chrétiens d’Irak se retrouvent dans un Etat indépendant dès 1932, alors que le Mandat britannique s’achève. La monarchie hachémite qui règne sur le pays jusqu’en 1958 leur témoigne une franche hostilité. Notamment parce qu’elle les pense de mèche avec l’ancienne puissance coloniale.
Dans le massacre de Simelé, au nord-est de l’Irak, en août 1933, plus de 3’000 villageois assyriens et chaldéens sont exécutés par les forces gouvernementales et des Kurdes. A cette époque, la population arabe sunnite se renforce au bénéfice d’un régime préférentiel bâti aux dépens des autres groupes ethniques et religieux.
En 1968, beaucoup espèrent que l’arrivée au pouvoir du parti Baas de Saddam Hussein va changer la donne pour les chrétiens d’Irak.
S’amorce effectivement une période de relative tranquillité et prospérité pour cette minorité. L’islam est religion d’Etat, mais la liberté religieuse est la règle. Le parcours de Tarek Aziz reflète cette intégration réussie. Le chrétien assyrien de Mossoul devient ministre des Affaires étrangères de l’Irak en 1983, et vice Premier ministre en 1991.
La Guerre du Golfe (1991) ne provoque pas, comme l’espère la coalition internationale, la chute de Saddam Hussein. Ce dernier, pour rassembler le peuple derrière lui, fait de plus en plus appel à une rhétorique islamiste. En comparant notamment les Occidentaux à des «nouveaux croisés», il suscite un processus de stigmatisation des chrétiens du pays.
En 2003, les Américains mettent fin au règne de Saddam. C’est un tournant paradoxalement dramatique dans l’histoire des communautés chrétiennes du pays. «L’ironie de l’histoire veut en effet que ce soit ces groupes qu’on suspectait autrefois d’entente avec les Occidentaux qui aient compté parmi les grands perdants de la chute du régime de Saddam Hussein», souligne Nicolas Hautemanière, spécialiste des interactions entre monde musulman et chrétien.
Au sud du pays, autour de Bassorah, les affrontements entre les chiites et les forces gouvernementales soutenues par les Américains conduisent les chrétiens à quitter la région. Dans les grandes villes du pays, une vague d’attentats sans précédent vise leurs lieux de culte. De 2004 à 2008, 30 attaques sont perpétrées contre les principales Eglises d’Irak.
Celle du 26 janvier 2006 marque particulièrement les esprits: quatre explosions ont lieu simultanément à Bagdad, Bassorah, Mossoul et Kirkouk. Le climat généralisé d’insécurité mène encore davantage les chrétiens d’Irak à un exode qui a commencé il y a plusieurs décennies.
Le terrorisme antichrétien devient chronique dans le pays. De nouveaux attentats surviennent en 2008, puis en 2010. Le 31 octobre 2010, un commando djihadiste tue notamment plus de 50 personnes dans la cathédrale Notre-Dame de-l’Intercession de Bagdad.
En même temps, les chrétiens commencent à être marginalisés politiquement. Le signe le plus clair en est «l’islamisation constitutionnelle» qui marque la transition politique de 2003-2005. Tout en reconnaissant la liberté des minorités religieuses, la Constitution irakienne fait de l’islam la «source principale du droit».
Pour Nicolas Hautemanière, c’est à l’aune de ce double processus de recrudescence des violences interreligieuses et de marginalisation politique des chrétiens qu’il faut comprendre les actes perpétrés par l’Etat islamique (EI) durant l’été 2014. Les djihadistes s’emparent alors des principales terres d’Irak où résident des chrétiens. L’organisation terroriste a été créée et est dirigée par d’anciens résistants à l’occupation américaine, dont certains ex-officiers de Saddam Hussein.
Dans les territoires sous drapeau noir, les chrétiens doivent souvent choisir entre l’exil et la mort. Avant d’être chassé en 2016-2017, Daech vandalise, profane, incendie ou détruit la plupart des lieux de culte chrétiens sous son contrôle.
Depuis, les chrétiens sont partiellement revenus, mais de nombreux ont aussi choisi la voie de l’exil. Il restait, en 2020, 400’000 chrétiens en Irak, alors qu’ils étaient encore 1,5 million en 2003.
La préservation de la présence chrétienne sera sans nul doute un message central du voyage du pape. Il invitera probablement les chrétiens d’Irak à se pencher sur leur histoire, aussi prestigieuse que douloureuse. En se souvenant notamment, comme le souligne l’historien français Gérard-François Dumont, qu’ils sont «redevables d’une sorte de ‘droit du sol'».
Le pontife soulignera aussi certainement la résilience extraordinaire dont les chrétiens d’Irak, d’hier et d’aujourd’hui, ont fait preuve. Il rappellera peut-être finalement que, Thomas, l’évangélisateur supposé de la Mésopotamie, est le patron des croyants qui persévèrent dans la foi, à travers les affres du doute. (cath.ch/arch/rz)
Retrouvez la troisième et dernière partie de cet article sur notre site, le 3 mars!
Raphaël Zbinden
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