Thomas contemple la cité de Ninive, fumante, sous le soleil de plomb de la Mésopotamie. Au devant, s’écoulent les eaux bleues du Tigre.
L’apôtre est parti apporter à ces populations rétives et fières d’Assyrie la lumière du Christ. Il a vaincu le doute qui le taraudait quatre ans auparavant, lorsqu’il refusait que Jésus de Nazareth ait pu vaincre la mort. Fort de sa conviction, il rallie une partie de la population juive de la région à la foi chrétienne et crée quelques églises sur cette terre qui s’appellera un jour l’Irak.
C’est ainsi, dit-on, que le christianisme s’est implanté entre le Tigre et l’Euphrate. Cette tradition veut que deux autres disciples, Thaddée (Addaï pour les Syriaques) et Mari, aient participé à l’évangélisation de la terre du prophète Abraham.
Histoire vraie ou légende, les graines de foi semées étaient apparemment solides, car l’Eglise apostolique dite «de Perse» ne cesse, au fil des siècles, de grandir. Son dynamisme est tel qu’elle commence à inquiéter les puissants. En premier lieu l’empereur de Perse Chapour II (309-379), qui règne sur la Mésopotamie.
Le conquérant n’était pourtant initialement pas hostile aux chrétiens installés dans son empire, menés par Mar Shimun Bar Sabbae, le catholicos de Séleucie-Ctésiphon. Mais les prêtres du zoroastrisme, alors religion officielle de l’Empire, voient d’un mauvais œil la concurrence chrétienne. Et la conversion de l’empereur romain Constantin Ier à cette nouvelle religion, au début du 4e siècle, fait des chrétiens des «agents» de l’étranger.
La guerre entre Rome et l’Empire perse, dès 337, transforme cette méfiance en hostilité. Chapour II fait exécuter le catholicos en 341. Débute alors le «cycle des martyrs» pendant lequel les chrétiens seront massacrés par milliers.
Une première persécution qui en inaugure bien d’autres pour les «enfants de Thomas», dont le martyre sera une sorte de fil rouge.
Le christianisme survit néanmoins dans l’Empire perse, alors que les Eglises locales, dans les premiers siècles, sont toujours rattachées à celle d’Antioche (Antakya, dans l’actuelle Turquie) et à Rome.
Une union qui ne dure toutefois pas. Au 5e siècle, l’Eglise de Perse n’accepte pas les conciles successifs d’Ephèse et de Chalcédoine. Elle se détache d’Antioche et de Rome, devenant l’Eglise assyrienne d’Orient.
Cet épisode est le premier d’une longue liste de séparations et de ralliements à la papauté. Ces mouvements «oscillatoires» formeront la mosaïque actuelle du christianisme en Irak, qui ne compte pas moins de douze Eglises.
Suite aux conciles du 5e siècle, l’Eglise assyrienne d’orient, considérée comme schismatique et hérétique par Rome, se retrouve épuisée par des luttes intestines complexes et passionnelles. Elle subit une suite d’oppressions et de persécutions qui «ne seront que le premier mouvement du douloureux requiem du christianisme en Orient», écrit la journaliste et spécialiste du Moyen-Orient Marine de Tilly.
Divisée et privée du soutien romain, certes, mais loin d’être à genoux, l’Eglise assyrienne d’Orient fait preuve d’un zèle missionnaire impressionnant. Il est connu qu’au Moyen Age, ni Rome, ni Byzance ne peuvent rivaliser avec elle dans ce domaine. Un temps, cette Eglise apostolique s’étend de l’Irak actuel aux rives de la Méditerranée, et jusqu’en Chine.
Un travail d’évangélisation qu’elle réalise en dépit des multiples persécutions auxquelles elle doit faire face.
Au 7e siècle, l’oppression zoroastrienne cède la place au joug de l’islam. Les Arabes, peuple de la Péninsule arabique récemment converti à cette religion, déferlent sur la Mésopotamie et la Syrie.
Nouveaux et puissants maîtres, ils reconnaissent d’abord les juifs et les chrétiens comme «gens du Livre». Mais, irrésistiblement, les langues de ces derniers – le copte, le grec et le syriaque – se dissolvent dans l’arabe. L’Ancien et le Nouveau Testaments sont traduits, et on assiste à la naissance du christianisme de langue arabe.
Pendant les siècles suivants la conquête musulmane, la population de la région reste cependant majoritairement chrétienne. Et les Eglises orientales connaîtront un essor artistique et culturel très important. Dès le 8e siècle, les fresques, icônes et manuscrits enluminés viennent enrichir le patrimoine des chrétiens de Mésopotamie. Dans cette époque médiévale, de beaux monastères comme Mar Benhām, Mar Matta ou Mar Rabban Hormizd, voient également le jour.
Avec les Croisades, entre le 10e et le 13e siècle, les chrétiens d’Orient sont à nouveau suspectés de connivence avec l’ennemi et opprimés.
La démographie change en fait à partir du 13e siècle, où la population et la culture islamiques deviennent dominantes.
Les invasions mamelouk et mongole font que le Moyen-Age est une période finalement très douloureuse pour les chrétiens de langue et de culture syriaques. La fin du 14ème siècle et le début du 15ème sont particulièrement dramatiques pour les fidèles de l’Eglise assyrienne d’Orient dans presque toute l’Asie. Pour le nouveau maître du continent, le conquérant mongol Tamerlan, l’islam est la seule religion acceptée: les chrétiens sont persécutés, les églises et les monastères dévastés. L’infrastructure de l’Eglise assyrienne d’Orient est presque entièrement détruite.
Suite à l’échec des Croisades, l’Occident change de stratégie. Il n’envisage plus de vaincre les Sarrasins ou de les convertir, mais cherche à faire revenir les chrétiens d’Orient dans le giron de Rome. Dès la fin du 12 siècle, plusieurs congrégations religieuses catholiques envoient leurs missionnaires en Orient afin de convertir les Syriaques au catholicisme. Un mouvement qui se poursuivra dans les siècles suivants. Il provoquera effectivement le ralliement à Rome d’Eglises schismatiques d’Orient, qui désireront pour beaucoup garder leurs rites et coutumes ancestraux.
Au 16e siècle, les Turcs ottomans deviennent maîtres de la Mésopotamie. Certes protégés, tout en étant soumis, dans leur statut de ‘dhimmis’, les chrétiens sont libres de pratiquer leur religion. Ils sont cependant considérés comme des citoyens de seconde zone et doivent s’acquitter d’un impôt particulier.
Dans les siècles qui suivent, les chrétiens de l’Empire vivent dans une relative paix et connaissent une croissance démographique importante. En 1900, un habitant sur quatre de la ‘Sublime Porte’ (l’Empire ottoman) est chrétien.
Mais les chrétiens assyriens, syriaques et arméniens sont encore une fois considérés comme une «cinquième colonne» par la politique ottomane, au tournant des 19e et 20e siècles. En octobre 1895, les massacres de masse des Assyriens, des Syriaques et des Arméniens débutent à Diyarbakir, dans le Kurdistan turc actuel, et se répandent dans tout l’Empire.
Entre 1914 et 1920, la population chrétienne du nord de la Mésopotamie est déplacée de force et massacrée par les troupes ottomanes. Le génocide des Assyro-Chaldéens, également connu sous le nom de «Seyfo» (épée, en syriaque), fait plus de 250’000 morts. Le génocide des Arméniens, en 1915-1917, provoque l’arrivée de réfugiés chrétiens de cette confession dans le nord de la Mésopotamie.
En 1920, l’Empire ottoman est démantelé et l’Irak devient un territoire du Mandat britannique. Beaucoup espèrent alors que, sous cette nouvelle entité, le sort des chrétiens va durablement s’améliorer. L’histoire ne leur donnera pas raison. (cath.ch/arch/rz)
Retrouvez la seconde partie de cet article sur notre site, le 2 mars!
Les chrétiens d’Irak à la veille de la visite du pape François
Dans le cadre des conférences de carême de l’Unité pastorale Sainte-Trinité (paroisses de Belfaux, Grolley et Courtion), Jacques Berset, ancien journaliste à cath.ch et spécialiste du Moyen-Orient, va parler de la difficile situation des chrétiens d’Irak – des chrétiens présents en Mésopotamie dès les premiers siècles de notre ère – à la veille de la visite historique du pape François dans ce pays martyrisé. Elle a lieu le mardi 2 mars 2021 à 20h sur Zoom
Marche à suivre : connectez-vous su le site de l’UP Sainte-Trinité dès 19h45 www.upsaintetrinite.ch. Ensuite : cliquez sur le lien https://zoom.us/j/96677101796, puis cliquez sur «lancer la réunion», choisissez ensuite «télécharger maintenant» (installation de l’application) ou «rejoignez depuis votre navigateur» (participation à la conférence sans installation de l’application), puis inscrivez votre prénom ou pseudonyme, cliquez ensuite sur «rejoindre» et attendez un instant que le responsable vous donne l’accès à la conférence. RZ
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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