Dans son édition du 28 février 2021, Le Matin Dimanche fait état du mouvement d’humeur de politiciens romands face à la campagne menée par les œuvres d’entraide Action de carême (catholique) et Pain pour le prochain (protestant) pendant ces 40 jours avant Pâques. Le quotidien dominical cite le cas de Charles Juillard, vice-président du Centre et conseiller aux États jurassien, qui a découvert le thème de la campagne «La justice climatique, maintenant!» en ouvrant l’enveloppe de carême adressée par sa paroisse. Celle-ci contenait aussi un jeu de l’oie et une pétition qui demande à la Banque Nationale Suisse de sortir des énergies fossiles, une idée sur laquelle la gauche travaille pour un projet d’initiative populaire.
Le politicien a commencé à s’énerver en feuilletant le calendrier de carême. Celui-ci propose des scénarios pour «réorienter la trame de sa vie». En page 7, il est écrit: «Le monde politique doit prendre des décisions radicales dès aujourd’hui afin d’éviter que les conséquences des changements climatiques soient dramatiques». Avec cette proposition aux fidèles pour réaliser ce scénario: «Donnez votre voix à des partis qui s’engagent en faveur du climat!»
Charles Juillard n’en revient pas. «J’ai la conscience tranquille. Si la loi sur le CO2 est passée, c’est grâce aux arbitrages du PDC. Mais le ton est donneur de leçons. Les mêmes personnes qui se sont battues contre les directeurs de conscience d’il y a vingt ans sont devenues des ayatollahs du climat», lance le Jurassien, qui va écrire à sa paroisse de Porrentruy pour lui demander des explications.
Le politicien demande si c’est bien le rôle des Églises de s’engager politiquement pour la planète? Interpelée sur le sujet, la conseillère aux États Adèle Thorens (Verts/VD) répond que «cela aurait probablement été plus adéquat de recommander de voter non pas pour des partis, mais plutôt pour des personnes qui s’engagent en faveur du climat». Quant à la pétition, elle estime qu’il s’agit «plutôt d’un instrument de la société civile. Si une Église lançait une initiative populaire, je serais plus surprise».
Mais sur le fond de la campagne, la politicienne de confession réformée estime légitime que les Églises s’intéressent à la thématique environnementale. «On peut concevoir l’être humain comme un jardinier, qui respecte et prend soin de la Création qui lui a été donnée. En s’intéressant à l’écologie, les Églises s’intéressent aussi à l’avenir de l’humanité, à notre responsabilité par rapport aux générations futures. Elles ont une voix morale importante à faire entendre.» Elle se réjouit ainsi de la transition menée par les Églises dans ce domaine.
Une transition qui n’a pas non plus échappé à son collègue Charles Juillard: «Le pape François a pris position par rapport au climat. Je pense que cela a incité les Églises à s’engager. Mais là, c’est vraiment très engagé. C’est comme sur les multinationales responsables. Ce mélange des genres entre religion et politique ne me convient pas.»
Autre politicien heurté par la campagne de carême des œuvres d’entraide chrétiennes, le conseiller national Jacques Bourgeois (PLR/FR), pour qui l’engagement des Églises, qui l’a déjà étonné durant la campagne sur l’initiative «multinationales responsables», dépasse tout entendement: «L’Église doit rester un lieu de culte et pas de propagande, d’autant plus qu’elle touche des deniers publics. Sinon, il faudra réfléchir à lui couper les vivres. De mon côté, je mange de la viande, et je n’ai pas envie de me faire sermonner pour cela», affirme l’ancien directeur de l’Union suisse des paysans.
Si comparaison avec les multinationales responsables revient sur le tapis, c’est que la votation de novembre, qui avait vu les Églises chrétiennes s’engager en faveur du texte, a laissé des traces. «Si cela fait parler aujourd’hui, c’est sans doute parce qu’il s’agit de notre première campagne après les multinationales responsables, affirme Tiziana Conti, responsable communication d’Action de carême. La société civile, représentée par une coalition de 130 ONG, a montré un pouvoir qui n’existait pas avant. Et évidemment, cela a dérangé certains milieux.»
Pourtant, précise Tiziana Conti: «Cela fait plus de cinquante ans que nous menons des campagnes œcuméniques avec Pain pour le prochain. Celles-ci ont toujours été engagées, avec des demandes politiques. Cela fait partie de notre statut et de notre mandat. En 1989 déjà, nous alertions l’opinion publique par rapport au climat.»
Les Églises devraient-elles se contenter de faire campagne contre la faim dans le monde pour ne pas fâcher les fidèles et laisser de côté les sujets sensibles? «J’ai toujours compris, admis et soutenu le rôle social des Églises, dit Charles Juillard. Mais de là à s’engager sur tous les thèmes, il y a un pas. Je rappelle par ailleurs que la Chancellerie fédérale a qualifié l’engagement des Églises sur l’initiative ‘multinationales responsables’ de discutable.»
La campagne actuelle est la première d’une série de quatre sur le climat. Et les menaces de mettre à jeun les ONG chrétiennes n’y changent rien. «Aucune des actions d’information, de sensibilisation ou de politique de développement de cette campagne n’est financée par des fonds publics provenant de la DDC», souligne Tiziana Conti. (cath.ch/lmd/cp)
Carole Pirker
Portail catholique suisse
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