Du 22 au 24 février, les évêques de France sont réunis en Assemblée plénière extraordinaire sur les abus sexuels dans l’Eglise par visioconférence «afin d’approfondir les questions théologiques et leurs implications pastorales». Selon le quotidien La Croix, cette rencontre, voulue par Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques (CEF), ne donnera pas lieu à des décisions mais devra permettre à l’épiscopat de travailler la question de la responsabilité et de la reconnaissance de faits parfois anciens.
En France, depuis la condamnation de Mgr Pierre Pican (ndlr. évêque de Bayeux et Lisieux de 1988 à 2010) en 2001 pour non-dénonciation d’agression sexuelle sur mineur, la responsabilité épiscopale peut être engagée devant les tribunaux. «La responsabilité du fait d’autrui est l’obligation de réparer le préjudice causé par les personnes dont on doit répondre parce qu’on a la charge d’organiser, de diriger et de contrôler leur activité», dit le droit français.
Mais le travail de l’association La Parole libérée, lancée à Lyon à l’occasion de l’affaire Preynat, a montré qu’il y avait de nombreuses victimes qui ne pouvaient obtenir justice devant les tribunaux, en raison de la prescription ou du décès de leur agresseur. Mais alors, comment les évêques, voire l’Eglise tout entière, doivent-ils envisager leur responsabilité morale dans ces drames?
«La Parole de Dieu décrit la notion de responsabilité de façon bien plus large et exigeante, dans le souci du frère. «Qu’as-tu fait de ton frère?», demande Dieu à Caïn», confie un évêque. Dès l’an 2000, l’Eglise de France s’est engagée dans la lutte contre la pédocriminalité. Pas assez vite, pas assez loin, au vu de l’ampleur du drame. Décidés à éradiquer le mal et secoués par le retentissement de certaines affaires, les évêques ont engagé plusieurs actions. 2018 marque un tournant avec la création, en association avec la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase).
Présidée par Jean-Marc Sauvé, celle-ci devait opérer un vaste recensement des victimes et des abuseurs depuis les années 1950. Au 31 octobre, la Ciase avait enregistré quelque 6 500 témoignages. Elle devrait rendre son rapport à l’automne. «Le rapport de la Ciase contribuera à permettre à tous de mieux comprendre ce qui s’est passé dans l’Eglise au cours des dernières décennies et de poursuivre la mise en œuvre des mesures nécessaires», souligne Mgr Luc Crépy, président de la Cellule permanente de prévention et de lutte contre la pédophilie de la Conférence des évêques de France.
Cependant, les évêques n’ont pas voulu attendre la restitution de la Ciase avant de poursuivre le travail de vérité: quatre groupes ont été lancés concomitamment pour réfléchir à la prévention, l’accompagnement des clercs coupables, le volet financier de la reconnaissance et le travail de mémoire. Des cellules d’écoute ont été créées et plusieurs diocèses ont signé des conventions avec les autorités judiciaires pour favoriser le suivi des dossiers.
Lors de l’Assemblée plénière de novembre 2019, les évêques avaient envisagé de verser «une somme d’argent unique et forfaitaire» difficilement qualifiable – ni indemnisation, ni réparation. Un «dispositif de reconnaissance des causes de la souffrance» qui n’était pas encore abouti. «Ce n’était ni juste, ni ajusté», confie un évêque, conscient d’un nécessaire engagement plus fort de l’Eglise vis-à-vis des victimes.
En vue de l’Assemblée extraordinaire, chaque évêque devait remettre un courrier dans lequel il exprimait comment il se sentait responsable. Une sorte «d’examen de conscience», au regard d’une responsabilité collective qui engage chacun des évêques, mais peut-être aussi prêtres et fidèles, tel que le pape François a pu l’exprimer dans sa Lettre au peuple de Dieu en août 2018.
L’Assemblée sera l’occasion de présenter les points d’accord et de désaccord entre évêques mais en évitant de s’arrêter à des mesures concrètes, qui ne seront élaborées que lors de la prochaine assemblée, en avril. Que faire ? «Ce sujet fait débat parce qu’il porte sur un contexte passé, parce que les victimes pendant longtemps n’ont pas pu parler, parce qu’il mêle le sexe, l’argent, le pouvoir…», remarque encore un autre évêque.
Alors que des observateurs s’interrogent sur d’éventuelles décisions prises avant le rapport de la commission Sauvé, les évêques se défendent de toute précipitation: «Nous n’allons pas attendre, on nous le reprocherait! Nous devons prendre nos responsabilités et nous pourrons toujours adapter nos décisions aux enseignements de la Ciase.» Il y a urgence selon cet évêque : «L’Eglise doit faire la clarté sur sa conduite puis se manifester auprès des victimes pour les soutenir aujourd’hui, faute de l’avoir fait hier.» (cath.ch/lcx/ch/cp)
La responsabilité en question
Jean-Paul II, Tertio millennio adveniente (1994). «Il est juste que, le deuxième millénaire du christianisme arrivant à son terme, l’Église prenne en charge, avec une conscience plus vive, le péché de ses enfants, dans le souvenir de toutes les circonstances dans lesquelles, au cours de son histoire, ils se sont éloignés de l’esprit du Christ et de son Évangile.»
Pape François, Lettre au peuple de Dieu (2018). «Avec honte et repentir, en tant que communauté ecclésiale, nous reconnaissons que nous n’avons pas su être là où nous le devions, que nous n’avons pas agi en temps voulu en reconnaissant l’ampleur et la gravité du dommage qui était infligé à tant de vies. »
Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes (1939). «Être homme, c’est précisément être responsable. C’est connaître la honte en face d’une misère qui semblerait ne pas dépendre de soi.» (CP)
Carole Pirker
Portail catholique suisse
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