Par Silvana Bassetti, Courrier pastoral, ECR Genève, février 2021
Vous avez affirmé que l’Église est parfois prise «dans un carcan trop lourd» et qu’il est urgent de «réduire les structures». Le diocèse est-il à l’aube d’une révolution?
Mgr Morerod: Je ne sais pas si c’est nous qui sommes à l’aube d’une révolution ou s’il faut simplement observer ce qui se passe. Il y a quelques années, un évêque français disait déjà que dans son diocèse, le nombre de prêtres avait été divisé par 5 en 15 ans. Un autre soulignait qu’il ne manquait pas de prêtres, mais de chrétiens; enfin les analyses, en France, nous disent que la moitié des adultes baptisés dans l’année arrêtent d’aller à l’église dans l’année qui suit, car il n’y a plus de communauté. En visite pastorale à Genève, une femme d’une trentaine d’années m’a dit qu’elle ne va jamais à la messe de sa paroisse, où j’étais en visite, et qu’elle se rend plutôt à Saint-Joseph ou à Notre-Dame.
Ce n’est pas nouveau, mais quand va-t-on ouvrir les yeux? Il ne s’agit pas de mépriser les paroisses avec peu de monde ou encore moins les personnes peu nombreuses qui y vont. Mais de prendre acte du fait qu’en plusieurs endroits nous n’avons plus la masse critique de mettre en œuvre les solutions du passé. Le risque est d’épuiser les personnes, sans leur offrir un lieu où elles sont heureuses de se rendre. Il est aussi important de préciser qu’il ne s’agit pas d’une déclaration générale, mais d’une réalité de nombreux endroits. À Genève, il y a des églises pratiquement collées les unes aux autres, surtout en ville. Je crois que nous devons surtout prévoir des lieux où la foi peut être vécue joyeusement et d’une façon qui donne envie d’y revenir.
«Des lieux plus petits et modulables peuvent aider les communautés à être heureuses de se retrouver»
La solution passe-t-elle par une réduction du nombre d’églises ou par une spécialisation des lieux?
Cela dépend. Je pense qu’à certains endroits le fait que nous ayons un trop grand nombre d’églises participe vraiment à la dispersion. Je ne dis pas qu’il faut raser des églises, mais je ne sais pas pour combien de temps nous aurons encore de l’argent pour les entretenir. Le manque d’argent est aussi le signe qu’il n’y a pas une communauté qui en ressent le besoin. Il faut trouver la juste mesure d’une présence chrétienne diffuse, mais sans dispersion, afin de rassembler les fidèles plutôt que de les diviser par un trop grand nombre d’églises avec peu de monde. Il faut une communauté où l’on puisse justement remarquer que l’on n’est pas une espèce en voie de disparition.
À Genève, des églises vont être restructurées pour construire des lieux de culte plus petits, mais modulables.
C’est une option sage, mais je crois que nous ne pouvons pas renoncer à réduire le nombre de lieux de culte. Des lieux plus petits et modulables peuvent aider les communautés à être heureuses de se retrouver. Être à 15 dans un lieu pas très vaste permet de ressentir d’être vraiment ensemble alors que ce n’est pas le cas si 15 personnes sont dans une église qui peut en accueillir 600 ou plus! Avoir des lieux modulables est aussi une bonne option, surtout dans les villages. Il est, par exemple, souvent important pour les personnes de célébrer les funérailles d’un proche dans leur village. Reste à savoir si nous avons les moyens d’entretenir tous ces lieux et de les faire vivre.
«La participation active (et aussi professionnelle) de laïcs à l’apostolat est fondamentale»
En 2013, vous affirmiez déjà que si le manque de prêtres est un souci, la question plus fondamentale est la diminution du nombre de croyants. L’Église a-t-elle les forces d’inverser cette tendance?
Je crois à un lien très étroit entre vie des communautés et vocations issues de ces communautés. Si l’on voit l’Évangile présent dans nos vies et nos communautés, si l’on se réunit dans la joie de la présence du Christ, bien des personnes qui se demandent que faire de leur vie pourront s’associer à cette joie. Le fait que l’on nous connaisse de moins en moins signifie d’une part qu’on vient moins à l’église, d’autre part qu’on peut la redécouvrir. Et cela est assez sensible à Genève. La diversification des propositions est sans doute bienvenue, et peut profiter de petites communautés vivantes.
Par voie de presse, vous avez déclaré qu’à terme, le nombre de prêtres peut être divisé par deux et qu’il ne faut plus favoriser le phénomène de fuite de cerveaux en «important» des prêtres de l’étranger pour célébrer des messes. Pourtant le rôle d’un prêtre n’est-il pas plus vaste?
Certes, il est plus vaste: avant de célébrer les sacrements, il doit annoncer l’Évangile. Toutefois il n’est pas seul à le faire. Si j’insiste sur le lien entre prêtre et communauté, c’est avant tout parce que la célébration de l’eucharistie est au cœur de la vie d’une communauté parce que c’est la présence du Christ (par la célébration à la fois de la liturgie de la Parole et de l’Eucharistie) qui constitue le plus fondamentalement l’Église.
Qu’en est-il des agents pastoraux laïcs et de la pastorale ›catégorielle’?
La vie de l’Église est l’affaire de l’ensemble des baptisés. La participation active (et aussi professionnelle) de laïcs à l’apostolat est fondamentale: sans elle, l’Église serait tronquée. De même que la vie des paroisses et la présence de l’Église dans de relatives «périphéries» sociales (rue, prison, hôpitaux-EMS etc.) s’appellent mutuellement.
«Dans chaque canton ou vicariat, on traite souvent des mêmes questions sans savoir ce qui est discuté ailleurs»
Que pensez-vous du projet de Maison d’Église à Genève et du nouveau Service de la spiritualité?
Je trouve le projet de Maison d’Église très bien et plus facile à repérer que les locaux (dispersés) actuels. L’incendie de l’église du Sacré-Cœur a montré que ce lieu était connu des Genevois et leur tenait à cœur. Pour le nouveau Service, j’avais fait remarquer à Genève que la spiritualité était absente de ce que nous présentions et que là, il y a un besoin et un désir très perceptible, surtout chez des personnes qui découvrent la religion d’une manière générale, car aujourd’hui on ne la connaît plus. Cela vaut vraiment la peine de partir de là. Car c’est pour ça que l’on va à l’église.
Lors de rencontres cantonales de réflexion sur le futur du diocèse vous avez indiqué deux concepts clés: la subsidiarité, pour le respect des réalités locales et personnelles, et la transversalité, pour favoriser une réflexion commune sur les questions communes. Quelles sont les implications déjà envisageables au niveau des structures?
Une consultation est en cours depuis pas mal de temps. Il y a un lien entre les deux. Alors que je venais d’être nommé évêque, j’ai rencontré le conseil pastoral sortant. Déjà alors, les gens me disaient: je veux bien venir à ce conseil, mais au fait je suis dans le conseil pastoral de ma paroisse, de mon Unité pastorale, du canton et du diocèse et l’on dit toujours les mêmes choses. J’ai l’impression que je ferais mieux de vivre ma vie chrétienne. Et cela est vrai dans d’autres domaines. Dans chaque canton ou vicariat, on traite souvent des mêmes questions sans savoir ce qui est discuté ailleurs, alors qu’en mettant les gens ensemble nous pouvons tirer profit des expériences des autres dans le même domaine. L’idée d’un diocèse est aussi cette mise en commun des expériences. C’est le concept de la transversalité.
En même temps, il y a la subsidiarité, qui est liée. On observe que c’est sur place, auprès des personnes que l’on comprend vraiment la situation. Je m’inspire de ce que dit le pape à propos des familles: les grands principes sont toujours valables, mais plus on s’approche de cas très particuliers moins ils s’appliquent. Quand on regarde la personne devant soi, un lieu ou une petite communauté de près, on comprend des choses qui ne se comprennent pas seulement en termes généraux. C’est ça la subsidiarité, qui est locale et personnelle et pas seulement cantonale. Le poids des structures m’inquiète et je vise à ce qu’il y ait une plus grande vitalité, mais à ce stade, il est difficile d’être plus précis sur l’impact au niveau des structures.
Une expérience de transversalité a vu le jour avec la création d’une cellule COVID-19 diocésaine, réunissant notamment des personnes de l’ensemble des Vicariats.
C’est un bon exemple. Les normes cantonales pour la pandémie ont été différentes, mais les questions ont été les mêmes, bien qu’elles soient arrivées de façon décalée. Ainsi quand une question arrivait dans un canton, on y avait déjà réfléchi dans un autre, à certains égards. Cela évite aux autres de faire toute la réflexion à partir de zéro et cela évite de mobiliser un nombre de personnes plus grand. La cellule diocésaine réduit aussi le risque d’erreurs. C’est une forme d’entraide mutuelle pour les questions communes qui tient compte des spécificités locales. (cath.ch/sba/ecr/rz)
Rédaction
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