Par Hugues Lefèvre, I.MEDIA
Le pape François rencontre de nouveau le grand imam d’Al-Azhar Ahmed al-Tayyeb, à l’occasion de la Journée internationale pour la Fraternité. Est-ce encore une rencontre symbolique, ou bien un travail plus profond s’opère-t-il depuis la déclaration commune d’Abou Dabi?
Jean Druel: Je ne suis pas certain qu’un travail de fond s’opère. À mon sens, ce type d’événements reste essentiellement symbolique – ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas de valeur.
Je constate pour autant qu’il y a une vraie difficulté à dépasser les déclarations de principe. Je vous donne un exemple. À l’occasion de cette Journée internationale pour la Fraternité, j’ai pu participer le 3 février à un échange en ligne où une trentaine d’intervenants de divers horizons ont pu prendre la parole durant cinq minutes.
Nous avons eu une multitude de belles paroles. Mais je crois avoir été le seul intervenant à proposer de mettre en place des choses concrètes pour vivre la fraternité. J’ai expliqué que c’était à nos institutions religieuses de montrer la voie, en faisant, par exemple, de la discrimination positive à l’embauche. Ce pourrait être une bonne chose que des institutions chrétiennes embauchent des musulmans et vice versa. Mais on constate qu’on a beaucoup de mal à faire atterrir les grandes déclarations de principe.
Pourquoi?
Parce que nous vivons côte à côte sans réellement nous croiser. Nous vivons dans des sortes de réseaux ghettoïsés. Lorsqu’on est un couvent chrétien en Égypte et que l’on veut embaucher un jardinier ou un portier, on ne sait pas faire autre chose que de s’adresser à un chrétien. Parce qu’on ne saurait pas à qui demander si on voulait embaucher un musulman. Ici, à l’Institut des dominicains du Caire, nous avons des employés musulmans. Mais je peux vous assurer que cela a nécessité au départ une réelle énergie de notre part pour arriver à sortir du cercle chrétien. Finalement, on observe que c’est cette rencontre du quotidien qui permet la fraternité. Et sans volonté active, on ne pourra pas y arriver.
Les choses vont-elles toutefois dans le bon sens sous l’impulsion du pape François?
Ce n’est pas une chose nouvelle que les papes rencontrent al-Azhar. Jean Paul II, par exemple, avait rendu visite au grand imam lorsqu’il était venu au Caire. Ce dialogue institutionnel et ces déclarations existent depuis longtemps. Cependant, il y a quand même une nouveauté avec le pape François: il a mis en place une relation directe entre lui et al-Azhar, un contact qui se passe des médiations traditionnelles – la nonciature, le conseil pontifical pour le dialogue, etc. Ce style voulu par le pape François est plus percutant sans doute, peut-être plus efficace… Mais on ne constate toutefois pas encore d’effet boule de neige. Vous avez deux hommes qui se parlent et s’entendent. Mais Ahmed al-Tayyeb, lorsqu’il dialogue avec le pape François, s’engage en son nom propre; on observe peu d’initiatives de terrain.
Justement, quel poids le grand imam d’al-Azhar a-t-il aujourd’hui dans le monde musulman?
Le monde musulman sunnite est très diversifié. Al-Tayyeb possède une formidable aura dans les milieux azharis, c’est-à-dire auprès des anciens élèves d’al-Azhar. Ils sont des millions en Égypte et dans le monde. Par contre, il est détesté des Frères musulmans. Et chez certains Arabes non-égyptiens, il est presque inconnu. Au Maroc par exemple, al-Azhar ne représente rien.
La situation à l’intérieur du sunnisme est extrêmement complexe, avec des agendas divers et des ententes de façade. Les forces en présence sont les Frères musulmans, les différents courants salafistes, les courants soufis, plus ou moins conservateurs ou intellectuels, les libéraux, etc. Al-Azhar est une institution très enracinée dans un soufisme conservateur.
Comment le pape François évolue-t-il dans ce monde sunnite complexe?
Le pape François ne veut surtout pas s’immiscer dans les querelles internes à l’islam. Ce n’est pas son rôle. Il prêche la fraternité, tend la main à qui veut la saisir, tout en prêchant aussi pour son Église. Il veut montrer qu’un dialogue est possible avec les musulmans et changer le regard de bon nombre de chrétiens sur eux.
Cependant, certains observateurs estiment que, compte-tenu de la situation effervescente à l’intérieur du monde sunnite, le pape est peut-être imprudent de privilégier surtout les relations avec al-Azhar, au détriment d’autres acteurs. (cath.ch/imedia/hl/rz)
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