Le synode sur l'Amazonie continue de se déployer

Un an après l’exhortation apostolique post-synodale Querida Amazonia, Mgr Emmanuel Lafont, évêque émérite de Cayenne fait le point sur les réponses apportées par ce texte aux enjeux écologiques, sociaux et pastoraux de cette région d’Amérique du Sud.

Datée du 2 février 2020, l’exhortation apostolique post-synodale Querida Amazonia devait apporter des éléments de réponse aux enjeux écologiques, sociaux et pastoraux de cette région d’Amérique du Sud. Un an après, Mgr Emmanuel Lafont, évêque émérite de Cayenne, en Guyane, raconte comment les chrétiens d’Amazonie se sont emparés du texte, malgré la crise du Covid-19. Lui qui a participé au synode estime par ailleurs que le pape François puise régulièrement dans Querida Amazonia et le document final des Pères synodaux. Sa récente décision d’ouvrir les ministères institués aux femmes ou bien son évocation d’un prochain rite amazonien en sont deux exemples.

L’exhortation apostolique Querida Amazonia est parue il y a un an. Comment l’Eglise en Amazonie s’en est-elle emparée?

Mgr Emmanuel Lafont: D’une manière générale, Querida Amazonia a été extrêmement bien reçue. Son caractère chaleureux, les rêves qu’elle exprime et qui rejoignent les conclusions du synode, et puis l’ouverture dont fait preuve le Saint-Père ont été très bien accueillis. Il faut pour autant rappeler que l’exhortation a été publiée à la veille de la crise du Covid-19. Cette pandémie a touché le monde entier, et donc aussi l’Amazonie. À Manaus par exemple, au cœur de l’Amazonie brésilienne, la situation est encore extrêmement grave. Dans ce contexte, beaucoup d’initiatives qui devaient faire suite à la publication ont été «plaquées au sol».

Toutefois, trois semaines avant le confinement, nous avons pu l’an passé organiser un synode en Guyane. Pendant trois jours, reprenant l’exhortation et le document final que le pape nous a demandé de travailler, nous avons élaboré 24 propositions. Je sais que, partout en Amazonie, les gens ont travaillé dans l’esprit du synode pour tendre vers cette Église synodale.

Nous avons d’ailleurs pu vivre en octobre dernier la première assemblée plénière de la Conférence ecclésiale de l’Amazonie (CEAMA), née à la suite du synode. Il s’agit d’une assemblée originale puisqu’au-delà des évêques, elle rassemble des religieux et des laïcs.

En décembre, le pape François a encouragé l’émergence d’un rite amazonien. Le synode continue-t-il de se déployer?

Absolument. Le pape a formulé cet encouragement alors qu’il évoquait «le rite zaïrois» en vigueur au Congo depuis trente ans. Un rite amazonien serait une bonne chose mais il faudra certainement beaucoup de temps pour le mettre en place. Le rite zaïrois est un rite national qui a été élaboré par une seule conférence épiscopale. En Amazonie, nous sommes une constellation de neuf pays dans lesquels cinq langues sont pratiquées.

Plus encore, les cultures amérindiennes sont elles-mêmes très variées d’un endroit à l’autre. Par exemple, je me trouve actuellement à l’est de la Guyane et découvre que les rites funéraires pratiqués ici sont très différents de ce que je rencontre à l’ouest du territoire…

Le pape François vient d’autoriser les femmes à accéder aux ministères institués de la parole et de l’acolytat. C’est également une reprise du synode?

Oui, cette proposition faisait partie du document final. Mais elle est en réalité un peu plus ancienne puisqu’elle avait été formulée lors d’un précédent synode auquel j’ai participé. En 2008, une des résolutions du synode sur la Parole de Dieu demandait cette ouverture du ministère de la parole aux femmes. La proposition n’avait pas été retenue par le pape Benoît XVI. Cet exemple montre que l’Église prend son temps. Elle a les paroles de la Vie éternelle ce qui ne l’oblige pas à courir derrière le temps.

Querida Amazonia insiste sur l’urgence pour les évêques sud-américains d’envoyer des missionnaires dans certaines régions d’Amazonie et d’encourager les vocations sacerdotales. Cet appel du pape a-t-il été entendu?

Difficile de répondre à cette question, surtout dans le contexte de la pandémie. Je pense que cette demande concerne plus spécifiquement l’épiscopat brésilien.

Le débat au sujet de l’ordination des viri probati est-il encore d’actualité un an après la publication de l’exhortation?

Durant le synode, nous avons vu que l’ordination d’hommes mariés ne requérait pas la modification du droit canon, le pape ayant le droit de donner des dispenses pour ordonner des prêtres mariés, comme cela se fait pour certains prêtres anglicans qui veulent venir dans l’Eglise catholique.

Nous avons aussi réaffirmé l’importance de faire venir l’Eucharistie partout. Et nous avons enfin pris conscience que la tentation de cléricaliser un peu plus l’Eglise était un risque.

Au-delà du débat théorique, la vraie question est de savoir s’il existe en Amazonie des hommes qui pourraient ou souhaiteraient obtenir cette dispense. Dans les régions où l’accès à l’Eucharistie pose un grave problème, je ne suis pas du tout certain qu’il existe beaucoup de candidats.

Avec la pandémie, partout dans le monde des chrétiens ont été empêchés d’accéder à l’Eucharistie. À travers cette épreuve, l’Eglise universelle a-t-elle pu mieux comprendre ce que pouvaient vivre certains chrétiens d’Amazonie au quotidien?

Sans doute. En Guyane, où l’on accède d’ordinaire normalement à l’Eucharistie, les fidèles ont été très déçus de ne pas pouvoir se rendre à la messe à cause du virus. À cette occasion, j’ai expliqué que le moment était peut-être venu de partager davantage la première partie de l’Eucharistie, à savoir: la Parole. Nous nous sommes retrouvés en exil, comme le Peuple juif le fut jadis. Le Temple avait été détruit, les sacrifices interrompus… ils avaient alors découvert l’existence et la force de la Parole.

Dans l’Eglise catholique, cette Parole n’est pas assez honorée, reconnue, méditée et partagée. À travers cette épreuve, nous vivons l’expérience du Peuple juif et sommes en communion avec tous les chrétiens qui n’ont pas accès aux sacrements de façon régulière.

En ce sens, l’exhortation était prophétique?

Oui, comme je crois qu’elle l’a été concernant l’environnement. Querida Amazonia, dans le sillage de Laudato si’, a mis en avant le fait que tout, sur la Terre, était lié. Or, je crois que ce n’est un secret pour personne que de dire que la déforestation conduit à la transformation des lieux de vie des animaux. Certains se sont rapprochés des hommes… Nous nous trouvons aujourd’hui face à des virus qui proviennent d’animaux qui se trouvaient autrefois dans des forêts. Les dérèglements que nous provoquons et la déstructuration de la nature favorisent l’émergence de nos nouvelles épreuves. Comme le souligne le pape, il est urgent de le comprendre et de se convertir. (cath.ch/imedia/hl/cp)

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