Le cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’Etat du Saint-Siège, l’a annoncé dans une récente interview accordée à la chaîne française KTO: «Je pense que cela [la publication de la Constitution] ne tardera pas», assurant qu’elle sera promulguée au cours de l’année.
La Curie romaine devrait connaître une refonte de grande ampleur dans la constitution apostolique à venir, qui a vocation à remplacer Pastor Bonus, celle de Jean Paul II. Ralenti par la pandémie de Covid-19 dans son travail, le Conseil des cardinaux s’est néanmoins réuni plus d’une trentaine de fois pour travailler à sa rédaction et devrait se retrouver à nouveau en février. La dernière réunion en date remonte au 1er décembre 2020, séance au cours de laquelle les cardinaux synthétisaient «les étapes de la rédaction du texte».
À l’occasion de la présentation des vœux de Noël 2014, le pape François pointait dans un discours resté célèbre les quinze maladies de la Curie romaine. «Au cours du dernier demi-siècle, tous les papes qui se sont succédé depuis Jean XXIII, hormis Jean Paul Ier, se sont penchés au chevet [de la Curie romaine] sans que son état ne se soit amélioré de manière significative», affirme le Père Gilles Routhier, spécialiste du concile Vatican II, dans un ouvrage intitulé Penser la réforme de l’Église*, co-écrit avec le Père Joseph Famerée, professeur d’ecclésiologie et d’œcuménisme.
Dans leur ouvrage, les deux auteurs font remonter les réformes modernes de la Curie à Jean XXIII. En effet, dès le début de son pontificat, en 1958, ce dernier semble rompre avec le mode de gouvernement de Pie XII. Contrairement à son prédécesseur, Jean XXIII choisit de gouverner avec un secrétaire d’État et pourvoit aux fonctions laissées vacantes – Pie XII ne remplaçait pas les membres de la Curie disparus.
En outre, aussitôt élu, Jean XXIII réintroduit les audiences di tabella, suspendues depuis 1953, c’est-à-dire les rencontres régulières que le pontife accorde aux chefs des divers dicastères de la Curie. En mai 1960, il crée dans la Curie un nouvel organisme, le Secrétariat pour l’Unité des chrétiens, transformé plus tard par Jean Paul II en Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des chrétiens. Pour la première fois, le Saint-Siège instaure une structure consacrée exclusivement aux questions œcuméniques, en vue du Concile.
Le concile Vatican II, convoqué par Jean XXIII en 1961, propose un aggiornamento dans l’Église, et notamment de la Curie romaine. Les auteurs rappellent les ambitions réformistes des Pères conciliaires qui invitaient à privilégier des organismes moins cléricaux et moins romanisés et à accroître la subsidiarité et décentraliser les dicastères. Attentif aux débats animés entre les participants au Concile, Paul VI, dans la lignée de Jean XXIII, crée le Synode des évêques, le 15 septembre 1965, par la publication du motu proprio Apostolica solicitudo.
Successeur de Jean XXIII, Paul VI est, de tous les pontifes du 20e siècle, le réformateur le plus actif, selon le Père Routhier. Dès la clôture du Concile, en 1965, il annonce une seconde mesure: la réforme du Saint-Office. Ce dernier, grâce au motu proprio Integrae Servandae, se voit remplacé par la Congrégation pour la doctrine de la foi. Le pontife crée de nouveaux organismes, avant de proposer une réforme d’ensemble de la Curie dans sa constitution apostolique Regimini Ecclesiae universae. Le texte, promulgué en août 1967, réorganise les différents organismes curiaux, en précise les compétences, les procédures, les méthodes. Il s’agit de la réforme la plus importante de la Curie romaine depuis le Concile, qui en est le fondement.
Selon le Père Routhier, les principales innovations de Paul VI pour la Curie et sa vision de la synodalité ne provenaient pas directement de la constitution apostolique mais de «l’émergence d’une nouvelle Curie qui pouvait potentiellement servir de modèle à un renouveau». Selon l’ecclésiologue, en véritable pilier de la synodalité, Paul VI revalorise certains regroupements épiscopaux existants, tels que le Conseil épiscopal latino-américain (CELAM), fondé en 1955 par Pie XII.
En outre, dans l’esprit de son discours à Kampala (Ouganda) en 1970, il instaure de nouvelles conférences épiscopales nationales et continentales selon le principe de collégialité défini par Vatican II. Sont alors crées le Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SECAM) en 1969 et le Conseil des Conférences épiscopales d’Europe (CCEE) en 1971.
Après la période d’innovations radicales sous Paul VI, la réforme de la Curie et de la synodalité connaît une phase de «normalisation progressive» et de «routinisation» lors du pontificat de Jean Paul II. L’expérience de «déconcentration de la Curie romaine», selon l’expression de l’ecclésiologue, touche à sa fin, malgré les réformes du pontife polonais dans sa constitution apostolique, Pastor Bonus, promulguée en 1988.
Les premières lignes de la constitution de Jean Paul II définissent la Curie comme «la somme des dicastères et des organismes qui assistent le pontife romain dans l’exercice de sa charge pastorale suprême pour le bien et le service de l’Église universelle et des Églises particulières». La Curie se romanise à nouveau, selon le Père Routhier, et les organismes récemment créés du Saint-Siège s’y trouvent entièrement intégrés et fondus.
En outre, les réformes post-conciliaires montrent vite leurs limites, observe l’ecclésiologue. Le Synode des évêques ne tient pas ses promesses et le projet d’internationaliser la Curie, grâce à la présence d’évêques du monde entier et à la participation d’évêques non-résidentiels comme membres de congrégations, s’essouffle rapidement. Sous le pontificat de Jean Paul II s’opère un retour à un système de gouvernement fortement centralisé et romain. Les modifications imposées par Benoît XVI, «bien que parfois utiles ne réforment pas en profondeur la Curie romaine».
Les auteurs voient dans le pape François un légitime continuateur des réformes initiées par Vatican II. Selon eux, le souhait du pontife argentin, comme celui du Concile, est de construire une «Église solidaire de l’humanité, à son service et en dialogue avec elle». La réforme de la Curie et de la synodalité sous le pape François obéit à sa volonté de promouvoir une «Église pauvre pour les pauvres».
Dès Evangelii gaudium, le pontife argentin montre qu’il lie la conversion de la papauté et la décentralisation. «Je ne crois pas non plus qu’on doive attendre du magistère papal une parole définitive ou complète sur toutes les questions qui concernent l’Église et le monde», écrit le pape dans son exhortation apostolique.
Le Souverain pontife déplore souvent le fait que les conférences épiscopales n’aient pas reçu suffisamment d’attributions concrètes ou de véritable autorité doctrinale. En réponse il a donc engagé une concrète revalorisation des regroupements d’évêques et de leur magistère. Les ecclésiologues mentionnent, par exemple, que l’exhortation apostolique Evangelii gaudium comporte 22 références aux documents de conférences épiscopales. En revanche, les auteurs ne font pas référence à Querida amazonia, exhortation apostolique dans laquelle le pape ne reprend pas tous les points votés par les Pères synodaux.
Ces dernières années ont vu naître un double mouvement réformateur initié par le 266e pape: concernant la synodalité, d’une part, réforme qui se poursuivra en 2022 avec un synode sur la synodalité; concernant la Curie, d’autre part, dont le projet de constitution apostolique se précise.
La constitution apostolique Episcopalis communio, promulguée le 18 septembre 2018, constitue une étape importante de la réforme de la synodalité. Le pape y rappelle que les évêques, «lorsqu’ils enseignent en communion avec le pontife», doivent être écoutés par tous et que les fidèles «doivent être d’accord avec le jugement de leur évêque». Avec cette constitution, une large consultation de tout le «peuple de Dieu» est requise lors de la préparation du Synode.
Bien que le pape ait rappelé, lors de la réunion du 13 octobre dernier, que la réforme de la Curie était «déjà en cours, y compris sous certains aspects administratifs et économiques», la promulgation de la nouvelle constitution devrait modifier durablement les rapports entre la Curie et les évêques. (cath.ch/imedia/hl/bh)
*Penser la réforme de l’Église, Joseph Famerée et Gilles Routhier, Coll. Unam Sanctam, Le Cerf, Janvier 2021.
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