Dans un de ses derniers discours de campagne électorale, Joe Biden citait la troisième encyclique du pape François, Fratelli tutti, alors fraichement parue. Selon Massimo Faggioli*, l’appel téléphonique de félicitations du pape François à Joe Biden le 12 novembre 2020 a ouvert un nouveau chapitre. Certes, le geste n’est pas nouveau: le 12 novembre 2008, Benoît XVI avait aussi appelé Barack Obama pour le féliciter. Mais l’appel du pontife argentin est arrivé dans un contexte électoral tumultueux, alors que les résultats n’avaient pas été encore admis par le président sortant.
Contrairement aux précédents candidats catholiques à la présidence américaine (Al Smith, Kennedy et John Kerry), Joe Biden parle de sa religion en public sans craintes ni tabou, souligne l’historien. Le 46e président américain se démarque par sa dévotion et son goût pour la tradition chrétienne: il assiste régulièrement à la messe du dimanche, garde toujours dans sa poche ou à son poignet les chapelets qui appartenaient à son fils Beau, décédé en 2015.
Comme la plupart des démocrates catholiques américains, Biden adopte néanmoins une position assez libérale sur la question de l’avortement, changeant par exemple d’avis sur l’»amendement Hyde» qui, depuis 1976, empêche l’utilisation de fonds fédéraux pour financer les services d’avortement. Il a été élu comme candidat d’un parti ambivalent où, d’une part, le nombre de «non-affiliés religieux» continue de croître et, de l’autre, l’âme du progressisme religieux américain refait surface. D’ailleurs la proportion des catholiques américains qui ont voté pour lui n’est que de 54% selon l’Institut Gallup.
Il n’est pas rare de trouver dans ses discours des références à sa religion, à la Bible ou des mentions faites au pape. Lors de son premier discours après son élection, par exemple, il a conclu par une référence à On Eagle’s Wings, l’un des chants d’Église les plus populaires du catholicisme post-conciliaire, dérivé du psaume 91. Massimo Faggioli résume la foi de Biden ainsi: «C’est une foi populaire, avec des traits pop: plus Stephen Colbert et Bruce Springsteen que Jacques Maritain et Thomas Merton». À des années-lumière du «néo-catholicisme fondamentaliste et des ghettos dorés de l’élite catholique, selon l’historien italien, Biden incarne un catholicisme à la fois œcuménique et traditionnellement dévot fondé sur une théologie de la vulnérabilité et la résilience face à l’adversité».
La confession religieuse de Biden fait de lui une figure culturellement réconciliable avec de nombreux Américains qui pourraient être plus conservateurs, estime Massimo Faggioli. En tant que président et en tant que catholique, le natif de Scranton (Pennsylvanie) est confronté à une opposition religieuse qui est le berceau de l’opposition catholique nord-américaine au pape François. Dès les premiers jours qui ont suivi l’élection, la nouvelle d’un deuxième président catholique a été reçue de manière mitigée par l’Église américaine. La conférence épiscopale américaine s’est réunie à la mi-novembre et en a profité pour envoyer des signaux hostiles au nouveau président, au point de créer une commission épiscopale chargée d’examiner le problème posé par un catholique «pro-choix» (pour l’avortement) à la Maison Blanche.
Présent au premier rang lors de la visite du pape François et de son discours historique devant l’assemblée du Congrès, à Washington, le 24 septembre 2015, Joe Biden n’a jamais caché sa sympathie pour le pontife argentin. Les deux hommes sont depuis restés en très bons termes. À l’issue du congrès qui s’est tenu le 29 avril 2016 dans la Salle Paul VI, au Vatican, le vice-président américain a remercié le pape François pour le temps «généreux» accordé à sa famille lors de sa visite à Philadelphie en septembre 2015, alors qu’il venait tout juste de perdre son fils de 46 ans, emporté par un cancer. «Avec ses mots, sa prière, sa présence, il nous a apporté un vrai réconfort», déclarait Joe Biden.
Côté romain, le Vatican a pris ses précautions durant le mandat de Trump et a pris soin de ne pas se prononcer au cours de l’élection américaine, le pape refusant même de rencontrer le secrétaire d’État, Mike Pompeo, durant la période électorale. En février 2019, à l’occasion du 90e anniversaire de la signature des Accords du Latran (1929), le cardinal Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, a affirmé «qu’entretenir un dialogue permanent avec les États-Unis a pour but d’assurer à l’humanité un avenir digne». La «neutralité positive» du Saint-Siège voulue par le pape François obéit, selon l’historien des religions, à une politique plus large de son pontificat: celle de porter sur le monde ce que le pontife appelle «le regard de Magellan», c’est-à-dire regarder le centre depuis la périphérie.
Les relations entre les États-Unis et le Vatican ont beaucoup souffert sous l’administration Trump, selon l’historien, en raison de «l’opposition indéniable entre la vision du monde du pape François et la vision résumée dans le slogan ‘Make America Great Again’». Aussi, l’arrivée de l’administration Biden marquera sans doute une inflexion dans les relations entre Rome et Washington. Dans les premiers mois de sa présidence, Joe Biden se rendra peut-être au Vatican, si la pandémie le permet, comme l’usage le veut.
Dès les premiers échanges entre le pape François et le président élu, deux questions sont apparues comme révélatrices d’une relation différente des années de l’administration Trump, selon Faggioli. L’immigration, les réfugiés et la défense de l’environnement faisaient partie des thèmes évoqués. Parmi les premières décisions de l’administration Trump en 2017 figuraient au contraire l’interdiction d’accès aux États-Unis imposée à sept pays à majorité musulmane et le retrait de l’accord de Paris sur le climat. Deux politiques à propos desquelles la Secrétairerie d’État du Vatican n’a pas hésité à faire part de son désaccord.
«La fin de l’agenda ‘America first’ et le rétablissement d’une vision multilatérale sont donc des changements de cap qui sont salués par le Vatican», avance Massimo Faggioli. L’historien prévoit, par exemple, une convergence sur la lutte pour la liberté religieuse au niveau international menée conjointement par le Vatican et le Pentagone. Malgré tout, des divergences notoires demeureront, notamment sur la question du désarmement nucléaire, un des chevaux de bataille du pape François.
«L’administration Biden semble prendre le profil d’un ›interventionnisme libéral’ avec une vision du rôle des États-Unis dans le monde non exempte de différences et de tensions potentielles par rapport à la vision du Vatican», estime enfin Massimo Faggioli. (cath.ch/imedia/at/bh)
* Joe Biden e il cattolicesimo negli Stati Uniti: Massimo Faggioli.
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