Comment Henri Schwery voyait Rome

Le cardinal valaisan Henri Schwery, décédé le 7 janvier 2021, a connu Rome de près. Retour sur les témoignages de sa vie au Vatican, à la curie, sous sa barrette rouge et au sein de plusieurs congrégations et conseils.

Suite à son décès, cath.ch rend hommage à Mgr Schwery en publiant d’anciennes archives. Ci-dessous une interview réalisée à l’occasion de ses 40 ans de sacerdoce, correspondant à ses 20 ans d’épiscopat, et une autre pour ses 80 ans.
Propos recueillis par Maurice Page, le 19 septembre 1997 à Sion, pour l’APIC (cath.ch):

Depuis votre accession au rang de cardinal en 1991, vous êtes membre de plusieurs instances romaines assez importantes. Le Concile Vatican II a remis à l’honneur le principe de la collégialité. Comment est-il mis en pratique?
Henri Schwery: On a toujours tendance à dire que Rome est centralisée, de manière pire que Paris. Franchement non. La collégialité des évêques est quelque chose d’assez nouveau. Nous en sommes encore au b-a ba. C’est assez normal. La curie romaine fonctionne depuis des siècles en vase clos, même si ses membres sont souvent des saints qui font très bien leur boulot. En Suisse, quelle administration cantonale accepte sans autre que l’électeur vienne lui demander des comptes sur sa manière de fonctionner?

«La chose la plus sacrée des Etats est le porte-monnaie».

Dans la curie on trouve encore des chefs de service très attachés au système ancien centralisateur et qui croient que c’est la bonne solution. Pour le moment, ils bétonnent un peu. Mais il y a aussi des gens beaucoup plus collégialement impliqués. En quinze ans, des progrès énormes ont été réalisés. La curie s’est internationalisée. Elle a intégré des hommes de terrain là où auparavant il n’y avait que des ‘apparatchiks’ à majorité italiens, même si c’est encore largement insuffisant.

Contrairement à ce qu’on dit parfois, Jean Paul II délègue énormément. Il consulte et il écoute beaucoup. Il ne va cependant certainement pas décréter une réforme totale de la curie. Cela sera une tâche du prochain pape.

Vous êtes membre de la commission cardinalice pour les affaires économiques du Saint-Siège. Quel est votre rôle?
La chose la plus sacrée des Etats est le porte-monnaie. Jean Paul II a crée une commission cardinalice de 15 membres pour vérifier annuellement les budgets, les comptes et le fonctionnement. J’en fais partie. Ce n’est pas toujours fameux, mais le progrès est infini par rapport à une dizaine d’années. La transparence commence à se faire. C’est ce qui me paraît capital. Avant, on ne savait rien. Cette mentalité est toujours là. Je pose quelques questions «naïves» qui embêtent et auxquelles on répond souvent: «C’est parce qu’on a toujours fait comme ça». Et je dis: «Non, il faut changer».

«La Garde suisse est une des meilleures images que la Suisse puisse donner à l’extérieur»

Quant aux chiffres rouges du Vatican, cela me paraît moins grave. Le Vatican n’a pas d’impôts. Il ne vit que de dons, ce qui rend l’exercice du budget très délicat. Le Saint-Siège est un service qui ne peut pas ne pas faire de déficit. Le Vatican n’aurait par exemple jamais eu les moyens de payer lui-même la réfection de la chapelle Sixtine.

Avez-vous cherché à apporter à Rome votre expérience d’évêque diocésain?
Dans les instances romaines, j’essaye d’être ce que je suis. C’est à mes yeux la meilleure manière de servir. Par exemple dans la Congrégation pour les causes des saints je m’emploie à préparer des rapports «scientifiques» précis et concrets. En toute modestie, je crois y avoir apporter un peu plus de rigueur.
Je suis tous les mois à Rome, au moins pour quelques jours, parfois pour des périodes plus longues, généralement en novembre, mars et juin. J’habite officiellement Sion et je ne suis pas à proprement parler membre de la curie.

Un des autres sujets qui me tient à cœur est la Garde suisse. Je pense que c’est une des meilleures images que la Suisse puisse donner à l’extérieur. Actuellement, elle peine à avoir un effectif tout àà fait complet ce qui surcharge le travail des engagés. Elle a besoin de notre soutien moral. Cela ne concerne à mon avis pas seulement les catholiques. (cath.ch/arch/mp)


Propos recueillis par Maurice Page, le 6 juin 2012 à Saint Léonard, pour l’APIC, à l’occasion des 80 ans du cardinal Schwery:

Évêque, cardinal, ce furent des charges assez lourdes?
Henri Schwery: Ce n’est pas seulement la soutane rouge qui fait le cardinal. Je devais prendre au sérieux le rôle premier de conseiller du pape. Je ne me suis jamais gêné de lui demander des entrevues et de lui dire ce que je pensais à propos de telle ou telle question. J’ai siégé en même temps dans cinq dicastères romains, dont celui des affaires économiques et la Congrégation pour les causes des saints. Cela demandait pas mal de travail. J’étais en moyenne une semaine par mois à Rome. C’était une activité passionnante. Le Vatican est d’abord un lieu où on travaille.

Vous avez fréquenté assidûment la curie romaine pendant de longues années. Comment jugez-vous les affaires actuelles?
J’ai toujours été assez critique à l’égard de certains aspects. Mais il ne faut pas généraliser. Dans l’ensemble, il y a, au Vatican, beaucoup de gens qui travaillent bien. Il y a 40-50 ans, la curie était considérée comme une carrière où les jeunes prêtres entraient à 25 ans et gravissaient tous les échelons, jusqu’au rang de cardinal sans avoir aucune expérience du terrain, ni avoir vu une paroisse de près. C’est inadmissible. C’est une question sur laquelle l’Eglise doit faire son examen de conscience.

La curie doit se réformer à chaque époque.

Le pape Jean Paul II a internationalisé la curie comme jamais auparavant et a nommé à Rome des cardinaux qui avaient l’expérience d’un diocèse. Aujourd’hui les ’carriéristes’ italiens ne sont plus la majorité au sein de la curie. Mais il faut reconnaître que dans la dernière liste des cardinaux, plus de la moitié sont des Italiens de la curie. On revient en arrière. Benoît XVI l’a certainement compris. Mais avec son âge, il faudra probablement attendre son successeur pour reprendre la chose en main.

Beaucoup d’évêques ou de cardinaux appellent à une réforme de la curie.
La curie doit se réformer à chaque époque. Il semble actuellement qu’il y ait un ralentissement et qu’on ne fasse plus l’effort de l’internationalisation et du recrutement des personnes ayant une expérience de terrain. Il y a eu des erreurs très graves au plan des finances avec l’IOR et Mgr Paul Marcinckus. Jean Paul II a créé la commission cardinalice, dont j’ai été membre, pour redresser les affaires, avec entre autres la nomination de responsables compétents sur le plan professionnel. Encore une fois, dans l’ensemble, cela ne fonctionne cependant pas si mal. Dans les congrégations, ce sont les membres, c’est-à-dire les évêques et les cardinaux venus du monde entier qui ont le droit de vote. Ce sont eux qui décident, et non pas les fonctionnaires romains. Il n’y a qu’en Eglise que l’on peut travailler comme ça. (cathch/arch/mp)

Rédaction cath.ch

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