Par Valentine Iwenwanne, Catholic News Service (CNS)/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
Trois ans après avoir accueilli la petite Inimffon Uwamobong, 2 ans, et son frère cadet, Sœur Matylda a finalement eu des nouvelles de la mère qui les avait abandonnés. «Leur mère est revenue et m’a dit qu’elle (Inimffon) et son frère étaient des sorciers, me demandant de les jeter hors du couvent», raconte Sœur Matylda.
Depuis qu’elle dirige la «Maison des enfants de Mère Charles Walker», au couvent des Servantes du Saint Enfant Jésus, la religieuse a eu à gérer de nombreux autres cas similaires. Dans le foyer ouvert en 2007, Sœur Matylda a pris en charge des dizaines d’enfants mal nourris et sans abri des rues d’Uyo, dont beaucoup avaient une famille qui les considéraient comme des sorciers.
Les frères et sœurs Uwamobong se sont rétablis et ont pu s’inscrire à l’école, mais la Maison de Sœur Matylda et d’autres lieux de services sociaux sont submergés par les besoins. Ce sont habituellement les parents, les tuteurs légaux et les chefs religieux qui portent les accusations de sorcellerie sur les enfants. Ils le font pour différentes raisons. Les enfants faisant l’objet de telles accusations sont souvent maltraités, abandonnés, victimes de trafics ou même assassinés, selon l’UNICEF et Human Rights Watch.
Dans une bonne partie de l’Afrique, la figure de la sorcière est l’incarnation du mal et souvent la cause du malheur, de la maladie et de la mort. Elle est la personne la plus détestée de la société et soumise à des représailles, qui peuvent aller jusqu’à la torture et au meurtre. Il a été rapporté que des enfants désignés comme sorciers se sont fait enfoncer des clous dans la tête, ont été forcés de boire du ciment, incendiés, marqués à l’acide, empoisonnés et même enterrés vivants.
Au Nigeria, certains pasteurs chrétiens intègrent dans leurs pratiques des croyances africaines sur la sorcellerie. Cet amalgame explosif a entraîné des campagnes de violence contre les jeunes dans certaines régions du pays.
Dans l’Etat d’Akwa Ibom, dans lequel se situe Uyo, une grande partie de la population croit en l’existence des esprits et des sorcières. Pour le Père Dominic Akpankpa, directeur exécutif de l’Institut catholique Justice et Paix dans le diocèse d’Uyo, la sorcellerie n’est un phénomène surnaturel que pour ceux qui ne connaissent rien à la théologie.
«Si vous prétendez que quelqu’un est une sorcière, vous devez le prouver», a-t-il dit. Le prêtre catholique ajoute que la plupart des personnes stigmatisées comme sorciers ou sorcières peuvent souffrir de séquelles psychologiques. «Et il est de notre devoir de les aider, à travers un service de conseils, à se sortir de cette situation», appuie-t-il.
Les accusations de sorcellerie et les abandons d’enfants sont monnaie courante dans les rues de l’Etat d’Akwa Ibom. Quand un homme se remarie après un veuvage, par exemple, explique Sœur Matylda, il arrive que la nouvelle femme ne s’entende pas avec l’un des enfants. Pour pouvoir le faire partir de la maison, elle sera tentée d’utiliser contre lui une accusation de sorcellerie. «Lorsque l’on demande aux enfants pourquoi ils sont dans la rue, beaucoup disent ainsi qu’ils ont été chassés de la maison par leur belle-mère». La religieuse ajoute que des facteurs tels que la pauvreté extrême et les grossesses d’adolescentes peuvent également amener les enfants à vivre dans la rue.
Le Code pénal nigérian sanctionne depuis 2003 l’accusation de sorcellerie, et même la menace d’accusation de sorcellerie. La nouvelle loi sur les droits de l’enfant érige en infraction pénale le fait de soumettre un enfant à des tortures physiques ou émotionnelles ou à un traitement inhumain ou dégradant. L’Etat d’Akwa Ibom a en outre adopté en 2008 une loi qui rend la désignation d’une personne comme une sorcière ou un sorcier passible d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à 10 ans. Selon le Père Akpankpa, cette criminalisation des injustices commises envers les enfants est un pas dans la bonne direction.
Au foyer «Mère Charles Walker», les enfants sont hébergés et envoyés à l’école grâce à des bourses. Sœur Matylda assure l’engagement déterminé de l’Église catholique à protéger les droits des enfants. Elle s’efforce ainsi, outre d’assurer le bien-être et l’avenir des enfants, de retrouver leur famille et d’entreprendre un travail de réconciliation afin de les y réintégrer. Pour ce faire, Sœur Matylda collabore avec le ministère des Affaires féminines et du bien-être social de l’Etat d’Akwa Ibom.
Le processus de réconciliation implique les chefs de la communauté, les anciens et les chefs religieux traditionnels. C’est la seule façon de s’assurer que les enfants puissent être réintégrés et acceptés durablement dans la communauté. Si cela ne fonctionne pas, l’enfant est placé dans une filière d’adoption sous la supervision du gouvernement.
Depuis l’ouverture du foyer «Mère Charles Walker», Sœur Matylda et le reste du personnel ont pris en charge environ 120 enfants. 74 d’entre eux ont été réintégrés dans leur famille. «Il nous en reste maintenant 46, pour lesquels nous espérons qu’ils retrouveront leur famille ou qu’ils seront adoptés». (cath.ch/cns/rz)
Rédaction
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/nigeria-la-religieuse-qui-recueille-les-sorcieres/