Le sobre pallier du cardinal français ne laisse pas imaginer une telle féerie. À peine est-il entré dans l’appartement du haut prélat que le visiteur est bercé par le clapotis d’une fontaine. Au centre d’un sombre vestibule, une immense crèche provençale brille de mille feux. «La crèche est une représentation de l’Évangile. Elle nous aide à accueillir le petit Jésus dans nos cœurs», s’émerveille Sœur Marguerite, religieuse qui s’attache tous les ans à sa préparation avec sa consœur Marie. À 90 ans, le cardinal ne se lasse pas de contempler cette admirable représentation de la naissance du Christ, une «une véritable œuvre d’art» à ses yeux.
Si la pandémie est venue bousculer les traditions, les deux consacrées au service du haut prélat s’activent comme jamais pour préparer le meilleur des Noël. Il faut dire que la vocation du cardinal français, ordonné un 21 décembre, est intimement liée à cette grande fête chrétienne. «Nous conjuguons mon anniversaire d’ordination et Noël, explique le Français qui s’apprête à souffler sa 66e bougie en tant que prêtre. Et comme les religieuses sont musiciennes, c’est une occasion de chanter accompagné par le violon et le piano». En temps normal, de nombreux amis viennent se joindre à cet événement intime organisé au cœur de son immense salon-bibliothèque aux étagères garnies de livres. Mais cette année la fête sera restreinte. Seules «quelques personnes tout au plus» pourront y assister.
«Il est aussi d’usage que chaque cardinal aille célébrer dans sa paroisse pour Noël, explique le haut prélat. J’ai eu la chance d’hériter de cette belle basilique Sainte-Praxède à côté de Sainte-Marie-Majeure, dont prennent soin les moines de l’ordre Vallombreuse depuis huit siècles. Cette année, nous avons convenu de ne pas nous rencontrer», lâche-t-il la mort dans l’âme. Sans doute le haut prélat célébrera-t-il donc Noël dans sa petite chapelle aux allures de cabinet de curiosités. Dans cette pièce de quelques mètres carrés sont exposés ses multiples cadeaux et souvenirs religieux, parmi lesquels un reliquaire réalisé par la sœur de sainte Thérèse de Lisieux, «sa sainte préférée».
Si les circonstances sont peu réjouissantes, il n’est pas question cependant pour le nonagénaire de s’apitoyer sur son sort. Car s’il y a bien une fête qui doit conduire à l’espérance, c’est celle de Noël. «Les gens sont blasés, déplore-t-il. Rappelons-nous des grandes litanies, que j’ai moi chantées dans le temps où l’Église parlait latin. Nous demandions au Seigneur de nous protéger de la peste. Avant cette pandémie, nous pensions naïvement que tout cela était fini. Les grandes pandémies, il y en aura toujours. L’homme se redécouvre mortel. S’il n’y a pas l’espérance d’une vie après la mort, alors nous sommes les plus malheureux des hommes. Nous devons raviver notre foi pour la partager avec émerveillement».
Selon le cardinal français, la fête de Noël est tout à fait spécifique par les opposés qu’elle convoque: «Le Ciel et la Terre, ce Dieu qui se fait homme, Marie, à la fois Vierge et Mère». Noël est une «grande brèche pour l’homme qui a des désirs infinis et pour lequel le scandale de la mort est comme un enfermement intolérable… Avec la naissance du Christ, l’histoire bascule et c’est l’horizon qui s’ouvre». La magie de ce grand événement pourrait donc se résumer en ces mots selon lui: «Dieu se fait homme pour nous faire Dieu».
Figure emblématique de la Curie, le Français vivra bien entendu cette fête au rythme de ses innombrables Noëls passés au sein des murs léonins, nourri par ses souvenirs aux côtés des différents pontifes. Il se souvient: «Mes premiers souvenirs de Noël remontent au bon pape Jean (XXIII, nldr). Je me rappelle ces messages de Noël avec sa voix, à la fois très ferme et affectueuse. Ces Noëls étaient toujours pleins de tendresse: il voulait rejoindre toutes les familles».
Mais c’est sans doute avec «le saint pape» Paul VI qu’il vécut son Noël le plus marquant. À cette époque, le prélat travaille à la section française de la Secrétairerie d’État. «Il y a eu un Noël tout à fait singulier. Mon bureau donnait sur la place Saint-Pierre, alors inondée de soleil. Pendant que le saint pape célébrait la sainte messe, moi à ma machine à écrire, je tapais les messages pour le monde entier et pour Hồ Chí Minh notamment. C’était la Guerre du Vietnam. Et Paul VI cette année-là offrait même le Vatican pour abriter, si cela pouvait servir, une conférence de paix».
Des années Jean Paul II, le cardinal Poupard garde un souvenir ému, et évoque notamment les célèbres vœux à la Curie qu’aimait délivrer le pape polonais. «Il avait cette habitude de nous partager ce qu’avaient été ses grandes préoccupations pour l’Église» se souvient-il. Vivre Noël au Vatican relève de l’universel, souligne-t-il en revoyant le parterre de cardinaux réunis chaque 21 décembre salle Clémentine. Au Vatican, cœur battant de l’Église, on vit «si j’ose dire un Noël pleinement catholique» étant donné la multitude de nationalités qui se côtoient.
Si la foule de pèlerins habituelle ne se pressera pas place saint-Pierre pour écouter le pape cette année, s’attriste le Français, le Vatican reste sans aucun doute à ses yeux ce lieu où se vit intensément le mystère de Noël, «au cœur de l’Église qui est en charge de témoigner de ce mystère». Noël est une «grande force» et «toute la vie de l’Eglise est faite pour transmettre ce mystère», conclut-il. Le 25 décembre prochain, le cardinal ne sera probablement entouré que de ses fidèles religieuses. Et pourtant, dans la solitude de son vaste appartement, il n’oubliera pas de vivre cette fête en lien avec toute l’Église, le cœur tendu vers le monde entier. (cath.ch/imedia/cg/bh)
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