Etats-Unis: les lois punissant le blasphème violent les droits humains

Dans le monde, 84 pays ont une loi qui punit le blasphème. Le Pakistan figure en tête de liste des pays où les condamnations sont les plus fréquentes, souligne dans son dernier rapport l’ USCIRF, la Commission institué par le gouvernement des Etats-Unis pour la liberté religieuse dans le monde.

Ce rapport, intitulé Violation des droits : application des lois sur le blasphème dans le monde [Violating Rights: Enforcing the World’s Blasphemy Laws] et publié à Washington le 9 décembre 2020, révèle que 84 pays dans le monde ont des lois qui criminalisent les expressions qui insultent ou offensent les doctrines religieuses. Ce rapport examine et compare l’application des lois sur le blasphème entre 2014 et 2018, en recensant 732 cas au total dans 41 pays.

La liberté de religion en question

Les lois interdisant le blasphème sanctionnent pénalement la diffamation des religions et visent à punir les personnes qui offensent, insultent ou dénigrent des doctrines, des divinités ou des symboles religieux, ou qui blessent ou insultent des sentiments religieux.

«Ce rapport fournit des données détaillées et des exemples illustratifs pour démontrer la multitude de façons dont l’application par les gouvernements des lois sur le blasphème porte atteinte aux droits de l’Homme, y compris la liberté de religion ou de conviction et la liberté d’expression», déclare la présidente de l’USCIRF, Gayle Manchin.

La peine de mort comme punition pour insulte à la religion

La Mauritanie a rejoint le Brunei, l’Iran et le Pakistan parmi les pays du monde où la peine de mort est appliquée en tant que punition pour insulte à la religion. Dans 43 de ces 84 pays, soit 51%, les chercheurs n’ont pas trouvé un seul cas de mise en œuvre effective des lois criminalisant le blasphème ou les comportements blasphématoires.

Le Pakistan, l’Iran, la Russie, l’Inde, l’Egypte et l’Indonésie sont considérés par le gouvernement des Etats-Unis comme les pires violateurs de la liberté religieuse dans le monde 

«Ce n’est pas une coïncidence si les six pays qui comptent le plus grand nombre de cas de blasphème – le Pakistan, l’Iran, la Russie, l’Inde, l’Egypte et l’Indonésie – sont tous des pays que l’USCIRF identifie comme faisant partie des pires violateurs de la liberté religieuse dans le monde», affirme sa présidente. Notons que l’Arabie saoudite, alliée des Etats-Unis, est relativement épargnée, alors que la liberté de religion dans ce pays sunnite qui réprime sa minorité chiite est pratiquement inexistante.

Accusée de blasphème, cible de fanatiques musulmans, la chrétienne pakistanaise Asia Bibi a finalement pu échapper à la peine de mort et quitter le pays | DR

L’accusation de blasphème, une arme politique contre les minorités

Entre 2014 et 2018, la majorité des condamnations pour outrage à la religion ont été recensées en Asie et au Moyen-Orient, note l’USCIRF, qui a enquêté à l’aide du centre de recherches statistiques américains Pew Research Center. L’USCIRF mentionne les cas où la conversion à une religion minoritaire – considérée comme un crime – a entraîné l’accusation de blasphème dans des pays comme le Yémen, l’Egypte, l’Iran, l’Arabie Saoudite, l’Algérie et le Sri Lanka.

81% des cas d’application par l’Etat de la loi sur le blasphème se sont produits dans seulement 10 des pays: Pakistan, Iran, Russie, Inde, Egypte, Indonésie, Yémen, Bangladesh, Arabie Saoudite et Koweït. Ensemble, les régions Asie-Pacifique et Moyen-Orient représentent 84 % des cas d’application des lois sur le blasphème dans le monde.

Près de 80 % des incidents liés à des manifestations de foule violentes, à des menaces ou autres formes de violence (avec ou sans intervention de l’Etat), se sont produits dans quatre pays seulement : Pakistan, Bangladesh, Nigeria et Egypte. En Indonésie, où les musulmans ahmadis et les Indonésiens d’ascendance chinoise sont pris pour cible pour avoir prétendument commis un blasphème, l’application de la loi est utilisée comme un outil politique selon des critères religieux et ethniques.

Le Pakistan dans le collimateur

Au Pakistan, les lois sur le blasphème favorisent la religion majoritaire d’une manière qui discrimine de manière inadmissible les autres groupes. Le blasphème peut entraîner la peine de mort depuis 1986 dans cette République islamique. Est visé tout ce qui pourrait porter atteinte à l’image du prophète de l’islam.  

«L’USCIRF a constamment appelé les pays à abolir les lois sur le blasphème, et ce rapport apporte une preuve supplémentaire de la nécessité urgente d’une abrogation mondiale», a déclaré le vice-président de l’USCIRF, Tony Perkins. «L’existence de lois sur le blasphème donne aux extrémistes le pouvoir de prendre la loi en main et de recourir à la violence de manière extrajudiciaire. Pour ne citer qu’un exemple, nous avons récemment constaté une augmentation dévastatrice de la violence collective liée aux allégations de blasphème au Pakistan».

Même constat de la part d’Amnesty International

Les lois pakistanaises sur le blasphème violent les droits humains et encouragent les gens à rendre la justice eux-mêmes, relève également l’organisation de défense des droits de l’Homme Amnesty International (AI). Quand une personne fait l’objet d’accusations, elle se retrouve piégée dans un système qui lui offre peu de protection, où elle est présumée coupable et qui ne la met pas à l’abri de ceux qui veulent utiliser la violence, selon AI.

Alors que plusieurs ONG comme Amnesty International s’inquiètent du recul de la liberté religieuse dans le monde ces dernières années, les lois punissant le blasphème se sont durcies dans de nombreux pays.  

Violation flagrante des droits humains

Chaque loi sur le blasphème identifiée s’écarte d’un ou de plusieurs principes des droits de l’Homme internationalement reconnus, note l’organisation états-unienne. La plupart des lois sur le blasphème, même celles qui prévoient des sanctions pénales, sont formulées de manière vague, n’exigent pas l’intention comme élément du crime et prévoient des peines très sévères pour les contrevenants.

« Les lois qui criminalisent le blasphème violent la liberté de religion ou de croyance », rappelle l’USCIRF, pour qui la liberté de religion comprend le droit d’exprimer toute une gamme de pensées et de croyances, y compris celles que d’autres pourraient trouver blasphématoires.

La Russie pointée du doigt

L’organisation dépendant de l’administration états-unienne pointe du doigt la Russie ainsi que l’Inde et l’Indonésie, parmi les pays qui n’ont pas officiellement de religion d’Etat. Dans ces pays, les gouvernements favorisent certaines religions (le christianisme pour la Russie, l’hindouisme pour l’Inde, et les six religions reconnues pour l’Indonésie). La Russie, dénoncée pour interdire des minorités religieuses comme les Témoins de Jéhovah (en 2017), n’a pas pris ces mesures en vertu d’allégations de blasphème, reconnaît l’USCIRF.

L’organisation états-unienne considère par contre que les lois réprimant l’extrémisme religieux et l’incitation à la haine anti-religieuse sont des dispositions du code pénal mises en place par les Etats « contre les blasphémateurs présumés ».

Notamment, en Russie et dans d’autres pays de l’ancienne Union soviétique, les actes de blasphème sont sanctionnés par ces dispositions pénales ou en conjonction avec elles, et sont souvent passibles de peines plus sévères que celles prévues par la loi. Bien que la Russie soit officiellement un Etat laïc, note l’USCIRF, les autorités consultent les chefs religieux dans certaines affaires de blasphème afin d’analyser le contenu du matériel en question afin de déterminer si celui-ci est blasphématoire. (cath.ch/be)

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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