Par Emmanuel van Lierde/Tersio/Dimanche
Depuis 40 ans, le Père Raniero Cantalamessa est le prédicateur régulier du pape. Le capucin, qui est également engagé dans le renouveau charismatique, a été créé cardinal par le pape François le 28 novembre dernier, à la veille du début de l’Avent, en compagnie de douze autres hommes d’Eglise.
Pour Raniero Cantalamessa, le pape François est un phare de lumière et d’espoir en ces temps d’obscurité. «Je repense souvent à cet extraordinaire Urbi et Orbi du 27 mars. Dans un décor surréaliste, tout seul sur une place Saint-Pierre vide et pluvieuse à Rome, François a posé son diagnostic de la situation: ‘Dans un monde malade, nous pensions pouvoir rester en bonne santé’. La pandémie a brisé cette illusion», explique-t-il dans un entretien à l’hebdomadaire catholique belge Tertio.
Pourquoi avez-vous décidé de devenir capucin, sur les traces de François d’Assise?
Raniero Cantalamessa: Quand j’avais douze ans, en 1946, je suis entré dans un petit séminaire tenu par des capucins. A cet âge, je ne savais pas quoi faire de ma vie. Après quelques mois, nous avons eu une retraite, et là j’ai entendu pour la première fois parler aussi explicitement de Dieu, de Jésus, de son amour pour nous et de la vie éternelle. J’ai découvert que Dieu existe et qu’Il était capable de donner du sens et de la joie à ma vie. Au terme de cette retraite, j’avais une assurance absolue et joyeuse que je voulais devenir franciscain. C’était ma première vraie rencontre avec Dieu et j’ai gardé le souvenir de cela, toute ma vie, comme un phare qui brille de temps en temps dans les ténèbres.
«J’ai découvert que Dieu existe et qu’Il était capable de donner du sens et de la joie à ma vie.»
Au départ, vous poursuiviez une carrière universitaire, mais vous avez soudainement démissionné en 1979. Pourquoi?
Après mes études de théologie et de philologie classique, j’ai en effet commencé à enseigner à l’Université catholique de Milan. En 1977, j’ai eu l’occasion d’assister à une conférence charismatique œcuménique à Kansas City, aux Etats-Unis. Il y avait environ 40’000 personnes. Là, j’ai découvert ce que signifie proclamer: «Jésus est Seigneur!» De Kansas City, je suis allé dans une maison de retraite dans le New Jersey, où j’ai prié pour recevoir le baptême dans l’Esprit. En tant que théologien, je me suis demandé ce que pouvait signifier ce «baptême dans l’Esprit».
Peu de temps avant son Ascension, Jésus fait remarquer aux apôtres: «Bientôt, vous serez baptisé dans L’Esprit Saint» (Actes 1, 5). Quelques jours plus tard, c’était la Pentecôte… Au concile Vatican II, le pape Jean XXIII a demandé à Dieu une «nouvelle Pentecôte pour l’Eglise», et Dieu a répondu. J’ai compris cet événement comme un renouvellement de mon baptême, de ma confirmation, de mes vœux religieux et de mon ordination sacerdotale. C’était permettre à l’Esprit de souffler sur les cendres pour que le feu, qui m’avait été confié auparavant par les sacrements, puisse s’enflammer.
De retour à Milan, j’ai commencé à participer à des groupes de prière charismatiques. Un jour, j’ai vu passer Jésus intérieurement et il m’a dit: «Si tu veux m’aider à annoncer le Royaume de Dieu, laisse tout derrière toi et suis-moi.» J’ai tout de suite compris ce que le Seigneur voulait que je fasse: abandonner ma chaire, tout abandonner et devenir un fervent prédicateur de sa Parole comme l’a été François d’Assise. Je ne savais pas par où commencer, mais cela est vite devenu clair.
«Je suis très étonné que les papes prennent le temps d’écouter les sermons d’un simple prêtre.»
Vous avez reçu un appel de Rome.
En effet, après ma «deuxième vocation», j’ai quitté l’université et je me préparais à quelque chose de nouveau quand soudain j’ai reçu un appel de notre Supérieur général à Rome. Il m’a informé que Jean-Paul II m’avait nommé prédicateur de la maison pontificale. Peu de temps après, je prononçais, pour la première fois, les sermons du carême pour le pape, les cardinaux, évêques et prélats de la Curie romaine et pour certains supérieurs d’ordre religieux et de congrégations. Depuis 1980, je suis responsable des méditations des vendredis de l’Avent et du Carême, chaque année. Je suis très étonné que les papes prennent le temps d’écouter les sermons d’un simple prêtre.
Vous avez rempli cette mission pour trois papes successifs. Qu’en retenez-vous?
Demeurer à proximité de Jean-Paul II était en soi déjà un merveilleux cadeau. On avait le sentiment d’être en présence d’une personnalité gigantesque, mais ce que j’ai trouvé le plus frappant spirituellement et historiquement, c’est lorsqu’en l’an 2000, il a demandé pardon pour ce que l’Eglise avait fait de mal aux Juifs, à la science et aux autres dans le passé.
Chaque pape est censé servir l’Eglise avec son propre charisme, sachant très bien que personne n’est en mesure de remplir toutes les attentes et obligations associées à cette fonction. Benoît XVI a davantage accentué – encore que pas exclusivement – les aspects théologiques et doctrinaux, tandis que François met l’accent – encore une fois pas exclusivement – sur la pastorale. Il ne néglige certainement pas sa tâche d’enseignant, il a plutôt élargi cette mission d’enseignement. Ses encycliques sur la préservation de la création, Laudato si’, et sur la fraternité, Fratelli Tutti, ont atteint un public beaucoup plus large que les catholiques.
Vous êtes également très engagé dans le dialogue avec les Eglises pentecôtistes et dans le Renouveau charismatique. Que pouvons-nous apprendre de ces communautés et mouvements?
La période qui a précédé le concile Vatican II a été marquée par une hostilité envers l’autre, tandis qu’après le concile la recherche de l’unité est devenue primordiale. Le concile a inauguré une nouvelle attitude. Les autres chrétiens n’étaient plus «hérétiques» mais sont soudainement devenus «nos frères séparés» et aujourd’hui simplement «nos frères et sœurs». Le concile a posé les bases théologiques de ce changement, mais cela n’a pas été le facteur déterminant, pas pour moi en tout cas. Ce qui m’a convaincu, c’est ma rencontre avec le Renouveau charismatique et ce baptême dans l’Esprit. Cela a changé mon attitude à l’égard des autres chrétiens et communautés ecclésiales. J’ai reçu la grâce de l’unité avec le don de l’Esprit.
Pendant dix ans, j’ai fait partie de la délégation catholique qui a promu le dialogue avec les Eglises pentecôtistes. J’ai aussi découvert la puissance de la pensée de Martin Luther, et j’ai toujours certains de ses livres à portée de main. Il est important, dans le dialogue entre catholiques et protestants, de se libérer des polémiques du passé. Les anciennes contradictions entre la foi et les œuvres ou entre l’Ecriture et la Tradition persistent sous forme de stéréotypes, mais elles ont été surmontées depuis longtemps.
«La situation dans l’Eglise et dans le monde a profondément changé depuis la Réforme. Le combat ne concerne plus la doctrine mais une personne: que nous croyions ou non au Christ.»
Nous partageons beaucoup plus de choses que nous ne le pensons et nos visions sont plus proches les unes des autres que ne le suggèrent certaines formules. Nous devons éviter de rester prisonniers du passé. Au contraire, il faut oser faire un pas en avant, et même passer à la vitesse supérieure. La situation dans l’Eglise et dans le monde a profondément changé depuis la Réforme. Le combat ne concerne plus la doctrine mais une personne: que nous croyions ou non au Christ. Tous les chrétiens d’aujourd’hui sont confrontés aux mêmes défis et nous pouvons apprendre des réalisations de chacun pour les surmonter. Nous pouvons également nous entraider pour purifier notre foi, nous débarrasser des excès, des abus et des déraillements. Nous pouvons nous garder mutuellement sur la bonne voie.
Dans son exhortation Gaudete et Exsultate sur l’appel à la sainteté, le pape François décrit les Béatitudes comme la carte d’identité du chrétien. Vous avez écrit un livre sur ces Béatitudes comme étant huit étapes vers le bonheur. Pouvez-vous nous éclairer là-dessus?
Les Béatitudes ne peuvent être comprises si on ne prend pas en compte la révolution de joie et de bonheur que le Christ nous a apportée. Le plaisir et la souffrance alternent dans la vie sous forme de flux et de reflux. Au milieu de nos plaisirs, une certaine amertume sugit, comme Lucrèce, le poète de l’Antiquité, le savait déjà. Dans ce qui semble être agréable, il y a la promesse de l’infini et de l’éternité, mais après nous restons souvent les mains vides. Les toxicomanies et les abus sexuels en sont les exemples les plus évidents. Après des moments d’intoxication et d’extase, ils conduisent à l’autodestruction.
Le Christ a brisé ce cercle vicieux. Par sa résurrection, il a ouvert la voie à un nouveau type de bonheur qui ne précède pas la souffrance qu’il cause, mais la suit comme son fruit. Le plaisir et le bonheur ne mènent plus à la souffrance, mais le don de soi et la souffrance mènent à la joie et au bonheur. Et ce n’est pas une simple joie spirituelle, mais une joie globale, y compris le plaisir que l’homme et la femme éprouvent dans le don mutuel de soi, ou le plaisir d’être créatif et de produire de l’art, ou la joie que vous trouvez dans la beauté et l’amitié, ou dans l’accomplissement d’une tâche; bref, chaque joie que nous éprouvons à accomplir un acte de création, où nous contribuons au bien, au vrai et au beau.
Il ne s’agit, de plus, que du simple renversement de l’ordre du plaisir et de la souffrance. Le message crucial de Jésus est que le bonheur a le dernier mot, que l’amour surmonte la souffrance et la mort, et conduit au bonheur éternel. Mais cela commence déjà maintenant, dans nos vies. De plus, ce bonheur évangélique est accessible à tous.
Notre temps a besoin de ces Béatitudes et du Magnificat, de saints qui font de la révolution du Christ une réalité. Quand nous fêterons Noël, la fête de la joie par excellence, n’oublions pas qu’il ne s’agit pas de notre propre plaisir, mais de rendre les autres heureux et de ne laisser personne dans le froid. Nous trouvons le vrai bonheur en nous donnant aux autres. (cath.ch/dimanche/evl/ch/bh)
Bio expess
Raniero Cantalamessa (1934) est originaire de Colli del Tronto dans le centre de l’Italie. Il rejoint les Capucins et est ordonné prêtre en 1958. Il est titulaire de doctorats en théologie et en philologie classique. Il enseigne l’Histoire paléochrétienne à l’Université catholique de Milan et y devient directeur du Département des sciences religieuses, jusqu’en 1979. L’année suivante, le pape Jean Paul II le nomme «prédicateur de la maison pontificale».
A ce titre, il propose des méditations pour le pape et les membres de la Curie romaine tous les vendredis de Carême – y compris le Vendredi Saint – et de l’Avent. Il vit dans un ermitage à Cittaducale dans la province de Rieti, mais le prédicateur parcourt le monde pour des retraites et des conférences. A la demande du pape, il prêche une retraite pour les évêques des Etats-Unis en janvier 2019, après la révélation de nouveaux scandales d’abus.
Le capucin apparaît aussi régulièrement dans les médias italiens et a publié de nombreux ouvrages de théologie et de spiritualité. Après la prière de l’Angélus du 25 octobre, le pape François a annoncé que le 28 novembre, veille l’Avent, il créerait treize nouveaux cardinaux, dont le Père Cantalamessa. Celui-ci ayant dépassé l’âge de 80 ans, il ne peut plus participer à un conclave. EVL
Rédaction
Portail catholique suisse
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