Pour cause de pandémie, ils ne s’étaient plus rencontrés depuis des mois. À l’invitation du Centre Montalvo, une organisation jésuite qui travaille sur les droits environnementaux et humains, une quinzaine de représentants d’organisations de défense de l’environnent du nord-ouest de la République dominicaine, près de la frontière haïtienne, se sont retrouvés en novembre 2020. Elles se sont rencontrées dans un centre éco-touristique de la Cordillère centrale, une chaîne montagneuse au cœur de la région de Dajabón. «Nous sommes ici pour décider de la manière dont nous allons nous mobiliser afin de dénoncer une nouvelle fois la déforestation et les menaces d’exploitation minière qui planent sur cette région», explique Heriberta Fernández, Coordinatrice nationale pour le développement local et les politiques publiques au sein du Centre Montalvo.
Connue pour ses plages idylliques et ses hôtels de luxe, la République dominicaine ne vit pourtant pas que du tourisme. Les zones franches, les transferts de fonds des migrants vivant pour la plupart aux États-Unis et l’exploitation minière, en particulier d’or et de ferronickel, constituent les autres piliers de l’économie de ce pays de 11 millions d’habitants. Situé sur l’île d’Hispaniola, partagée avec Haïti, le pays compte 120 sites miniers actifs, dont la 4ème mine d’or la plus importante du monde. Et c’est justement un nouveau méga projet mené dans la Cordillère centrale par «Unigold», une compagnie minière canadienne, qui est au centre des conversations de la réunion.
«La situation est très préoccupante car cette zone montagneuse renferme près de 400 cours d’eau, dont le rio Artibonito, le plus important de l’île, qui naît ici et s’écoule ensuite à Haïti. Or si ces cours d’eau sont contaminés par les rejets toxiques comme le cyanure, c’est toute la population et les écosystèmes de la région et de nos voisins qui vont être touchés», explique Julio Ovalle Gomez, président de la Coalition environnementale du Nord-Ouest (COANOR), partenaire local du Centre Montalvo. Cette pollution pourrait alors lourdement altérer les ressources hydriques, déjà en nette diminution à cause des vagues de sécheresse qui touchent chaque année la région. Un fléau causé par la déforestation massive.
«Plus de 3 millions d’arbres ont disparu en moins de 25 ans, indique Alcibiades Tejada, agronome. L’élevage extensif est responsable pour moitié de cette déforestation. 20% de la déforestation est due aux acteurs de l’industrie forestière, et environ 10% aux monocultures comme les agrumes, les avocats, les bananes et la canne à sucre, qui sont en outre de gros consommateurs de produits chimiques, notamment de glyphosates. Les 20% restants sont le fait de petits agriculteurs qui, par manque de terres, sont obligés de déboiser pour planter et se nourrir». Sans compter qu’en l’absence de couvert forestier, les ouragans font de plus en plus de dégâts.
«Le Centre Montalvo, s’est fixé comme mission d’accompagner et de collaborer dans les processus territoriaux de prise de pouvoir de la population pour le développement des communautés et des personnes, souligne Heriberta Fernández. Le thème de l’environnement fait partie de notre mission et de la mission des Jésuites dans le monde, pour le soin de la Maison commune». Avant d’intégrer le centre jésuite, Heriberta, 48 ans, a été pendant plusieurs années missionnaire dominicaine du Rosaire, avant de quitter les ordres. «Pendant cette période, je me suis connectée à la théologie de la libération, au féminisme et à l’importance de ne pas vivre dos au peuple», souligne t-elle. Une lutte qui se concrétise notamment aujourd’hui, par l’accompagnement d’organisations de femmes paysannes.
Marimena Antonia en fait partie. Coordinatrice d’un groupe de petites agricultrices qui pratiquent l’agro-écologie au sein de la communauté de Las Rosas, cette haïtienne de 55 ans, arrivée dans le pays à l’âge de 14 ans, entend «lutter les mains dans la terre». «Au-delà de produire des aliments sains, nous devons prouver que nous n’avons pas besoin de détruire les arbres ni de travailler dans une mine pour vivre dignement», tonne t-elle en regardant d’un air outré les collines environnantes dénudées. La démarche est encouragée par le Centre Montalvo, qui met également l’accent sur la sensibilisation des jeunes à la protection de l’environnement.
«Nous avons développé un travail spécifique destiné aux jeunes avec la collaboration des enseignants. Ces derniers consacrent régulièrement du temps aux enjeux de la protection de l’environnement, indique Amin Matias Vasquez, Coordinateur national des jeunes au sein du Centre Montalvo. L’objectif est que les élèves et collégiens, après avoir été informés, deviennent à leur tour des relais d’information auprès de leurs familles et communautés». De jeunes adultes sont également conviés à participer à ces sensibilisations. C’est le cas de Massiel Alt Urbaez, 25 ans. Psychologue de formation, la jeune femme a présenté pendant plusieurs années le journal sur les ondes de Radio Santa Maria, une station catholique à Dajabón. «C’était déjà l’occasion de dénoncer, mais aussi d’alerter sur la nécessité de protéger l’environnement. Mais je veux désormais me tourner davantage vers les enfants, car ils sont les premiers concernés par le futur de la planète».
Toutes ces initiatives correspondent à la ligne de travail insufflée par le Père Francisco Escolastico, le directeur du Centre Montalvo. Le religieux se dit toujours très inspiré par l’encyclique Laudato si’. «C’est une encyclique d’une vitalité et d’une actualité impressionnantes», s’enthousiasme t-il. Pourtant, cinq ans après la parution du texte pontifical, le Père Escolastico estime qu’il faut être plus offensif. «En République dominicaine, il y a eu beaucoup d’initiatives pour défendre l’environnement depuis la publication de Laudato si’, admet le jésuite. Mais des campagnes comme ›Allons planter des arbres avec jeunes!’ ou ›Allons ramasser les poubelles sur les plages!’, si elles sont louables et utiles me paraissent cependant un peu romantiques!».
Le directeur du Centre Montalvo souhaite en effet aller plus loin. «Nous devons travailler sur des réalités bien plus graves, comme l’industrie minière, par exemple. Il ne s’agit pas de poser un véto à la mine, mais d’agir pour qu’elle soit responsable, pour que la communauté voisine du site soit bénéficiaire de cette activité, que l’environnement soit respecté. Donc il nous semble que la mission du Centre Montalvo ne doit pas se limiter au soin et à la prévention. Mais aussi dénoncer ce qui est détruit». (cath.ch/jcg/bh)
Jean-Claude Gérez
Portail catholique suisse
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