Sœur Isabelle me guide d’un pas énergique dans le dédale du monastère des dominicaines d’Estavayer-le-Lac (FR). Nous débouchons sur une cour intérieure à l’autre bout de laquelle se trouve un bâtiment moderne. Pas âme qui vive. La grisaille froide de décembre accentue la tristesse de «La Source». Le lieu est habituellement un foyer vivant où se succèdent les groupes, les retraites et les rencontres d’un ou plusieurs jours. Le virus a réduit le bâtiment au silence.
«L’hôtellerie représente au moins 60% de nos revenus annuels. Fin février, 2020 toutes nos réservations ont été annulées. Trois mois sans notre source de revenus principale, c’est dur». L’activité n’a, de plus, pas repris rapidement à la fin du semi-confinement. «Nous avons rouvert fin mai, mais les gens ne sont pas revenus tout de suite». Effectivement, entre inquiétude et distanciation encore en vigueur, les clients se sont fait attendre et les moniales ont dû patienter jusqu’à mi-juin pour enregistrer à nouveau des réservations.
Juillet et août ont en revanche été de bons mois. «Nous avons dû refuser du monde». La communauté a profité des vacances «forcées» des Suisses au pays. On a pu croire que l’activité repartait… jusqu’à la deuxième vague. Le planning de septembre s’est vidé. «Nous devions accueillir des dominicains du monde entier. La Source ne rouvrira sans doute pas avant le printemps», admet Sœur Isabelle. La situation ne semble pas avoir entamé son moral.
Il est encore difficile de chiffrer le manque à gagner, mais l’année sera mauvaise. Les dominicaines ont fait une demande de subside auprès du canton, mais ne sont pas sûres de remplir les conditions pour obtenir une aide (moins de 40% du chiffre d’affaire de l’année précédente). En attendant, la communauté vit sur ses réserves. «Cette activité d’hôtellerie c’est notre gagne-pain. Cela dit, nous ne nous plaignons pas. Tant de gens ont perdu leur entreprise ou leur emploi!». Les sœurs peuvent compter sur le soutien de l’Association des Amis du monastère et des dons. Et les balbutiements d’une activité démarrée en 2019.
Les dominicaines misent en effet sur le savon et les cosmétiques naturels dont elles ont entrepris la production fin 2019 pour compléter leurs revenus. «Sœur Marie-Jean et moi nous sommes formées à la fabrication de ces produits naturels». Savons, shampoing solide, gommage, baume à lèvre, huile pour le corps, liniment pour bébé, etc. Sœur Isabelle énumère la gamme de produits corporels, faits maison, tout en vantant leurs bienfaits. L’argumentaire est bien rôdé… en attendant de pouvoir les vendre sur les marchés.
«Nous nous sommes formées en 2019, avant la pandémie de covid-19. Il s’agissait de créer quelque chose de nouveau après l’arrêt, en 2018, de la fabrication du Bouquet de Provence». Une eau de toilette rafraichissante dont les Sœurs de Béthanie avaient laissé la recette aux dominicaines en quittant Châbles, une localité située près d’Estavayer-le-Lac, en 2004. La fragrance connaissait un beau succès dans la région.
Malheureusement, le fournisseur des essences composant la fameuse eau de toilette a revu ses volumes de commercialisation à la hausse. «Nous ne commandions pas d’assez grosses quantités de matières premières pour rester dans le fichier clients».
La formation achevée à Payerne, dans l’entreprise qui livre les matières premières aux sœurs, nos deux apprenties se sont lancées dans la production de leurs savons et cosmétiques. Avec l’idée de profiter des marchés alentours pour faire connaître leur nouvelle gamme pour en favoriser l’essor. «En effet, si nos savons se vendent plutôt bien sur internet, ce n’est pas le cas des cosmétiques: les clients veulent les tester, les humer et nous devons les expliquer».
Alors que la production avait atteint un bon niveau, la pandémie a arrêté les marchés, stoppant net la communauté dans son élan. «Et les grands marchés monastiques ont été annulés! La catastrophe!». Sœur Isabelle misait en effet sur les grands rendez-vous annuels de Saint-Maurice, Saint-Ursanne et Mariastein pour vanter les mérites de ses produits.
Les cosmétiques ne vont pas sauver l’année, reconnaît la pétillante sœur. Mais la pose forcée qu’impose la pandémie leur permet de revoir la composition de l’offre, l’étiquetage et le packaging. Certains produits ne connaissent pas le succès escompté: «Nous allons arrêter le baume à lèvre». Le gros chantier est à venir: l’établissement des certificats de sécurité pour chaque produit comportant l’origine et le traçage des composants.
La législation va imposer, dès le mois de mai 2021, un certificat de sécurité pour les produits cosmétiques. «Si nous faisions faire ce travail par un médecin, cela nous coûterait 2 à 3’000 francs par article. «Heureusement, l’entreprise avec laquelle nous travaillons peut établir ces certificats à moindre coût, puisque nous appliquons des recettes partagées».
La tache se complique avec la rupture de stock de certains types de conditionnement, due à la pandémie. Les pots noirs des gommages ne sont plus disponibles, obligeant les sœurs à refaire des étiquettes s’adaptant mieux à des pots transparents. «La rupture d’approvisionnement de certaines matières premières nous a obligées à arrêter la fabrication de certains produits».
Un passage à l’atelier de conditionnement des envois qui sert aussi à stocker les cosmétiques montre une certaine effervescence. Un médecin a commandé une dizaine de petits assortiments qu’une sœur s’applique à faire entrer dans un carton. Et la communauté a reçu une commande de 205 savons un peu plus tôt dans la journée. «Heureusement, avec la cure – période d’un mois minimum durant laquelle il faut laisser le savon reposer et sécher – nous avons des stocks importants». La vente en ligne permet d’amortir le choc.
Les stocks sont importants à l’image des étagères bien pleines. La communauté fait le dos rond en attendant des jours meilleurs même si, ces temps-ci, «ce n’est pas franchement réjouissant», les ventes pour Noël mettent un peu de baume au cœur des sœurs. (cath.ch/bh)
Bernard Hallet
Portail catholique suisse
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