Wilton Gregory, un cardinal pour guérir les blessures américaines 7/9

La présence du nom de Mgr Wilton Gregory, archevêque de Washington, sur la liste des futurs cardinaux est probablement celle qui a été le plus remarquée lors de l’annonce du consistoire le 25 octobre 2020. Dans une Eglise américaine blessée et divisée, le choix de cette personnalité de dialogue est important.

Dans un contexte marqué par les élections américaines et précédé, quelques mois auparavant, par l’assassinat de George Floyd, le choix d’élever l’archevêque de Washington à la pourpre cardinalice – une première dans l’histoire pour un afro-américain – a été perçue par beaucoup comme un symbole. Dans une Église catholique américaine blessée par les scandales d’abus, en particulier par le cas McCarrick, prédécesseur de Gregory à Washington, et divisée par les questions sociales et politiques, la nomination de cette personnalité très attachée au dialogue et engagée dans l’apaisement social semble par bien des aspects significative. 

Wilton Gregory est né en 1947 dans une famille afro-américaine non-catholique dans les quartiers populaires de Chicago. Après le divorce de ses parents, il est élevé par sa mère et sa grand-mère, qui l’inscrivent dans une école catholique. Cette simple décision va bouleverser sa vie : six semaines plus tard, le jeune garçon veut devenir prêtre, une décision qui ne le quittera plus. Cette conversion à onze ans, belle et radicale, le pousse à se faire baptiser en 1959 et l’accompagne jusqu’au 9 mai 1973, jour de son ordination à l’âge de 25 ans. 

Devenu prêtre, le Père Gregory étudie tout particulièrement la liturgie, à Chicago puis à Rome. Il se retrouve aussi à cette époque, lors de ses premières missions pastorales dans plusieurs paroisses, sous la protection d’une personnalité importante, le cardinal Joseph Bernardin, archevêque de Chicago entre 1982 et 1996. C’est probablement sous son impulsion que le prêtre est nommé évêque de Belleville par Jean Paul II en 1993. 

En première ligne face aux abus sexuels

Ce diocèse de l’Illinois, à proximité de St. Louis, est marqué par de très graves affaires d’abus sexuels, qu’il combat avec ténacité. Alors que l’Église américaine traverse à cette période une très éprouvante crise dans ce domaine, sa capacité à prendre le problème à bras le corps ne passe pas inaperçue. Elle n’est en tout cas pas étrangère au fait qu’en 2001, il devienne le premier afro-américain à prendre la tête de la Conférence des évêques des États-Unis. Pendant cette période, il contribue à façonner la politique dite de «tolérance zéro» pour répondre aux très nombreux scandales des abus sexuels. 

Reconnu par ses pairs et sa hiérarchie, le pape François lui confère la charge prestigieuse et souvent cardinalice d’archevêque de Washington. Un archidiocèse qu’il récupère alors que son prédécesseur, le cardinal Donald Wuerl, a démissionné après avoir été accusé par un jury de Pennsylvanie d’avoir couvert des abus, et sur lequel plane surtout l’ombre du très controversé cardinal Theodore McCarrick, archevêque de Washington de 2000 à 2006. Ce dernier, condamné pour de nombreux abus sexuels sur de jeunes séminaristes, a été réduit à l’État laïc en 2019.

À la lecture du récent rapport du Vatican sur McCarrick, Mgr Gregory a fait part de sa honte, sa tristesse et sa colère, appelant à soutenir la guérison de ceux qui ont été blessés. Il a part ailleurs reconnu le chemin restant à parcourir : «Quel pas énorme et tenace reste-t-il à faire face aux innombrables personnes que nous avons déçues !»

Dialoguer avec les minorités

Homme de dialogue, il est nommé en 2004 archevêque d’Atlanta, en Géorgie, par le pontife polonais. Sur place, il se distingue par une attention importante accordée à la communauté LGBT, comme le souligne le New York Times. « Ces hommes et ces femmes sont les fils et les filles de l’Église, et pourtant, dans de trop nombreux cas, ils ne se sont pas sentis accueillis ou respectés », déclare-t-il publiquement.

Installé à Washington durant le mandat du président Donald Trump, il hérite d’une Amérique divisée sur les questions raciales. Dès lors, il lance de nombreux appels à l’apaisement dans un pays où les tensions sont exacerbées, notamment en juin 2020 après la mort de George Floyd, un noir américain tué par des policiers.

Quelques semaines plus tard, lors d’une commémoration de la «Marche sur Washington» de Martin Luther King de 1963 – au cours de laquelle ce dernier prononça son fameux « I have a dream » – Mgr Gregory a livré un plaidoyer pour l’unité. « Nous avons la tâche et le privilège de faire avancer les objectifs qui ont été si éloquemment exprimés il y a 57 ans », déclarait-il. « Des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux, des personnes de toute origines raciales et ethniques sont nécessaires dans cet effort. »

Un cardinal pour l’après-Trump?

Les relations entre l’archevêque Gregory et le président Donald Trump ont souvent été tendues. En juin, il avait reproché au locataire de la Maison Blanche d’instrumentaliser une visite au sanctuaire national Saint Jean Paul II, un jour après d’importantes manifestations de Black Lives Matter devant la résidence présidentielle. « Je trouve déconcertant et répréhensible qu’une institution catholique se permette d’être si manifestement mal utilisée et manipulée d’une manière qui viole nos principes religieux », avait-il déploré.

Après l’élection à la présidence des États-Unis du catholique Joe Biden, l’archevêque de Washington s’est montré plus conciliant, tout en soulignant que sur de nombreux points, le président démocrate divergeait de l’enseignement catholique. « Il y a des domaines où nous ne serons pas d’accord », a-t-il insisté dans un entretien avec le site jésuite America, mentionnant notamment la question de l’avortement. «J’espère que ce sera un vrai dialogue, parce que je pense que c’est le mantra du pape François  – que nous devrions être une Église en dialogue, même avec ceux avec qui nous avons de sérieux désaccords», a-t-il expliqué. Critique mais ouvert à la discussion, c’est sur cette voie que compte s’engager le futur cardinal de Washington. (cath.ch/imedia/mp)

Maurice Page

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