L’Inde fait partie des pays où la persécution des chrétiens est qualifiée d’extrême, selon de nombreuses ONG. A l’instar des autres minorités religieuses, notamment musulmanes, ils ont peur du climat nuisible porté par la politique du Premier ministre Narendra Modi, dont le but avoué est de faire basculer le pays d’un Etat laïc à un pays où l’hindouisme serait la religion d’Etat. Au pouvoir depuis mai 2014 et largement réélu en mai 2019, son gouvernement perpétue des «attaques croissantes contre les minorités religieuses» et tolère «les discours de haine et les incitations à la violence», dénonce la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale.
Face à la détérioration drastique des conditions de la liberté religieuse constatée en 2019, l’ONG préconise de placer le pays sur liste noire. De retour en France après y avoir travaillé 54 ans comme missionnaire pour le compte des Missions étrangères de Paris, le Père Henri Bonal, 82 ans, revient sur cette évolution inquiétante, alors que le pays s’enfonce dans l’autoritarisme et le nationalisme hindou.
Selon l’ONG Portes Ouvertes, 447 cas de persécution ont été relevés en 2019. Comment se traduisent-ils concrètement?
Henri Bonal: Il s’agit d’attaques contre des institutions chrétiennes, d’actes de vandalisme contre des églises ou des statues, ou encore d’attaques menées contre des chrétiens par des groupes de fondamentalistes hindous.
Ces actes de violence ont donc augmenté depuis?
Oui, clairement, car cette évolution correspond à l’idéologie populiste du pouvoir en place, celle du BJP (Bharatiya Janata Party), le parti nationaliste hindou, qui voudrait ramener tout le monde à la foi hindoue. Or, pour prendre le pouvoir et s’y maintenir, Narendra Modi s’est appuyé sur le soutien des fondamentalistes hindous. Et pour eux, un Indien ne peut pas être autre chose qu’un hindou. S’il est d’une autre religion, il n’est pas 100% indien.
Comment les fondamentalistes hindous considèrent-ils les chrétiens?
Comme des étrangers à la nation. Ils disent d’un indien qui n’est pas hindou que «son sang a mal tourné». Leur objectif est de débarrasser le pays de leur présence. Or on oublie que le christianisme est arrivé en Inde dans les années 50 après J.C.
Il existe donc des populations acquises de longue date au christianisme…
Oui, et certaines sont économiquement et intellectuellement influentes, comme la minorité chrétienne du Kerala, qui vit au sud de l’Inde dans une relative sécurité du fait de son nombre. Ses membres, qui bénéficient d’un niveau supérieur d’éducation, souffrent moins de discrimination. Mais pour les politiciens du BJP, ce serait une victoire si ces chrétiens du Kerala se ralliaient à leur idéologie. Ils n’hésitent donc pas à tenter de les acheter à coups de millions de roupies…
Comment se passe cette «hindouisation» de la société?
Les fondamentalistes hindous organisent des campagnes pour ramener de force à l’hindouisme des populations tribales, par exemple, alors que celle-ci n’ont jamais été hindoues, mais chamaniques. En septembre dernier, 16 maisons de chrétiens «tribaux» ont ainsi été attaquées dans l’Etat du Chhattisgarh, à l’est de l’Inde, car leurs occupants refusaient d’abandonner leur foi chrétienne.
Dans cet Etat, 80% de ces «tribaux» se sont convertis au christianisme dès la fin du XIXe siècle, grâce aux missionnaires catholiques et protestants qui ont construit des écoles et des dispensaires dans ces régions. En devenant chrétiens, les «tribaux» sont progressivement sortis de la soumission et de la misère dans lesquelles ils étaient tenus par les hindous des castes supérieures, dont font partie les fondamentalistes hindous au pouvoir, et cela les rend fous.
Quelles sont les régions du pays les plus touchées par ces violences?
C’est surtout le nord de l’Inde, car la densité chrétienne y est beaucoup plus faible qu’ailleurs. On se souvient de l’épisode noir de Kandhamal, le 23 août 2008, dans l’Etat d’Orissa, au nord-est du pays. Suite au meurtre d’un leader hindou, les fondamentalistes ont accusé les chrétiens d’être les auteurs de l’assassinat. Ils ont détruit leurs propriétés et les ont forcés à renier leur foi. Lors des émeutes qui ont suivi dans tout l’Etat d’Orissa, 6’000 foyers chrétiens et 300 églises ont été pillées puis incendiées.
Au total, 101 chrétiens ont été assassinés, 18’000 blessés et plus de 56’000 déplacés. Par la suite, les humiliations à leur encontre se sont multipliées. Des centaines de chrétiens ont été rasés, contraints de boire de l’eau contenant des excréments et obligés de se convertir à l’hindouisme. Le procès qui s’en est suivi, considéré par des observateurs internationaux comme une parodie de justice, a malgré tout blanchi les chrétiens, mais le mal était fait: 12 ans après le drame, nombre d’entre eux n’osent toujours pas retourner dans leurs villages, par crainte des fondamentalistes hindous toujours plus virulents.
Pourtant, le droit de célébrer sa religion est reconnu par la Constitution indienne…
Oui, et cette Constitution républicaine et démocratique représente un gros obstacle pour le BJP de Narendra Modi, car il a pris ces dernières années des décisions anticonstitutionnelles comme l’introduction, dans déjà huit Etats indiens, de lois anti-conversion.
Que prévoient ces lois anti-conversion?
Elles stipulent que nul ne doit changer de religion par la force, la séduction ou des moyens frauduleux et invitent à signaler aux autorités toute conversion. Cette loi très restrictive a été introduite dans huit Etats de l’Inde. Elle vise à interdire la propagation de la foi chrétienne, car les extrémistes hindous ont tendance à présenter le travail social des chrétiens comme une incitation à se tourner vers la foi chrétienne. Une simple plainte en vertu de cette loi suffit donc pour obtenir l’arrestation d’un prêtre, d’un pasteur ou d’un chrétien qui témoigne de sa foi.
Les chrétiens pratiquent-ils des conversions «forcées» d’hindous?
Certains chrétiens, oui. Ce sont principalement des évangélistes et pentecôtistes rattachés à des groupes évangéliques américains, ceux avec lesquels le président Trump a assis sa politique. Il est vrai que parmi ces groupes, certains prosélytes n’hésitent pas à soudoyer des hindous pour qu’ils se convertissent au pentecôtisme ou à l’évangélisme. Tous les autres chrétiens en souffrent, car les nationalistes hindous ont tendance à généraliser et à nous amalgamer avec eux.
Comment s’explique l’impunité dont bénéficient les hindous radicaux?
Depuis l’arrivée au pouvoir du BJP, le système judiciaire n’est plus aussi libre qu’il ne l’était. Le gouvernement exerce sur lui des pressions telles que la police et les juges sont devenus craintifs. Quant aux médias, s’ils sont restés relativement libres, ils en paient aussi le prix: des journalistes sont assassinés en public, ou sont victimes d’agressions physiques et d’actes d’intimidation, de menaces de mort.
Quel rôle jouent les médias dans l’image des minorités chrétiennes?
Il existe en Inde une très grande diversité de médias et tout dépend de leur tendance. Ceux qui soutiennent le BJP et son idéologie pratiquent la primauté de la culture hindouiste sur toutes les autres. Ils véhiculent un discours anti-communautaire qui ne laisse aucune place à la culture des minorités, qu’il s’agisse de minorités religieuses, ethniques ou de castes. Leur idéologie populiste renforce clairement la discrimination contre les minorités. La tolérance religieuse, la protection des minorités, le pluralisme culturel et l’efficacité de la justice et l’Etat de droit sont remis en question. Tout comme la liberté d’expression, que le gouvernement musèle: il a ordonné en septembre dernier à Amnesty International de quitter le pays.
En tant que missionnaire chrétien, à quelles difficultés avez-vous été confronté dans la vie civile?
J’ai exercé tout mon ministère parmi les hindous et les musulmans, mais je n’ai jamais été confronté à des groupes hindous radicaux. Cela dit, depuis une dizaine d’années, j’ai rencontré des problèmes avec l’immigration. J’ai été expulsé à deux reprises du territoire indien et le renouvellement de mon visa est devenu plus compliqué. Depuis deux ans, je ne bénéficiais plus que d’un visa de touriste, qui m’obligeait à quitter l’Inde tous les trois mois. (cath.ch/cp)
Carole Pirker
Portail catholique suisse
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