Camille Dalmas, I.Media
Le rapport McCarrick prend soin, dans un but d’exhaustivité, de décortiquer de nombreuses étapes du parcours qui ont permis à l’ex-cardinal McCarrick de progresser et de se maintenir en haut de la hiérarchie catholique malgré son inconduite sexuelle et les abus commis. Le document s’arrête notamment sur ses très nombreux voyages hors des États-Unis. Ces déplacements semblent avoir été motivées par un intérêt prononcé de l’Américain pour les questions diplomatiques et un don certain pour les langues étrangères. Cette diplomatie parallèle pourrait aussi expliquer la complaisance à son égard d’un grand nombre de personnes haut-placées dans la hiérarchie de l’Eglise.
Une des destinations récurrentes de l’ancien archevêque de Washington a été la Chine. De 1992 à 2018, il a ainsi effectué une dizaine de voyages dans l’empire du Milieu, une zone où très peu de membres officiels de l’Église catholique avaient pu se rendre depuis 1950 et l’installation du régime communiste. Ces déplacements ont été suivis de près par le Saint-Siège – McCarrick ne manquant pas de faire rapport à Rome ses avancées personnelles. Ils semblent cependant plus tenir d’une forme de diplomatie informelle dans laquelle le pouvoir politique américain, mais aussi des acteurs privés, étaient aussi impliqués.
L’intérêt de Theodore McCarrick pour la Chine serait né de la rencontre à Washington avec le jésuite Mgr Aloysus Jin Luxian, évêque officiel du diocèse de Sanghaï. À noter que cette rencontre avait été encouragée par le cardinal secrétaire d’État de l’époque, Angelo Sodano, preuve de l’importance accordée par le Vatican à la reconstruction de liens avec la Chine.
Theodore McCarrick effectue son premier voyage en Chine en 1992 pour l’»Appeal of Conscience Foundation», une fondation multi-religieuse internationale promouvant la tolérance. Le but était d’étudier l’état de la liberté religieuse dans le pays communiste, dans un contexte où la réputation du pays est encore marquée par les massacres de Tian’anmen en 1989. McCartrick, alors archevêque de Newark, retourne en Chine en 1998, profitant de la politique d’apaisement menée par le président Bill Clinton, au sein d’une délégation œcuménique américaine constituée par la Maison Blanche. Il rencontre alors le président chinois Jiang Zemin, avec lequel il évoque des questions de liberté religieuse et de normalisation des relations entre la Chine et le Saint-Siège.
Comme lors de la plupart de ses déplacements, le cardinal semble porter une triple casquette: il rend des comptes à la hiérarchie catholique via les nonces ou directement au Vatican, voire au pape, mais aussi aux différents gouvernements américains, entretenant d’excellentes relations avec tous les résidents de la Maison Blanche de Clinton jusqu’à Barack Obama. Il a aussi recours à de nombreux soutiens et conseillers privés, parmi lesquels un consultant anciennement membre de l’OTAN et du renseignement militaire américain, qui semble veiller à financer les missions souvent informelles du haut prélat américain à partir de 2001.
L’appréciation du Saint-Siège face à ces déplacements particulièrement importants, étant donné qu’il s’agit d’un des rares canaux de discussion – très informel – ouvert entre Rome et Pékin, est ambiguë. D’un côté, son action semble être encouragée, notamment parce qu’il paraît dans le même temps s’agir d’une stratégie portée par le pouvoir américain. La Secrétairerie d’État insiste simplement pour que les missions ne soient pas perçues comme officielles.
Cependant, et à plusieurs reprises, l’administration romaine montre un certain scepticisme voire exprime quelques inquiétudes face à des voyages que l’intéressé décrit lui-même comme «très intéressants mais pas nécessairement très rentables». Cette méfiance ne va pas réduire le rythme de ses déplacements pour autant. Et ce, même lorsque le pape François confie au nonce Mgr Celli le soin d’ouvrir les négociations avec Pékin pour négocier à ce qui deviendra en 2018 l’accord historique sur la nomination des évêques.
Jouant sur le tableau politique national comme sur celui du Vatican, le rôle de McCarrick n’est pas aisé à déterminer. Il reconnaît lui-même qu’il n’est pas un expert de la Chine. Le cardinal Parolin encourage cependant ces voyages, ayant «adhéré au précepte diplomatique selon lequel il est préférable de promouvoir le dialogue et de ne jamais fermer une porte», explique le rapport.
Quelle influence a donc exactement joué l’ex-cardinal McCarrick? Son rôle d’intermédiaire pourrait laisser penser qu’il a servi les intérêts de plusieurs camps, mais rien, sinon une certaine réserve dans le rapport, ne permet de l’affirmer. Le document est en revanche très clair sur le fait que les contacts de McCarrick n’ont jamais participé aux négociations qui ont amené à l’accord historique sur la nomination des évêques de septembre 2018. Il insiste même sur le fait que c’est bien le cardinal Parolin qui a été le principal conseiller du pape François pendant ces années.
Une lettre de 2015 au Souverain pontife montre néanmoins que McCarrick a tout fait pour se rendre indispensable, allant jusqu’à déclarer au pape : «Je contribuerai à vous apporter la Chine et le grand rêve de Matteo Ricci commencera à se réaliser une fois de plus.» Une phrase tout sauf anodine, l’admiration de Jorge Mario Bergoglio pour le missionnaire jésuite du XVIe siècle étant publiquement connue – tout comme ses rêves de jeunesse de vie missionnaire en Asie. McCarrick réussi par la suite à organiser une rencontre avec une ONG environnementale chinoise au Vatican en 2016. Mais à la lecture du rapport, les ambitions chinoises du cardinal aujourd’hui déchu restent, il faut le reconnaître encore difficiles à cerner. (cath.ch/cd/mp)
I.MEDIA
Portail catholique suisse