Que savait Jean Paul II des allégations pesant sur McCarrick au moment où il décida de le nommer archevêque de Washington, puis cardinal? Le rapport sur la «connaissance institutionnelle et le processus décisionnaire du Saint-Siège concernant l’ex-cardinal Theodore Edgar McCarrick (1930-2017)», rendu public le 10 novembre 2020, permet de répondre en partie à cette question. On y trouve notamment en intégralité la lettre du cardinal O’Connor adressée en 1999 au Saint Siège par l’intermédiaire de la nonciature à Washington. Une missive à la conclusion sans équivoque: il ne fallait pas promouvoir McCarrick.
«Il m’est extrêmement difficile d’écrire cette lettre», commence par confier le cardinal O’Connor à Mgr Gabriel Montalvo, alors nonce apostolique à Washington en poste depuis seulement un an. «Car j’ai pu constater de mes propres yeux ses contributions extraordinaires [celles de McCarrick, NDLR] et je crois qu’il a fait avancer inlassablement la cause de l’Église pendant de très nombreuses années», poursuit l’archevêque de New York, qui connaissait l’intéressé depuis des années. «Toutefois, nuance-t-il immédiatement, pour le bien de cette même Église et son intégrité, et plus particulièrement si notre Saint-Père devait avoir à l’esprit une nouvelle mission encore plus importante pour l’archevêque McCarrick, notamment un siège cardinalice, je n’ai pas d’autre choix que de vous fournir ces informations».
En six points, le cardinal O’Connor livre ensuite tout ce qu’il a entendu sur le comportement de celui qui n’était alors «que» archevêque de Newark. Le haut prélat new-yorkais confie toutefois ne jamais pouvoir apporter de preuves irréfutables des faits déviants reprochés à McCarrick. «Il a été dit qu’il invitait fréquemment des visiteurs masculins à dîner et à passer la nuit», peut-on lire par exemple. «En général, ils partageaient un lit, bien qu’il y ait suffisamment de chambres d’hôtes», ajoute-t-il. Un peu plus loin, il raconte que l’archevêque de Newark organisait fréquemment des séjours avec des séminaristes dans une maison d’une station balnéaire du New Jersey. Or, «six partageaient les chambres d’hôtes et un le lit avec l’archevêque». Il ajoute immédiatement: «Cela se savait et était source de plaisanteries au sein du clergé».
Le cardinal O’Connor, qui avait été alerté au début des années 1990 par des lettres anonymes accusant McCarrick de pédophilie et d’inceste, raconte avoir demandé à un prêtre psychologue de son archidiocèse de s’entretenir avec un psychiatre. Ce dernier avait pris en charge au moins un prêtre potentiellement victime d’abus de McCarrick. «Le prêtre psychologue et le psychiatre semblent tous deux convaincus que le ou les prêtres en cours de traitement ont été victimes, volontairement ou non, dans leur relation inappropriée avec l’évêque McCarrick, alors évêque de Metuchen (New Jersey)», rapporte le cardinal. Il nuance: «Je dois avouer que je n’ai pas vraiment trouvé ma discussion avec le prêtre psychologue ou les conclusions du psychiatre définitivement convaincantes».
Dans son courrier, l’archevêque de New York «regrette» par ailleurs de devoir fournir les copies des fameuses quatre lettres anonymes reçues en 1992 et 1993. Le haut prélat confie au nonce les avoir à l’époque faites suivre à Mgr McCarrick, conformément à sa politique, «sans porter de jugement et en exprimant généralement mon soutien personnel».
Au détour d’un paragraphe, le cardinal O’Connor s’autorise une réflexion concernant les voyages «incessants» de Mgr McCarrick de par le monde. «Je mentionne cela uniquement pour me demander s’il existe un lien entre ce besoin apparent de voyager en dehors de l’archidiocèse et le fait qu’il ait apparemment mis ses anciennes prétendues inclinations derrière lui», écrit-il, soulignant qu’il serait «difficile» d’évaluer la pertinence de son propos. «Il est toutefois tout à fait concevable qu’il ait, par le biais de ces voyages, consacré toute son énergie aux affaires de l’Église, en partie pour déplacer l’utilisation de cette énergie dans les types d’activités inappropriées décrites ci-dessus», imagine-t-il.
À la fin de sa lettre, le haut prélat rédige avec «un profond regret» ses conclusions: «Je dois exprimer mes propres craintes et celles des témoins autorisés cités ci-dessus, à savoir que si l’archevêque McCarrick se voyait confier une plus grande responsabilité aux États-Unis, en particulier s’il est élevé au rang de cardinal, il y aurait de bonnes raisons de croire que les rumeurs et les allégations sur le passé pourraient faire surface».
Le cardinal est formel: «Il est très difficile de déterminer la vérité dans des cas aussi complexes». Néanmoins, il prévient que si «le bénéfice du doute doit toujours être accordé à l’accusé, le bien des âmes et la réputation de l’Église doivent être sérieusement pris en considération et le potentiel de scandale doit l’être tout autant».
Et d’en conclure: «Je ne peux donc pas, en conscience, recommander la promotion de Son Excellence, l’archevêque McCarrick à une fonction supérieure, si c’est la raison de votre enquête le concernant en ce moment. Au contraire, je regrette de devoir recommander très fortement de ne pas le promouvoir, en particulier s’il s’agit d’une promotion à un siège cardinalice».
Il est intéressant de noter que, dans cette lettre rendue publique par le présent rapport, c’est uniquement la peur d’un «grave scandale» et d’une «large publicité négative» qui pousse le haut prélat à prévenir le Saint Siège.
Avant de suggérer au nonce le nom de personnes qui pourraient éclairer le Saint-Siège sur le comportement de McCarrick, le cardinal O’Connor tient à réitérer son avertissement. «Je soutiendrais sans réserve toute nomination de notre Saint-Père, y compris une nomination à l’archevêché de New York, et j’apporterais toute l’aide nécessaire à toute personne nommée, y compris l’archevêque McCarrick. Dans le même temps, je considère comme une grave obligation de recommander à une autorité supérieure, y compris à notre Saint-Père personnellement, de s’opposer à une telle nomination».
Le cardinal O’Connor mourra quelques mois plus tard, en mai 2000, des suites d’une tumeur au cerveau. Le 21 novembre 2000, Mgr McCarrick sera nommé archevêque de Washington puis élevé un an plus tard au rang de cardinal de l’Eglise catholique. (cath.ch/imedia/hl/rz)
I.MEDIA
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/larcheveque-de-new-york-avait-averti-le-nonce-sur-mccarrick/