Comment la loi du silence a prévalu autour de Théodore McCarrick

Le rapport de la Secrétairerie d’État du Vatican sur l’ex-cardinal Theodore E. McCarrick, paru le 10 novembre 2020, donne un aperçu saisissant de la manière dont les témoignages des victimes des abus sexuels du prélat américain ont été mis de côté par les responsables d’Eglise, à tous les niveaux. Pendant des décennies, les lanceurs d’alerte n’ont pas été entendus.

Les 460 pages du rapport révèlent de nombreux récits de victimes ou de témoins des abus de l’ancien cardinal. Ces personnes ont cherché par de nombreuses façons à alerter les responsables de l’Église. Elles se sont le plus souvent heurté à un mur d’indifférence, rapporte le Catholic News Service (CNS).

Des allégations traitées de manière hasardeuse, ignorées ou rejetées ont donné lieu à des traces écrites irrégulières, à des enquêtes inefficaces qui n’ont pas permis de trouver de preuves solides et crédibles. Les rumeurs incessantes sur les penchants de McCarrick ont même fini par être exploitées par certains pour le dépeindre comme une «victime» de la jalousie de ses ennemis.

Une mère qui ne sait pas vers qui se tourner

Le rapport commence par le récit d’une mère new-yorkaise, appelée ‘Mother 1’ qui a écrit à tous les cardinaux américains et au nonce apostolique au milieu des années 1980 pour leur expliquer le comportement «dangereux» de McCarrick envers ses fils mineurs. Mais n’ayant laissé ni nom, ni adresse, ses mises en garde sont restées sans effet.

‘Mother 1’ décrit dans le rapport comment McCarrick a amené sa famille à lui faire confiance en recevant son attention bienveillante et généreuse pendant les années 1970 et 1980. Mais elle a commencé à voir l’évêque comme une menace lorsqu’elle l’a surpris en train de masser l’intérieur des cuisses de ses fils devant son mari, qui semblait «inconscient du comportement de Ted».

«McCarrick avait une attirance pour les jeunes garçons»

Alors qu’elle sentait qu’ils devaient le faire «sortir de leur vie», son mari «refusait de comprendre». Lorsqu’elle a découvert que McCarrick apportait de l’alcool lors de voyages de nuit avec ses fils mineurs, elle a réalisé qu’il était «une personne dangereuse» engagée dans des actes prémédités.

Les dénonciations anonymes simplement ignorées

Seule face à ses soupçons et craignant que McCarrick ne se venge sur ses enfants, elle ne se sait pas où aller ni vers qui se tourner. Elle passe alors une journée entière à «ressentir une pure colère» et à écrire une lettre à chaque cardinal américain et au nonce Mgr Pio Laghi. Elle ne voulait pas s’identifier ni identifier ses enfants, mais simplement avertir les autres que McCarrick avait «une attirance pour les garçons» en incluant tous les événements dont elle avait été personnellement témoin.

Sa peur et son anxiété face aux répercussions potentielles ont fait place à la colère lorsque «rien n’a été fait» et que ses lettres ont semblé ignorées. Le rapport indique qu’aucun original ou copie de ses lettres n’a jamais été retrouvé. Une série de lettres similaires de sources inconnues envoyées aux responsables d’Eglise en 1992 et 1993 accusant McCarrick de pédophilie, ne suscitèrent pas plus d’écho.

De nombreux séminaristes victimes de McCarrick

Le récit de séminaristes victimes des abus de Théodore McCarrick est tout aussi glaçant. Selon le rapport, le «Prêtre 1» a été le premier à faire une allégation sur l’inconduite sexuelle de McCarrick. À plusieurs reprises, de 1993 à 1996, il a en informé son évêque, Mgr Edward Hughes, successeur de McCarrick à Metuchen. Mais le «Prêtre 1» a été considéré comme peu fiable en raison de son propre aveu d’avoir abusé de deux mineurs. Cependant, les psychologues qui l’avaient examiné avaient trouvé crédible son témoignage sur les abus de McCarrick envers lui et ils avaient fait part de leurs évaluations à Mgr Hughes et à d’autres personnes.

«En 2005, Benoît XVI refuse de prolonger le mandat de McCarrick»

Les allégations de «Prêtre 1» sont finalement parvenues à la Congrégation pour la doctrine de la foi à Rome entre 2004 et 2005, après qu’il ait déposé un recours concernant les restrictions à son ministère. Cette information est apparemment parvenue au pape Benoît XVI, qui est alors revenu sur sa décision en 2005 de prolonger de deux ans le mandat de McCarrick, âgé de 75 ans, à la tête de l’archidiocèse de Washington, en l’invitant à démissionner immédiatement.

Des accords confidentiels pour empêcher la parole

Malgré les rumeurs le concernant, le ‘Prêtre 2’ a évité les enquêtes et les médias en 2002 parce qu’il avait entre-temps quitté le sacerdoce, fondé une famille et n’était pas prêt à bouleverser sa vie. En 2004, sa déclaration signée alléguant un harcèlement sexuel de la part de McCarrick a été transmise à la commission d’examen du diocèse de Pittsburgh et à l’évêque Donald Wuerl, qui l’a envoyée au nonce, Mgr Gabriel Montalvo. L’ancien prêtre avait également informé le diocèse de Metuchen en 2004.

Le ‘Prêtre 2’ a finalement conclu un accord de règlement confidentiel en 2005 avec les diocèses de Metuchen et Trenton et l’archidiocèse de Newark pour ses plaintes de harcèlement sexuel par McCarrick. Le rapport du Vatican n’a trouvé aucune trace d’une transmission de la déclaration du ‘Prêtre 2’ à Rome.

«Il faut pardonner, pour le bien de l’Eglise»

Le ‘Prêtre 3’, qui a déclaré avoir été agressé sexuellement par McCarrick à différentes occasions en 1991, a parlé de ces abus à son confesseur en 1993. Celui-ci l’a exhorté à en parler à son évêque, Mgr Hughes, ce qu’il a fait en 1994. L’évêque lui a alors conseillé de pardonner à McCarrick pour le bien de l’Eglise. Et le prêtre n’a pas reparlé des incidents avant 2010.

«Si on m’avait écouté, les choses auraient pu être différentes»

Il a déposé une plainte civile dans le New Jersey en 2011 concernant McCarrick et l’évêque Paul Bootkoski de Metuchen. Il a écrit au nonce, Mgr Carlo Maria Vigano en 2012, qui a relayé l’affaire au cardinal Marc Ouellet, préfet de la Congrégation des évêques, qui a donné au nonce des instructions spécifiques sur la manière d’enquêter. Le ‘Prêtre 3’ n’a jamais été contacté par le nonce, qui a plutôt pris langue avec l’évêque Bootkoski, qui lui aurait déclaré que le ‘Prêtre 3’ n’était pas crédible et fiable.

Son confesseur l’empêche d’en parler

Le ‘prêtre 4’ raconte qu’en 1984 et 1985, McCarrick avait eu avec lui des contacts physiques inappropriés mais qui ne lui semblaient pas sexuels à l’époque. Il a ensuite été sexuellement accosté par McCarrick lors d’un séjour d’une nuit à la maison de plage de Sea Girt. Le ‘prêtre 4’ explique qu’il en avait parlé au responsable des vocations du diocèse, mais que ce dernier lui avait fait sentir qu’il était en faute pour avoir fait des allégations aussi graves, qu’il avait besoin de conseils et qu’il pourrait ne pas être ordonné.

«En 1990, j’ai vu McCarrick tripoter un jeune clerc dans un restaurant»

Le ‘Prêtre 4’ ajoute avoir parlé à son évêque, Mgr Edward Hughes, en 1989, de l’agression sexuelle qui avait eu lieu dans la maison de la plage. L’évêque était visiblement en colère et a dit qu’il s’en occuperait. Le rapport n’a cependant trouvé aucune indication que quelque chose de concret ait été fait. Le ‘prêtre 4’ n’a rien dit à personne avant 2018, estimant avoir fait tout son possible puisque «on ne peut pas aller plus haut que l’évêque dans un diocèse». «Si on m’avait écouté, les choses auraient pu être différentes», déplore-t-il.

Un témoin qui ne parle pas

Mgr Dominic Bottino, alors directeur des vocations du diocèse de Camden, témoigne avoir vu en 1990 McCarrick, apparemment ivre, lors d’un dîner privé dans un restaurant de Newark, tripoter un jeune clerc terrifié. Mais il n’en avait jamais parlé jusqu’en 2018. Il explique avoir donné son témoignage pour soulager le fardeau de sa conscience depuis cet incident. 

Le rapport montre ainsi de manière crue, comment, pendant des décennies, les victimes et les témoins se sont battus dans un no man’s land pour faire entendre leurs accusations et faire valoir leurs droits.

Le document romain montre néanmoins aussi que les procédures de signalement mises en œuvre progressivement depuis les années 2000 dans l’Eglise américaine ont eu un effet concret. En 2017, lorsque l’archidiocèse de New York a reçu une allégation d’abus sexuel sur mineur par McCarrick au début des années 1970, la procédure a abouti d’abord au renvoi de McCarrick du Collège des cardinaux puis du sacerdoce en 2018. (cath.ch/cns/mp)

Maurice Page

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