«Pour trop de militants démocrates, l’avortement est devenu un test décisif de l’orthodoxie démocratique», déplorait en août le jésuite Thomas Reese dans la revue America. C’est sans doute en vertu de cette maxime que Joe Biden a évolué sur le sujet de l’avortement qui déchire les Américains, analyse le quotidien français La Croix.
Alors que Donald Trump, issu des milieux plutôt libéraux et progressistes new-yorkais, est devenu le porte-voix des «pro-vie» farouchement hostiles à l’avortement, Joe Biden a, lui, fait le chemin inverse pour se rapprocher des «pro-choix».
Au fil de sa longue carrière politique, Joe Biden, catholique pratiquant, installé à l’aile droite du parti démocrate, n’a pas caché son aversion pour l’avortement. Et le sénateur Biden a régulièrement voté en faveur de l’amendement Hyde – adopté chaque année par le Congrès – qui interdit plus ou moins largement les financements fédéraux pour cette pratique, amputant le budget du Planning familial et d’autres organisations, et interdisant une prise en charge par le système d’assurance de santé Medicaid, destiné aux plus démunis.
Sa campagne pour l’investiture démocrate en 2019 fut l’occasion de son rapprochement avec le courant progressiste du parti. Lors d’un déplacement en Caroline du Nord, Joe Biden a expliqué comment il avait concilié sa croyance catholique avec ses opinions sur l’avortement: «Je suis prêt à accepter pour moi, personnellement, la doctrine de mon Eglise [sur le moment où la vie commence], mais je ne suis pas prêt à l’imposer à toute autre personne». Aux Etats-Unis, un catholicisme sous-estimé mais influent.
Ces derniers mois, Joe Biden a affermi sa position en faveur du «droit des femmes à choisir» et s’est engagé à remettre en cause, autant que faire se peut, les restrictions renforcées sous le mandat Trump. Le président veut abroger à la fois l’amendement Hyde – souvent qualifié de «bâillon domestique» – mais aussi le «bâillon mondial», une règle en vigueur sous les seules présidences républicaines depuis Ronald Reagan et rétablie par Donald Trump en 2017, qui bloque l’aide américaine aux organisations jugées favorables à l’avortement à l’étranger.
Enfin et surtout Joe Biden voudrait qu’une loi fédérale protège le droit à l’avortement, si d’aventure l’arrêt historique «Roe contre Wade» de la cour suprême qui a légalisé en 1973 l’avortement aux Etats-Unis était remis en cause. Une perspective envisagée par Donald Trump qui a nommé trois juges à la cour suprême, et notamment la conservatrice Amy Coney Barrett en octobre.
«Joe Biden n’a aucune marge de manœuvre pour influencer la Cour suprême», relève l’historien Romain Huret, directeur d’études à l’EHESS. Mais selon lui, même conservatrice, la cour hésitera à annuler cet arrêt, eu égard à l’opinion publique. D’après une étude menée en 2019 par le Pew research center, 61% des adultes américains – et 56 % des catholiques – se disaient favorables à l’avortement «dans tous les cas» ou «la plupart des cas». Pour leur part, 55 % des protestants et 77 % des évangéliques y sont hostiles «dans tous les cas» ou «la plupart des cas».
Pour autant, le droit à l’avortement recule depuis des années, aussi bien sous les présidences républicaines que démocrates, notamment grâce au militantisme de la droite religieuse. Depuis dix ans, 450 restrictions à l’avortement ont été promulguées par les Etats selon l’institut Guttmacher, spécialisé dans l’étude de la santé et des droits sexuels et reproductifs. L’institut a classé onze Etats du Sud-est et du Centre dans la catégorie «très restrictifs», contre quatre qui demeurent «favorables» et un seul, la Californie, «très favorable» à l’avortement. L’avortement devient de ce fait de plus en plus difficile d’accès et de plus en plus coûteux, 1’400 francs en moyenne selon le planning familial.
Joe Biden n’a guère de prise pour infléchir leur politique, alors que la santé est une de leurs prérogatives. S’il plaide pour que l’avortement soit considéré comme «un service de santé essentiel» qui devrait être pris en charge par l’Obamacare, la loi sur les soins abordables, Romain Huret doute qu’il soit prêt à sacrifier une partie de son capital politique pour mener ce combat: «Barak Obama s’est épuisé sur cette question de l’avortement qui ouvre des débats interminables et fracture les démocrates. Pour obtenir leur vote sur l’Obamacare, il avait dû renoncer à la prise en charge de de l’avortement». (cath.ch/lcx/mv/cp)
Carole Pirker
Portail catholique suisse
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