Laurence Villoz, RTSreligion
Aux Etats-Unis, les évangéliques charismatiques sont ce que l’on appelle des «value voters», des électeurs qui se prononcent sur des critères basés sur des questions telles que la religion, l’avortement, la peine capitale ou encore le mariage homosexuel. Et pour eux, Donald Trump représente l’unique espoir pour l’Amérique.
Proches du pouvoir politique, ils ont développé une stratégie pour reconquérir la société américaine et lui imposer des valeurs chrétiennes très conservatrices. Dans Ces évangéliques derrière Trump, publié aux éditions Labor et Fides, André Gagné, professeur de théologie de l’Université de Concordia, à Montréal, décrypte leurs stratégie. Extraits de son interview proposée par RTS Religion et diffusée sur Espace 2 dans l’émission «Babel».
Quelle est l’inscription de ces évangéliques charismatiques dans le champ politique?
André Gagné: ils font partie d’une coalition politico-religieuse qu’on appelle la droite chrétienne. C’est une coalition de groupes informelle composée d’évangéliques ultraconservateurs, dont font partie les néo-charismatiques pentecôtistes, mais aussi certains catholiques romains et certains protestants ultraconservateurs.
Quels sont pour eux les enjeux de ces élections présidentielles?
Leur but est de favoriser des valeurs socialement conservatrices: l’idée de la prière et de la lecture de la Bible à l’école. Il y a aussi l’accent qu’ils mettent de plus en plus sur leur opposition à l’avortement et aux droits des personnes LGBTQ (ndlr le mouvement lesbien, gay, bisexuel, transgenre, queer – qui ne se reconnaît pas dans la sexualité hétérosexuelle-, et qui cherche à faire évoluer la perception sociale à leur égard), l’euthanasie, et ainsi de suite. C’est pour cela qu’ils s’investissent en politique et pour eux, Trump leur garantit un appui à certaines de ces politiques.
En 2016, 81% des chrétiens évangéliques blancs ont voté Trump. Qu’en est-il aujourd’hui?
Selon un récent sondage, 78% des évangéliques blancs devraient reconduire Trump pour un second mandat. Il y a donc une toute petite baisse par rapport à 2016. Cela dit, il y a bien sûr des groupes qui vont se distancer de Trump à l’aube de ces élections et qui vont donner leur appui à Joe Biden.
«Je crois que Trump va envenimer le conflit et nourrir la polarisation»
Donald Trump est le premier président à assister à la marche pour la vie, opposée à l’avortement…
Oui, et le candidat démocrate relève dans les accomplissements de son mandat qu’il a nommé trois juges conservateurs à la Cour suprême, dont récemment Amy Coney Barrett, de quoi faire une différence lorsqu’il est question de renverser cette loi sur l’avortement. Il évoque aussi la notion de liberté religieuse, dont il se pose comme le grand défenseur. Il souligne aussi son soutien à Israël, très important pour ces groupes religieux, car il fait partie de leur conception eschatologique de la fin des temps, selon lequel Israël est toujours le peuple de Dieu et joue un rôle important dans le retour du Christ sur terre. Toutes ces choses sont donc à la base de leur soutien à Trump.
Ces évangéliques charismatiques parlent d’hégémonie chrétienne. De quoi s’agit-il?
Cette idée d’hégémonie s’enracine dans une théologie du pouvoir qui s’appelle le dominionisme, qui veut que les chrétiens soient appelés par Dieu à exercer leur autorité sur tous les aspects de la société, par le contrôle des institutions politiques et culturelles. Cette hégémonie s’enracine dans une vision du nationalisme chrétien: on veut s’assurer que les bases judéo-chrétiennes, que l’on croit être les bases de l’Amérique, cessent de s’effriter sous l’influence du sécularisme et de l’humanisme.
Quelles sont leurs stratégies pour faire progresser leurs idées et leur vision du monde?
Cette idée du dominionisme émane en fait du reconstructionnisme chrétien (ndlr, un fondamentalisme qui postule une forme hypothétique de gouvernement chrétien dans laquelle la société est gouvernée par la loi divine). C’est sur cette base que son fondateur, Rousas Rushdoony, un ministre luthérien à la théologie calviniste, a développé la notion de dominionisme, notion que les néo-charismatiques ont repris à leur compte pour en tirer une stratégie de mobilisation qu’on appelle la stratégie du mandat des sept montagnes de la culture. L’idée est de comprendre la société comme étant constituée de sept sphères culturelles: les arts et spectacles, les affaires, l’éducation, la famille, le gouvernement, les médias et la religion.
Avec quel objectif?
Celui d’infiltrer ces sept domaines et de prendre le contrôle de leur sphère d’influence, afin de changer la culture. Il s’agit donc de placer dans ces lieux stratégiques des croyants qui partagent cette vision du monde, afin d’apporter un changement culturel qui est le reflet de leurs propres valeurs. C’est comme cela qu’ils envisagent construire le royaume de dieu dans la société américaine mais aussi dans le monde.
«Donald Trump est comparé au roi Cyrrhus, une figure biblique de l’Ancien testament, dont Dieu va se servir pour libérer son peuple. Et on dit que Dieu peut se servir de n’importe qui, même d’un roi païen, pour accomplir sa volonté.»
Pourtant, on ne peut pas dire que Donald Trump incarne ces valeurs judéo-chrétiennes…
Oui, et c’est justement la critique des évangéliques qui ne le soutiennent pas. Mais parmi cette frange charismatique, il y a un mythe qui s’est crée autour de la figure de Donald Trump. Il est comparé au roi Cyrrhus, une figure biblique de l’Ancien testament et que l’on retrouve au chapitre 45 d’Esaïe. Le prophète y dit que Dieu appelle Cyrrhus son berger et son son Messie, et que Dieu va se servir de Cyrhhus pour libérer son peuple, afin de lui permettre de retourner dans son pays et de reconstruire le temple. Et on dit que Dieu peut se servir de n’importe qui, même d’un roi païen, pour accomplir sa volonté.
Trump est donc un instrument, pour les charismatiques
Oui, on est dans un rapport transactionnel. Et 43% des évangéliques protestants pensent que Trump a une très forte croyance religieuse.
À votre avis que va-t-il se passer si Joe Biden gagne?
Trump a déjà dit qu’il aurait beaucoup de difficultés à reconnaître le résultat des élections s’il perdait. Je crois qu’il va envenimer le conflit et nourrir la polarisation et ça peut certainement nous conduire à de la violence. Dans les milieux néo-charismatiques, certains font écho à une violence qui correspond à une guerre civile.
Et si c’est Trump qui gagne?
Les oppositions à son mandat présidentiel vont continuer. Et il va continuer à prendre en considération cette base religieuse. De manière ou d’une autre, il va y avoir un conflit après ces élections. Les années Trump ont profondément marqué la société américaine. Je crois que la polarisation et la déstabilisation politique vont continuer, malheureusement, et que la guérison va prendre plusieurs années. (cath.ch/cp)
André Gagné: Ces évangéliques derrière Trump. Hégémonie, démonologie et fin du monde, Genève: Labor et Fides, 2020.
Les évangéliques charismatiques aux Etats-Unis
On compte aux Etats-Unis 110 millions d’évangéliques sur une population globale de 331 millions d’habitants. Les charismatiques, cette frange des évangéliques qui met l’accent sur le baptême du Saint-Esprit, représentent quant à eux 41 millions de croyants, soit 12% de la population globale et un peu moins de la moitié de tous les évangéliques du pays, selon les derniers chiffres du Pew Research Center. Issue du mouvement pentecôtiste, et formée historiquement de deux autres vagues, le renouveau charismatique des années 60, et celui surtout des années 80, avec les néo-charismatiques, cette frange des évangéliques est proche du pouvoir politique et la majorité d’entre elle soutient Donald Trump. CP
Carole Pirker
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/trump-lespoir-des-evangeliques-charismatiques-pour-lamerique/