Mgr Kambanda: «Les Rwandais sont fiers d'avoir un cardinal»

Mgr Antoine Kambanda, archevêque de Kigali, au Rwanda, a été nommé cardinal par le pape François, le 25 octobre 2020. De passage en Suisse, celui qui sera le premier cardinal du Rwanda a fait part de son espérance d’un partage fructueux entre la «jeune Eglise» d’Afrique et la «vieille Eglise» d’Occident.

Par Raphaël Zbinden, avec kath.ch et CIC

Un heureux hasard a voulu que Mgr Kambanda soit en visite en Suisse du 26 au 29 octobre 2020. Il avait appris, la veille de son départ pour l’Europe, sa publication sur la liste des cardinaux qui seront créés par le pape François lors du Consistoire du 28 novembre 2020. cath.ch l’a rencontré à Fribourg.

Quels ont été vos sentiments lorsque vous avez appris votre élévation au cardinalat?
Mgr Kambanda: C’était un mélange de surprise, de joie et d’appréhension. Je me suis demandé surtout ce que le pape allait vouloir de moi. Habituellement, il souhaite que ses cardinaux le conseillent sur des situations spécifiques, ayant trait à la région d’où ils viennent.

Pensez-vous que le pape François cherche à s’entourer de plus de voix africaines?
Il est certain que l’Eglise africaine est encore jeune, et qu’elle a un grand potentiel pour le futur. Nous avons cependant toujours beaucoup à apprendre de la «vieille Eglise», notamment d’Europe, qui a traditionnellement plus d’expérience. Nous devons partager nos acquis, surtout concernant les problèmes que nous avons en commun.

Quel problème particulier avez-vous en tête?
Celui de l’évangélisation. Dans le monde d’aujourd’hui, il existe une tendance à exclure Dieu dans la société et la vie publique. Mais ce problème se décline quelque peu différemment en Afrique et en Occident. En Afrique, la sécularisation existe, notamment dans l’élite intellectuelle et politique, surtout sous l’influence du Nord. Mais le peuple africain reste fondamentalement religieux, bien que ce sentiment soit souvent teinté de superstition. Donc, il s’agit en Afrique de procéder à une double «purification», à la fois contre l’abandon de Dieu qui vient de l’Occident et contre les anciennes pratiques superstitieuses néfastes qui viennent de notre culture.

Au regard de l’histoire dramatique des dernières décennies au Rwanda, en particulier du génocide de 1994, comment avez-vous reçu la dernière encyclique du pape François Fratelli tutti, sur la fraternité humaine?
Cette encyclique arrive à point nommé pour l’Eglise au Rwanda. Cela nous encourage à nous reconstruire en tant que communauté. Surtout, le pape fait comprendre que la réconciliation extérieure ne peut se réaliser que par une réconciliation intérieure, avec nous-mêmes et avec Dieu.

Au Rwanda nous travaillons principalement sur l’éducation des enfants et des jeunes. Ce n’est qu’à travers cela que nous pourrons construire un futur de paix.

Où en est ce processus de réconciliation?
La société rwandaise s’est reconstruite. Les gens ont recommencé à travailler ensemble. Les forces de la division s’amenuisent et celles d’unité se renforcent.

«C’est bien que des prêtres africains aillent voir ce qui se passe en Europe»

Quelle rôle y joue l’Eglise?
Toujours un grand rôle. Principalement celui du «levain dans la pâte». Elle travaille sur la transformation intérieure, la conversion au Christ. La paix a été amenée dans beaucoup de cœurs, ce qui a augmenté l’harmonie et fait baisser les tensions.

Votre élévation au cardinalat peut-elle encourager l’unité?
J’espère pouvoir bénéficier pour cela de l’appui de l’Eglise universelle. J’espère aussi en apprendre d’elle, car lorsque l’on reste centré sur ses propres problèmes, l’on est vite découragé. Alors que si l’on adopte une vision plus large, l’on arrive mieux à les cerner. Les Rwandais sont fiers aussi d’avoir leur premier cardinal. Je souhaite que cela puisse être un ferment supplémentaire de notre unité.

Je pense que l’élévation est une reconnaissance de la maturité d’une Eglise locale.

Mgr Antoine Kambanda, de passage en Suisse | © Grégory Roth

Une maturité qui se reflète aussi par l’ouverture vers l’extérieur? Comme c’est le cas avec votre voyage en Suisse?
Cette ouverture aux autres est encouragée par le pape François et l’Eglise. Nous voulons en effet nous diriger de plus en plus dans cette voie. Auparavant, il y avait davantage de contacts avec l’Occident à travers les missionnaires. Cette liaison a été en grand partie perdue, du fait de la désaffection de la mission. L’idée est donc de systématiser les échanges entre des diocèses d’Europe et d’Afrique. Comme les évêques suisses ont eu une bonne expérience avec le Bénin et le Togo, par l’intermédiaire d’un prêtre rwandais vivant en Suisse, ils ont entrepris de contacter notre diocèse de Kigali.

Ce voyage était principalement pour prendre des contacts en vue d’une visite de la Conférence des évêques suisses (CES) au Rwanda et une possible future collaboration.

Comment verriez-vous cette collaboration?
Il y a déjà un certain nombre d’initiatives, de relations entre l’Eglise en Suisse et au Rwanda, mais d’ordre privé ou non officiel. L’idée est de donner un cadre formel à ces échanges.

Il y a aussi la possibilité que des prêtres de Kigali viennent se former en Suisse, car nous n’avons pas au Rwanda les institutions pour les études supérieures ecclésiastiques. Comme il y a un manque de service de prêtres en Suisse, des Africains y suppléent souvent tout en étudiant, mais ce sont pour l’instant des démarches individuelles.

Que pensez-vous qu’un prêtre rwandais peut apporter en Suisse?
Je crois fort dans la notion de partage, où chacun prend ce dont il a besoin, ce qui l’intéresse dans l’expérience de l’autre. C’est bien que des prêtres africains aillent voir ce qui se passe en Europe, car avec l’influence grandissante de l’Occident, les problèmes que vous avez arriveront bientôt chez nous.

«Un prêtre qui se soucie réellement du salut des âmes sera partout bien accueilli»

Mais je crois que les prêtres africains peuvent apporter aux Suisses des valeurs qui ont été un peu perdues de vue dans leur société, telle que la solidarité, le respect des personnes âgées. Mais aussi le respect de la nature, qui est devenu très important pour la planète entière.

Il y a eu en Suisse des expériences très réussies d’intégration de prêtres africains, mais aussi un certain nombre de problèmes liés à une incompréhension culturelle réciproque. Peut-on imaginer un dispositif pour préparer les prêtres africains avant leur venue en Europe?
Ce serait une démarche de bon sens. Il faut comprendre pourquoi quelqu’un fait ceci ou cela avant de le critiquer et de le juger. Mais je crois qu’un prêtre qui se soucie réellement du salut des âmes sera partout bien accueilli. (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

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