APIC-Reportage
par Bernard LITZLER pour l’Agence APIC
La Réforme de 1536 a marqué un sévère coup de frein à la foi catholique
et à la dévotion mariale dans le Pays de Vaud. Il n’empêche… Marie
demeure encore et toujours la patronne du canton et de la ville de
Lausanne. Entre le Léman et les Alpes vaudoises, entre les côteaux
viticoles et les sommets du Jura, quels sont aujourd’hui les endroits où la
dévotion à Marie se manifeste encore?
Au dessus de Chéserex/Nyon se trouve l’abbaye de Notre-Dame de Bonmont,
première abbaye cistercienne de Suisse, érigée en 1131. Supprimée en 1542,
elle résume l’histoire religieuse tourmentée du canton de Vaud. L’érection
de cette abbaye révèle aussi combien la dévotion à Marie fit florès avant
de disparaître sous les coups de boutoir de la Réforme, au XVIe siècle.
Contrairement aux cantons catholiques, les lieux de dévotion à Marie ne
sont pas nombreux en Pays de Vaud. Pourtant, la piété mariale continue de
se manifester, dans une population catholique aux origines diversifiées.
Reportage sur la prière à Marie, aujourd’hui, dans le canton de Vaud.
Lorsque nous l’avons rencontrée, Thérèse, alerte sexagénaire, nous a
fait part de son attachement à Marie qu’elle vient honorer à la basilique
Notre-Dame, au Valentin, à Lausanne: «Je suis de Pully, mais je viens
souvent prier ici. Pour confier mes demandes à Marie, j’allume un cierge et
je vais toucher la statue». Prière, geste, offrande, recueillement, la
dévotion à Marie est toute contenue dans ces gestes de piété simples et
fervents. Placée à droite du choeur, la statue gothique du XVe siècle en
bois polychrome de Marie vêtue d’un ravissant drapé bleu attire ainsi
chaque jour des dizaines de personnes. Devant la figure apaisante de
Notre-Dame de Lausanne portant son enfant, les fidèles viennent prier,
allumer un lumignon, déposer leurs soucis. Leurs difficultés et leurs joies
aussi.
«Marie est la confidente de beaucoup de souffrances, de pleurs, de
demandes», confirme le curé de la paroisse, Claude Ducarroz. L’affluence
est continue tout au long des heures d’ouverture de la basilique: preuve en
est les quelque 250 lumignons allumés chaque jour par ces «pèlerins d’un
moment».
Marie mère
«Marie, c’est ma maman». Bernadette, Zaïroise de 50 ans, vit une
relation profonde avec la Mère de Dieu. Ancienne «légionnaire de Marie»
dans son pays, elle prie le chapelet fréquemment, participant aux
récitations du rosaire organisées deux fois par semaine dans l’enceinte de
la basilique. «Marie, c’est ma confidente, une reine, celle qui me
soutient. C’est la mère de Jésus. S’il n’y avait eu Marie, il n’y aurait
pas eu Jésus». Belle théologie de la Mère de Dieu…
Qu’est ce qui attire tant de personnes dans le sillage de la mère du
Christ? Les cheminements sont variés. Notre-Dame de Lausanne reçoit chaque
jour la prière de visiteurs aussi différents que des grands-parents venus
allumer un lumignon avec leurs petits-enfants, d’une jeune femme
équatorienne enceinte, d’un jeune homme atteint de cécité, de Tamouls en
nombre,… Les priants sont réguliers ou occasionnels, viennent
individuellement ou en groupe, de près ou de loin.
Ainsi Marie-Héléna, 27 ans, étudiante, qui met son désir de dire le
chapelet en lien avec un besoin de rites auquel son éducation religieuse
l’a peu préparée. «Marie, c’est ma vraie mère, confie-t-elle. C’est
l’autorité féminine la plus haute, l’âme soeur de Jésus». Convertie de
fraîche date, elle ressent la nécessité d’être catéchisée et a engagé un
chemin en ce sens. Elle ne cache pas avoir eu des visions de Marie.
Visions appellent supervision
La multiplication des révélations d’ordre privé met la vigilance de
l’Eglise à rude épreuve. Il n’est pas rare, ainsi, d’entendre des pèlerins
échanger autour de la statue de Marie sur un voyage passé à San Damiano,
lieu de pèlerinage italien non reconnu par l’Eglise, où la Vierge serait
apparue. Vérité ou fiction? «Nous avons à être vigilants et à exercer notre
discernement, confesse le curé Ducarroz. Nous assistons actuellement à une
recrudescence de nouvelles révélations. Ce n’est pas parce que nous sommes
une église Notre-Dame qu’il faut accepter n’importe quoi».
Extrême prudence pastorale, donc, pour éviter des formes de prière et de
dévotion incompatibles avec la foi chrétienne.
L’Eglise n’est pas à l’abri de dérapages d’une «mariolâtrie» (dévotion
extrême, presque idolâtre mettant Marie au centre de la foi) que certains
lieux de pèlerinage ont difficilement contenue. N’y a-t-il pas concurrence
entre la prière à Marie et la prière à Dieu ou à Jésus? «Je ne leur demande
pas la même chose, précise Bernadette l’Africaine. Marie est un chemin vers
Jésus».
Le tapis de lumignons aux pieds de Marie est agrémenté d’un petit
écriteau indiquant que «toutes les dévotions ne valent pas la messe».
Courte catéchèse et recentrage sur l’essentiel: l’Eucharistie. Mais les
dévotions ne sont pas empêchées: il existe des moments consacrés à
l’adoration devant le Saint-Sacrement comme il existe des moments consacrés
au chapelet.
Claude Ducarroz tient à éviter les dérapages: «Nous essayons de garder
au lieu une certaine sobriété, même s’il y a beaucoup de fleurs. Pour
retrouver la statue originelle, nous avons enlevé, lors de la restauration
de 1977, la couronne que portait Marie. Ce fut vraiment un problème pour
certains fidèles: on m’en parle encore maintenant!». Le Conseil pastoral de
la paroisse, lui aussi, s’est laissé interpeller par ces manifestations de
religiosité populaire, lors d’une récente rencontre: «Nous avons à nous
laisser évangéliser par ces manifestations de religiosité, vécue souvent
par des ’petites gens’, mais nous avons aussi à éduquer cette foi
populaire»: telles ont été les conclusions de cette réflexion.
Marie femme
Les visiteurs de Marie sont en fait des visiteuses en grande majorité,
tant l’élément féminin est dominant sans être exclusif. Jeune mère élevant
seule ses trois enfants, Maria, Cap-verdienne, est sensible à la féminité
de Marie: «Elle sait ce que je peux vivre comme femme et comme mère. Cet
aspect de maternité me touche beaucoup. Je lui confie mes enfants. Marie a
dû éduquer son fils, je lui demande beaucoup». Chantal, valaisanne, de
passage, vient confier à Marie ses deux grands fils: «Elevée dans la foi
catholique, j’ai longtemps délaissé la prière à Marie. Récemment j’ai
demandé une grâce et je l’ai obtenue immédiatement. Depuis je viens prier
régulièrement».
Comme beaucoup de priants, Thérèse la Pulliérane aime toucher la statue
de Marie, dans un geste d’hommage et de confiance. «Un jour j’ai même eu
envie de toucher la statue de Jésus, assis sur les genoux de Marie, mais je
suis trop petite. Alors j’ai demandé à un long monsieur de toucher Jésus
pour moi», raconte-t-elle avec humour. Et elle nous fait part, plus
sérieuse, de son regard de foi sur l’action de Marie: «Vous savez,
Notre-Dame a protégé la cité lorsque le wagon de produits chimiques s’est
renversé à la gare de Lausanne, il y a deux ans, menaçant d’incendier la
moitié de la ville». Pour Thérèse, pas de doute, Notre-Dame continue de
veiller sur la ville qui lui est dédiée.
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Les lieux mariaux hors Lausanne
La capitale vaudoise n’est pas le seul lieu de piété mariale de l’espace
vaudois. Aubonne, sur la Côte, constitue un lieu ancien de pèlerinage où de
nombreuses personnes viennent encore se recueillir. Pèlerins occasionnels,
visiteurs venus de l’hôpital distant d’une cinquantaine de mètres, la
tradition de la dévotion mariale se poursuit.
La chapelle de Notre-Dame des Sept-Douleurs à Etagnières, entre Lausanne
et Echallens, constitue également un lieu prisé des pèlerins. Le rosaire y
est prié chaque mardi depuis près de vingt ans, et les mois de mai et
d’octobre, le chapelet est dit deux fois par semaine. La chapelle accueille
les visiteurs avec régularité.
Autre haut-lieu de prière mariale en terre vaudoise: l’église
Notre-Dame-de-Grâce à Orbe, qui possède un tableau de la Vierge, copie
conforme de celui – déplacé à Evian à cause de la Réforme – offert au
couvent d’Orbe par la bienheureuse Loyse de Savoie, veuve et religieuse
clarisse.
Le canton possède neuf paroisses consacrées à la Mère de Dieu, depuis
Nyon, aux portes de Genève jusqu’à Vevey, le long de l’arc lémanique, sans
oublier le nord du canton représenté par Payerne, Oron, et Lucens.
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«Les» Notre-Dame de Lausanne
Parler de Notre-Dame à Lausanne, avant la Réforme de 1536, c’est tourner
les yeux vers la Cathédrale Notre-Dame. Sur la colline de la Cité, on
édifia au XIIIe siècle un des plus beaux édifices de la chrétienté,
consacré solennellement par le pape Grégoire X en 1275. L’impulsion
originale de la dévotion mariale y avait été donnée au XIIe siècle par
l’évêque Amédée.
Notre-Dame de Lausanne fut très fréquentée au Moyen-Age. On venait de
loin pour voir la Dame, principalement pour les deux grandes fêtes de
l’Annonciation et de la Nativité de Marie. Certains, épuisés, n’arrivaient
pas jusqu’au bout. Mais il suffisait aux malades et aux handicapés de
parvenir jusqu’au «Rocher de la Dame», au-dessus du village d’Epesses, pour
que le pèlerinage soit considéré comme accompli.
La statue de Notre-Dame de Lausanne, taillée dans la pierre vers 1230,
accueillait les pèlerins au-dessus de la seconde porte d’entrée de «sa»
cathédrale. Elle est toujours visible aujourd’hui, étêtée sans doute comme l’Enfant-Jésus – par certains réformateurs zélés. La ressemblance
avec la statue de bois du XVe siècle vénérée à la basilique du Valentin est
troublante. Le modèle de la Vierge de Lausanne était, semble-t-il, répandu
jusqu’en Franche-Comté et en Italie.
Haut lieu de dévotion mariale, la cathédrale recèle de multiples traces
de ce culte rendu à la Mère de Dieu. Stalles, entrée du portail sud avec la
dormition de Marie et son Assomption, les scènes évoquant Marie ne manquent
pas. Et le coeur des Lausannois ne reste-t-il pas attaché à leur Dame,
puisque en 1932 encore, les étudiants protestants de Belles-Lettres ont
offert un vitrail à la gloire de la Bienheureuse Marie de Lausanne, «Beata
Maria Lausanensis»?
Edifiée en 1835, la basilique Notre-Dame du Valentin abrite «l’autre»
statue de Notre-Dame, statue de bois polychrome, qui connut des heures
aventureuses. Emportée dans le district d’Echallens au moment de la Réforme, elle fut cachée dans le foin par les paysans du Gros-de-Vaud. Elle
revint à Lausanne au XIXe siècle, dans la chapelle des Soeurs de l’Ecole du
Valentin avant de réintégrer l’église paroissiale en 1946.
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Chapelet et rosaire
Les deux mots ont la même origine: le chapelet est le «petit chapeau» de
roses – d’où «rosaire» – couronnant les statues de la Vierge, selon une
coutume du Moyen-Age. Chaque rose symbolisait une prière. De là vient
l’idée de se servir d’un collier de grains pour prier Marie. Saint Bernard
(1091-1153), qui a rédigé le fameux «Souvenez-vous», et saint Dominique
(1170-1221) furent les hérauts de la dévotion à Marie.
La récitation du chapelet comporte cinq dizaines d’Ave Maria, chaque
dizaine étant introduite par un ’Notre Père’ et conclue par la formule
’Gloire au Père…’. Le rosaire, récitation de trois chapelets, se veut une
méditation sur le rôle de Marie dans le mystère du salut, en parcourant
successivement les mystères joyeux, douloureux et glorieux. Ces 150 ’Je
vous salue Marie’ ou ’Psautier de Marie’ correspondent aux 150 psaumes.
La pratique du chapelet individuel et collectif est une forme de
spiritualité à la portée de tous, associant l’usage d’une formule courante
de prière à une méditation personnelle sur le salut. Pratiquée par les
humbles comme par les grands de ce monde, par les pauvres et les riches, la
récitation du chapelet ne connaît ni frontières, ni barrières sociales.
Les musulmans connaissent le chapelet à 99 grains permettant au priant
d’égrener les différents noms ou attributs donnés à Dieu par le Coran. Les
religions brahmanique et bouddhiste connaissent de longue date l’usage
d’une prière analogue au chapelet pour la méditation. (apic/théo/bl)
Des photos de ce reportage sont disponibles auprès de l’Agence CIRIC à
Lausanne (Tél 021/617 76 13)
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