Maurice Page avec Raphaël Rauch kath.ch
Après les lettres ouvertes, pétitions et manifestations publiques, c’est désormais par voie judiciaire que les opposants à Mgr Pierre Bürcher, administrateur apostolique du diocèse de Coire, expriment leur mécontentement. Les 23 membres du collectif «Vielstimmig Kirche sein» (être une Eglise plurielle) ont déposé une plainte auprès de l’officialité du diocèse de Coire pour obtenir le droit d’être entendus.
Les plaignants emmenés par Zeno Cavigelli, assistant pastoral à Dübendorf (ZH), se réfèrent à l’article 212 al.3 du code de droit canonique pour exiger d’être reçus et entendus par Mgr Bürcher, administrateur du diocèse en l’attente de l’élection d’un nouvel évêque. Le droit canon stipule que les fidèles «ont le droit et même parfois le devoir de donner aux Pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Eglise […]»
«L’action est unique en Suisse», relève Daniel Kosch, secrétaire général de la Conférence centrale catholique romaine (RKZ). Les experts en droit ecclésiastique mettent cependant en garde contre des attentes disproportionnées. Ils conviennent que la procédure a peu de chances d’aboutir.
La première raison est que l’Eglise ne connaît pas la séparation des pouvoirs au sens moderne du terme. «L’officialité diocésaine n’est pas un tribunal administratif, une telle démarche n’est pas de sa compétence», précise Astrid Kaptijn, professeur de droit canonique à l’Université de Fribourg. L’official, en l’occurrence le chanoine Joseph Bonnemain, dispose certes d’une autonomie, mais de jure, il n’est pas le chef du pouvoir judiciaire. «Le pouvoir judiciaire au niveau diocésain fait partie du pouvoir de l’évêque», confirme son confrère fribourgeois René Pahud de Mortanges. Il est «systématiquement impossible qu’un fonctionnaire puisse condamner son évêque».
La deuxième raison est que l’article 212.al 3 parle du droit ou du devoir pour les laïcs de «donner leur opinion», mais il ne dit rien sur la manière de le faire. Il n’oblige nullement l’évêque à recevoir les personnes. Il peut également être informé des griefs par d’autres moyens que par une conversation personnelle, par exemple, par un courrier.»D’un point de vue juridique formel, l’administrateur apostolique ne peut être blâmé dans ce cas», estime Astrid Kaptijn.
L’expert en droit canonique Thomas Schüller, de l’université de Münster en Allemagne, constate qu'»il n’existe pas de directives juridiques sur la manière dont un évêque doit concrètement réagir à une telle pétition. Un tribunal pourrait adopter un point de vue critique sur une absence de réaction. Mais en fait, il n’a pas la possibilité de forcer un évêque à réagir. Les moyens procéduraux de coercition sont «très limités» dans le droit procédural canonique.
Selon Peter von Sury, abbé de Mariastein (SO), il existe d’autres moyens pour les pétitionnaires de se défendre. Ils pourraient écrire à la Congrégation des évêques et à la Signature Apostolique à Rome: «Là, vous pouvez toujours vous plaindre».
Contrairement à d’autres pays, les diocèses suisses dépendent en effet directement du Saint-Siège. «Il n’y a pas de province ecclésiastique où un archevêque serait la première instance d’appel», explique Peter von Sury. «Il faut donc aller directement à Rome».
L’expert en droit canonique de Lucerne, Adrian Loretan, qui a conseillé les pétitionnaires pour la rédaction de la plainte, reste cependant convaincu que la voie du dialogue est préférable. «L’évêque est maintenant appelé à avoir un dialogue sérieux. L’official le lui signalera». Refuser un entretien à son propre personnel n’est guère en conformité avec la tradition biblique, estime-t-il. En outre dans le monde du travail actuel, le dialogue avec les employés est la norme. (cath.ch/kath.ch/rr/mp)
Maurice Page
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