Par Hugues Lefèvre et Camille Dalmas/I.Media
Les conclusions de l’enquête du Père de Meester sont plus paradoxales qu’on ne le croie. D’une part, il affirme que Marthe Robin a menti. D’autre part, il n’a pas contesté, dans ses écrits, la décision de reconnaître l’héroïcité des vertus de celle qui est aujourd’hui vénérable. Cela, le Père carme Carlos Noyen, qui a collaboré avec les éditions du Cerf pour prép arer le texte définitif après la mort de son frère carme en 2019, l’a confirmé à I.Media par écrit.
En réalité, les procédures mises en place par l’Eglise pour béatifier et canoniser une personne ne portent pas sur les éléments surnaturels survenus dans sa vie. Le procès étudie la conformité de la vie de la personne aux trois vertus théologales – foi, espérance, charité – et quatre vertus cardinales – justice, prudence, force et tempérance –, et rien de plus.
Interroger la «mystique» est donc hors de propos dans le cadre du procès. À la Congrégation pour la cause des saints, on confirme que «la question ne se pose pas», parce que «l’extraordinaire n’est pas pris en compte». «Padre Pio n’a pas été canonisé pour son don de bilocation», balaie un de ses membres.
Si l’on comprend la prudence de l’Eglise à l’égard des phénomènes surnaturels, force est de constater que le choix de ne pas les prendre en compte pose problème in fine. Car si Marthe Robin a réellement simulé, si elle a menti durant toutes ces années, il apparaitrait bien difficile d’affirmer qu’elle ait vécu la «perfection chrétienne».
Par ailleurs, la vie mystique de Marthe Robin est centrale dans la perception que s’en font l’immense majorité des personnes qui entendent son nom. Les phénomènes mystiques qui entourent la personnalité de Marthe Robin ne sont pas étrangers à sa popularité et à son rayonnement.
Aujourd’hui, il apparaît que le portrait qu’il en est fait dans la positio n’a pas grand-chose à voir avec l’image populaire de la «stigmatisée» de la Drôme. Même des membres de sa famille, joints par I.Media, s’émeuvent du fait que la dimension mystique de leur parente ait été écartée.
Un membre de la Congrégation pour la cause des saints esquive cet écueil et rappelle au passage que «les saints ont tous leurs limites». «Tous ont leurs petits secrets et leurs failles, insiste-t-il. Ce qui importe reste qu’ils aient vécu l’héroïcité des vertus, et plus particulièrement, dans les dix dernières années de leur vie».
La publication de ce livre pose aussi la question du secret non-tenu du Père de Meester. Sans condamner ouvertement la sortie de ce livre, la Congrégation pour la cause des saints a tenu à rappeler à officiellement que le Père de Meester s’était engagé «sous serment à maintenir le secret professionnel».
Chez certains défenseurs de Marthe Robin, on explique que le carme, vexé de ne pas avoir vu ses alertes considérées par Rome, aurait pris la décision de publier ses conclusions.
En liant contrat avec les éditions du Cerf en 2012, le Père de Meester s’est mis de facto dans une position telle qu’il ne pourrait honorer sa parole – quand bien même ses vingt cinq années supplémentaires de travail ont pu rendre le contenu de son livre différent par rapport aux conclusions de sa première expertise de 1989.
Mais il semble que la pensée de violer ce serment n’ait pas été un frein dans l’esprit du carme. Selon la préface du Père Paul de Bois, provincial des carmes en Flandres, le Père de Meester aurait jugé plus juste et plus sain de publier ses découvertes. «Il y va de l’Eglise du Christ, invitée à marcher selon les exigences de la vérité», avait-il d’ailleurs écrit. Le Père Carlos Noyen confie en ce sens avoir retrouvé dans le courrier du Père Conrad une lettre à une religieuse italienne datant de 2012.
Le carme lui expliquait alors qu’il valait mieux que ces révélations sortent sous la plume d’un homme d’Eglise plutôt que dans un média profane. Et d’ajouter: «J’exprime cette crainte depuis de nombreuses années, et c’est un demi-miracle que la bombe à retardement n’ait pas explosé».
Interrogé sur la promesse du Père de Meester à l’Eglise de ne rien dévoiler de ses travaux, le Père Noyen assure que «personne ne savait quelque chose de ce serment». Selon lui, à la lecture de l’ouvrage retrouvé dans la chambre du défunt, les «Carmes ont hésité à ne pas honorer le contrat».
Mais le Père Noyen explique avoir envoyé une lettre à un évêque français important en mai dernier, avec l’introduction et le premier chapitre du livre. «Aucune réaction…», nous confie-t-il. Pour lui: «on ne peut rien nous reprocher».
Au printemps dernier, les révélations sur le Père Finet, cofondateur des Foyers de Charité, avaient déjà mis un coup d’arrêt aux espoirs de voir Marthe Robin prochainement béatifiée. La sortie du livre du Père de Meester semble porter l’estocade.
Officiellement bien sûr, rien n’est arrêté et Rome continue d’étudier le miracle déposé. Mais personne ne se fait d’illusion : si une béatification doit venir un jour, elle n’interviendra pas avant longtemps.
Même la postulatrice actuelle, Sophie Guex l’admet. «L’Eglise se pose évidemment toujours la question de l’opportunité d’une béatification. Celle-ci doit être un moment de fête pour les chrétiens, pour une communauté et un diocèse. Elle ne peut intervenir dans un contexte polémique», reconnaît-elle, lucide.
Est-il déjà arrivé qu’une cause en béatification n’aboutisse pas alors même que la personne avait été déclarée vénérable? «Oui!», répond un membre de la Congrégation pour la cause des Saints. Ce fut notamment le cas du Père Jean-Léon Dehon.
Déclaré vénérable en 1997, le fondateur de la Congrégation des prêtres du Sacré-Cœur de Jésus décédé en 1925 devait être béatifié en avril 2005. Seulement, le décès du pape Jean Paul II fit ajourner l’événement. C’est alors que des accusations d’antisémitisme de la part du Père Dehon apparaissent sur internet. Des historiens s’en emparent et leurs travaux amènent le pape Benoît XVI à décider de cesser la procédure.
Il en est de même pour la cause de béatification de Mgr Fulton Sheen, archevêque américain décédé en 1979. Déclaré vénérable en juin 2012, le pape François reconnaît un miracle lui étant attribué en juillet 2019. La béatification doit alors être célébrée mais, le 2 décembre 2019, le Vatican décide de la reporter sine die.
Des responsables de l’Eglise américaine avaient fait une requête dans laquelle ils disaient craindre que le nom de Mgr Fulton Sheen n’apparaisse dans une enquête en cours sur des dissimulations d’abus sexuels passés.
Au regard de l’histoire de l’Eglise, des récentes révélations sur le Père Finet et de la sortie du livre du Père de Meester, il ne serait pas improbable de voir la cause de Marthe Robin finir pas s’essouffler.
Plus largement, cette «affaire» qui secoue particulièrement l’Eglise en France – du fait des enjeux spirituels, sociologiques ou encore économiques qu’elle soulève – pose la question de la juste temporalité des ouvertures de procès en voie de béatification.
De l’avis de spécialistes, il est évident que l’ouverture de certaines causes seulement cinq ans après la mort de la personne pose question. «La raccourcissement du délai à cinq ans a ses avantages. Mais cela peut aussi engendrer des difficultés. Quand il y a trop de gens proches du dossier avec des intérêts variés, les choses peuvent devenir plus compliquées», observe un bon connaisseur du sujet.
Les bénéfices que représente la canonisation d’une personne pour ses héritiers spirituels sont nombreux. «Quand cinquante années séparent la mort de la personne de l’ouverture de sa cause, les choses sont plus apaisées», conclut notre source. (cath.ch/imedia/hl/cd/bh)
I.MEDIA
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