Par Hugues Lefèvre/I.Media
Cinq ans après sa mort survenue le 6 février 1981 s’ouvre le procès en béatification de Marthe Robin par la décision de Mgr Didier-Léon Marchand, évêque de Valence, à la demande des Foyers de Charité. C’est le début d’une enquête diocésaine qui va durer dix ans. Suivant la procédure, l’évêque du lieu sollicite Rome pour obtenir l’autorisation de procéder à l’instruction de la cause.
Cette demande, envoyée à la Congrégation pour la cause des Saints, doit notamment permettre aux différents dicastères romains de «fouiller» dans leurs archives et vérifier si un dossier compromettant pourrait entraver la cause. Lorsque rien ne s’y oppose, Rome délivre ce qu’on appelle le Nihil Obstat. Il est accordé à la cause de Marthe Robin en 1991. Parallèlement, Mgr Marchand demande l’avis des évêques de la province ecclésiastique sur la pertinence d’une telle démarche. Celui-ci est favorable.
Conformément au droit canon, l’évêque de Valence nomme un tribunal pour instruire le dossier. Les membres de cette commission canonique d’enquête prêtent serment et jurent de garder le secret «en toutes choses qui pourraient nuire au serviteur de Dieu ou à d’autres personnes».
Mgr Marchand désigne également un postulateur sur proposition des Foyers de Charité. C’est le Père Jacques Ravanel, alors responsable du foyer de la Flatière, en Haute-Savoie (France), qui hérite de la tâche. Cheville ouvrière de la procédure, il a pour fonction d’apporter tous les éléments de preuve pour fonder la réputation de sainteté de Marthe Robin.
Au début du processus, l’évêque a publié un décret annonçant l’ouverture de l’enquête. Ainsi, toutes les personnes qui souhaitent s’exprimer positivement ou négativement sur Marthe Robin sont invitées à le faire. Un notaire enregistrera leurs dépositions. En tout, environ 700 témoignages sont recueillis et 126 témoins sont auditionnés lors de cette phase initiale.
Sophie Guex, l’actuelle postulatrice de la cause, confie que seule une personne se montre alors «dubitative». Les 125 autres décrivent notamment «l’humilité, la joie et la bonté» de Marthe Robin mais aussi «la simplicité et l’authenticité de ses conseils». Présent lors des auditions, un promoteur de justice est chargé de vérifier leur bon déroulement. Tout au long de l’enquête diocésaine, il veillera à ce que le processus avance conformément aux règles canoniques.
Parmi les experts de la commission se trouvent, comme il est d’usage, deux censeurs. Ces derniers doivent étudier les écrits de Marthe Robin et vérifier s’ils comportent des éléments allant contre la foi ou les mœurs. Le Père Conrad de Meester, carme déchaussé de la Province des Flandres, grand spécialiste de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de sainte Élisabeth de la Trinité, est choisi en 1988 par Mgr Marchand pour être l’un d’eux. Il étudie alors plus de 4’000 pages dactylographiées, correspondant aux lettres et écrits de la mystique.
Il réalise un premier rapport en 1989 qui sera complété en 1994. Selon les informations que I.MEDIA s’est procurées, le carme aurait obtenu à l’époque l’autorisation de photocopier les archives pour les rapporter en Belgique, où il vivait. Autant d’éléments qu’il gardera pour poursuivre son enquête après qu’il a rendu ses travaux à la commission.
Selon les carmes déchaussés de la Province des Flandres qu’I.Media a contactés, le Père Conrad «a soigneusement lu et étudié tous ces documents. Il en résultait un rapport volumineux, soulevant nombreuses interrogations».
Il n’est pas possible d’affirmer avec certitude ce que contient cette première étude du religieux. Mais le carme aurait déjà émis au moins quatre hypothèses. La première est celle d’une Marthe Robin qui aurait plagié en reprenant, dans ses extases notamment, des textes de mystiques et de grands saints de l’Eglise. Elle aurait même écrit certains textes alors qu’il était entendu que, du fait de sa maladie la rendant progressivement aveugle et paralytique, elle était dans l’incapacité de rédiger quoi que ce soit.
La deuxième hypothèse est celle d’une Marthe Robin qui se serait nourrie. La troisième est celle d’une Marthe Robin qui se serait déplacée. La quatrième, que le sang qui coulait parfois de son front n’était pas le sien.
Au final, pour le Père de Meester, Marthe Robin s’est livrée à un comportement frauduleux. Dans un extrait de l’expertise de l’époque, il écrit que cette «malade» «manipule magistralement et avec une lucidité pour ainsi dire jamais en défaut, jusqu’à la fin de sa vie».
En 1989, le rapport d’expertise du Père Conrad est l’un des premiers à atterrir dans le dossier de la cause. Complété en 1994, il compte en tout 330 pages. «Il représente 5 volumes sur les 55 volumes de la phase diocésaine», indique Sophie Guex. Les conclusions du carme font l’effet d’une douche froide tant elles contredisent l’image de la paralysée de la Drôme. Elles renforcent l’idée de multiplier les expertises pour approfondir certains éléments de la vie de la mystique.
Durant la phase d’instruction, une batterie d’expertises est lancée sur le plan médical (neurologique, psychiatrique, psychologique, etc.) mais aussi démonologique, graphologique, judiciaire, théologique ou encore littéraire. En tout, 19 expertises sont effectuées lors de l’enquête diocésaine – il y en aura sept supplémentaires demandées lors de la phase romaine.
Sans entrer encore sur le fond des arguments du Père Conrad, on constate, chez les Foyers de Charité comme du côté de la famille de Marthe Robin, que le carme a débordé de ses prérogatives pour réaliser ce premier rapport. «Il doit vérifier la conformité des textes mais s’improvise tout d’un coup graphologue et puis médecin», tacle un membre de Foyer de Charité qui poursuit: «lorsqu’on doit se faire opérer du cœur, on préfère aller voir un chirurgien qu’un théologien…».
Nous avons demandé à Mgr Marchand les raisons pour lesquelles il avait choisi le Père Conrad de Meester comme censeur et s’il avait été effectivement surpris par la tonalité et le contenu de ces travaux, comme le rapporte le Père Vignon, prêtre de la Drôme, qui défend sans relâche la cause de Marthe Robin. Au téléphone, l’archevêque émérite de Valence n’a pas souhaité commenter.
Quoi qu’il en soit, le travail de recherche de la commission se poursuit jusqu’en 1996, année durant laquelle l’évêque de Valence clôt l’instruction diocésaine. (cath.ch/imedia/hl/bh)
Retrouvez le 4e épisode de notre série jeudi 15 octobre. Marthe Robin est finalement déclarée vénérable par le pape François. Les Foyers s’activent à préparer la béatification.
I.MEDIA
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