Par Hugues Lefèvre/I.Media
Pour faire la lumière sur cette affaire complexe et aux conséquences potentiellement graves, I.MEDIA a mené l’enquête et propose une série de cinq articles donnant à ses lecteurs des clés pour la comprendre. Nous vous proposons ici la première partie de la série consacrée à la vie de Marthe Robin.
Marthe Robin naît en 1902 à Châteauneuf-de-Galaure, petit village de la campagne drômoise (France). Elle est le sixième et dernier enfant de la famille. Ses parents exploitent une ferme dans laquelle vit modestement la fratrie. Jeune fille à la santé fragile, elle fréquente l’école jusqu’à ses 13 ans. Le Père Bernard Peyrous, qui fut postulateur de sa cause et qui a publié en 2006 Une Vie de Marthe Robin (Éditions de l’Emmanuel –Éditions Foyer de Charité), la décrit comme étant «intelligente, joyeuse, ouverte à l’avenir, serviable, volontiers taquine». Ses parents sont catholiques mais ne pratiquent pas. Pour autant, Marthe Robin fait sa première communion en 1912. Elle écrira avoir «toujours énormément aimé le Bon Dieu comme petite fille» et avoir «toujours énormément prié».
Durant l’été 1918, celle qui a alors 16 ans tombe gravement malade. A la fin de l’année, elle sombre durant quatre jours dans le coma et doit rester couchée 27 mois durant. Ne supportant plus la lumière, elle demande que sa chambre soit plongée dans le noir. Migraines violentes, fièvres, raideurs soudaines et totales de tout le corps, période de rémission et d’aggravation: ces symptômes montrent que la jeune femme serait atteinte d’encéphalite léthargique. Progressivement, après plusieurs crises, la maladie l’immobilise. En 1928, «la paralysie des membres inférieurs ne reculera plus, souligne le Père Peyrous. Les jambes se replient progressivement sous elle. Elle souffre en permanence».
C’est dans cette décennie que Marthe Robin professe un «acte d’abandon et d’amour à la volonté de Dieu». Sophie Guex, actuelle postulatrice de la cause de béatification, confie à I.MEDIA que Marthe Robin «choisit alors de croire à l’amour infini de Dieu pour elle au sein de cette épreuve. C’est le message de Marthe: celui qui consiste à dire qu’on ne choisit pas les épreuves mais qu’on peut choisir la manière de les vivre, et de les vivre avec Dieu». Selon le Père Peyrous, c’est au début des années 1930 que celle que tout le monde appelle par son prénom reçoit les premiers stigmates du Christ. Elle revit «la Passion» les vendredis, et ce jusqu’à la fin de sa vie. « Je vis aussitôt mon lit transformé en une grande croix épineuse» écrit-elle dans un texte du 14 novembre 1931. À l’académicien Jean Guitton, auteur d’un livre sur Marthe Robin, la malade confie considérer ses stigmates comme un «feu brûlant, intérieur (et parfois extérieur). Un feu qui sortait de Jésus».
Dans son procès de béatification, cinquante personnes ont témoigné avoir «vu du sang couler des plaies de Marthe», révèle l’ancien postulateur de la cause en 2006. Des événements surnaturels qui ne sont pas isolés puisqu’au cours de sa vie, Marthe Robin aurait vécu de nombreux phénomènes spirituels extraordinaires dont on peut avoir un résumé dans l’ouvrage du Père Peyrous: «visions lumineuses de Marthe», «hosties reçues sans contact», «vision des cœurs, «’voyages’ de Marthe», etc.
En 1933, la mystique reçoit une «révélation» qu’elle consigne dans un texte qui deviendra fondateur pour les Foyers de Charité. «C’est alors qu’il (Jésus) me parla de l’Œuvre splendide qu’il voulait réaliser ici, à la gloire du Père, pour l’extension de son règne dans toute l’Eglise et pour la régénération du monde tout entier par l’enseignement religieux qui y serait donné et dont l’action surnaturelle et divine s’étendrait à tout l’univers», écrit-elle. Un an plus tard est créée une petite école de filles à Châteauneuf-de-Galaure.
En 1936, un prêtre lyonnais, le Père Georges Finet, se rend à son chevet. Cette rencontre est décisive puisque Marthe demande à celui qui était sous-directeur de l’enseignement libre à Lyon de prêcher une première retraite en septembre 1936 dans les locaux de la toute nouvelle école. C’est la première d’une longue série puisqu’il ne quittera plus Châteauneuf-de-Galaure jusqu’à sa mort, en 1990. Avec Marthe Robin, le Père Finet fonde les Foyers de Charité, ces centres rassemblant des laïcs, hommes et femmes, célibataires ou mariés, et des prêtres, qui participent à la nouvelle évangélisation notamment par la prédication spirituelle lors de retraites de six jours.
Devant l’influence grandissante et l’aura de Marthe Robin, l’évêque de Valence, Mgr Camille Pic, demande en 1942 à trois prêtres du diocèse de Lyon de se rendre à Châteauneuf-de-Galaure. Ils émettent un avis favorable, rapporte le Père Peyrous. Deux médecins se penchent également sur son cas. Ils établissement l’unique rapport médical sur Marthe Robin. Selon l’ancien postulateur de la cause, ils ont établi un «diagnostic opportun de la maladie» mais «se sont trouvés devant des phénomènes, comme les stigmates, qu’ils ne pouvaient pas nier, phénomènes qui ne pouvaient avoir de causes naturelles.»
«Marthe ne se nourrissait pas», affirme le Père Peyrous dans son ouvrage même s’il admet au détour d’une phrase qu’il est arrivé qu’«elle se traîne sur le plancher de sa chambre pour satisfaire parfois ses besoins intimes». «Personne n’a jamais vu Marthe manger», appuie la nouvelle postulatrice, Sophie Guex, qui a accès à l’ensemble des 17’000 pages du procès. Ainsi, Marthe Robin ne se serait nourrie durant plusieurs décennies que de l’Eucharistie.
Cette affirmation a été et est toujours la source de suspicions. Et certains regrettent qu’elle n’ait jamais été vérifiée de manière scientifique. Cela aurait pourtant pu être le cas, notamment en 1949. Le Père Bernard Peyrous rapporte en effet qu’un neuropsychiatre parisien se rendit chez Marthe Robin pour lui proposer de la «mettre en clinique pendant un ou deux mois afin de pouvoir convaincre [ses] collègues de la réalité des phénomènes extraordinaires». Réponse de Marthe Robin: «Docteur, je n’ai qu’une règle, celle de l’obéissance. Que mon directeur, mon évêque ou le Saint-Père évidemment, décident de m’hospitaliser, je dirai oui aussitôt et vous pourrez m’emmener si vous le désirez. Mais croyez-vous vraiment que le problème soit là où vous le cherchez?» Lorsque le docteur lui demande à nouveau, elle répond: «Non, docteur, le problème n’est pas là.»
Concernant sa mobilité, il est admis que Marthe Robin soit restée sans sortir de sa chambre durant près de cinquante ans. Mais le Père Peyrous reconnaît que la maladie de Marthe Robin est faite « d’évolutions, mais aussi d’involutions». Ainsi, «même si ses jambes sont paralysées, il est certain que Marthe tente de se déplacer quand ses bras lui répondent […]. Elle s’appuie alors sur ses coudes, imprimant à son corps un mouvement de torsion sur le sol». Il écrit un peu plus loin: «elle n’est pas dans un milieu porteur: elle agit donc ainsi la nuit, dans les périodes où cela est possible», et il glisse qu’il est «probable qu’elle récupérera cette possibilité, à certaines périodes au moins, jusqu’à la fin de sa vie.» Ainsi, selon lui, cela pourrait expliquer pourquoi Marthe Robin fut retrouvée au matin de sa mort en bas de son lit: «Elle était alors dans une période où la locomotion – si l’on peut parler ainsi – lui était possible. Épuisée par la maladie, elle n’a pas pu remonter sur son lit.»
Cette hypothèse n’est toutefois pas acceptée par la famille de Marthe Robin «qui parle d’un scénario totalement improbable». Ses héritiers refusent de laisser dire que leur tante se déplaçait. À l’inverse, le Père Conrad de Meester affirme le contraire, comme nous le verrons plus tard dans notre enquête. La capacité ou non qu’avait la mystique de la Drôme de se mouvoir ou de se nourrir demeure, près de quarante ans après sa mort, source de vives suspicions. (cath.ch/imedia/hl/bh)
Retrouvez le 2e épisode de notre série mardi 13 octobre. Marthe Robin a-t-elle eu une influence dans la création de communautés et de mouvements spirituels?
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