Connu en Suisse romande comme ancien secrétaire romand de l’œuvre d’entraide protestante «Pain pour le prochain», il y a travaillé de 1998 à 2005, menant les campagnes œcuméniques de Carême avec les œuvres d’entraide partenaires, la catholique «Action de Carême» et la catholique-chrétienne «Etre partenaires».
A parcourir sa biographie, difficile de ne pas attraper le tournis: né à Zurich en 1942, Théo Buss passe sa jeunesse dans le canton de Neuchâtel, et, dans les années soixante, s’engage activement dans le mouvement des étudiants. C’est le début du militantisme… «Mais j’avais déjà été sensibilisé tout jeune, en participant aux Unions Cadettes dans les années 1950. Notre devise était: mettre le corps, l’esprit et l’âme au service du prochain. La participation aux réunions, tous les samedis, m’a ouvert au monde !»
Au début des années 1960, avec des catholiques, il fonde un groupe œcuménique de jeunes dans le canton de Neuchâtel, puis c’est la licence en théologie protestante à l’Université de Neuchâtel. Il y apprécie les cours d’un professeur invité, le chanoine fribourgeois Georges Bavaud, spécialiste du Concile Vatican II et de l’œcuménisme.
«Je me suis formé sur le tas, pas par la théorie, même si j’ai eu de bons profs à la Faculté de théologie»
Dans le désordre, le curriculum vitae de ce chrétien engagé mentionne: pasteur en paroisse au Locle (de 1970 à 1977) – pendant quelques mois, il est manœuvre dans l’entreprise Dixi, pour connaître au plus près la condition de ceux de ses futurs paroissiens qui y travaillent, souvent des immigrés dont il connaît la langue, espagnole ou italienne. Sa conscience politique s’aiguise.
Engagé dans la défense des droits humains, il est l’un des fondateurs d’Amnesty International dans le canton de Neuchâtel, et a participé à la création des Magasins du Monde au Locle: «Ce fut la troisième ville en Suisse à en ouvrir un après Genève et Lausanne!»
Il installera à Lausanne la filiale romande du Service d’information Tiers Monde (i3m), qui deviendra pour un moment INFOSUD. Il y travaillera trois ans durant comme journaliste, avant d’entrer au service du COE en 1982. Il y restera 9 ans, jusqu’en 1991, en tant qu’attaché de presse et rédacteur des éditions hebdomadaire et mensuelle en langue française du SOEPI (Service Œcuménique de Presse et d’Information). Il reprendra pour un moment son ministère pastoral dans la paroisse protestante de Meyrin.
Tour à tour, il part en Sicile, est pasteur dans le canton de Glaris, en Bolivie au service de l’Eglise méthodiste, au Nicaragua, au gré des mandats et des engagements, mais toujours «avec la justice au cœur», car, confie-t-il à cath.ch, «la justice, c’est le fil rouge de ma vie!»
A l’Université catholique de Bolivie, à Cochabamba, il est professeur, de 1992 à 1996, et y enseigne l’œcuménisme et la théologie de la libération. A Managua, et jusque dans les campagnes tropicales et caraïbes, il participe à la formation de laïcs et de théologiens. En 2011, il se rend en Israël et en Palestine dans le cadre du Programme œcuménique d’accompagnement (EAPPI), un projet du COE pour protéger les communautés vulnérables de Palestine, victimes de l’occupation israélienne. Ces accompagnateurs/trices œcuméniques (AO) venus de divers pays soutiennent également des Israéliens dans leurs activités en faveur de la paix.
Faisant sienne cette option directement tirée de l’Evangile et popularisée par les théologiens de la libération, Théo Buss avoue «avoir tout appris» également avec le savant palestinien Edward W. Saïd. Né à Jérusalem en 1935, mort à New York en 2003, ce théoricien littéraire et critique palestino-américain a enseigné, de 1963 jusqu’à sa mort en 2003, la littérature anglaise et la littérature comparée à l’Université Columbia de New York.
Révolté par le sort réservé par Israël au peuple palestinien, Théo Buss tient à dénoncer les crimes commis contre les Palestiniens dès avant la déclaration d’indépendance d’Israël du 14 mai 1948, et qui se poursuivent. Et de citer à ce propos le livre Lève-toi et tue le premier – L’histoire secrète des assassinats ciblés commandités par Israël (Grasset 2020), du journaliste et écrivain israélien Ronen Bergman.
Lève-toi et tue le premier: c’est par cette citation du Talmud que s’ouvre ce premier ouvrage exhaustif sur les programmes d’assassinats ciblés organisés par le Mossad, le Shin Bet et l’armée israélienne. Depuis les mois qui ont précédé la création de l’Etat jusqu’à maintenant, Israël a mené des opérations secrètes pour assassiner, sur son sol ou à l’étranger, ceux qu’il désigne comme ses ennemis.
«Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse glorifieront toujours le chasseur…»
«Depuis la Seconde Guerre mondiale, les Israéliens ont ainsi éliminé de manière ciblée plus d’individus que n’importe quel autre pays occidental», écrit Ronen Bergman. «Aujourd’hui, de tels méfaits comme ces exécutions extra-judiciaires, sont qualifiés par la législation de défense des droits humains comme des crimes contre l’humanité», insiste le pasteur neuchâtelois
Auteur d’ouvrages importants, «L’Orientalisme» (1978), «Culture et Impérialisme» (1993), «La Question de Palestine» (2010), Edward W. Saïd lui a donné les clefs de la compréhension du colonialisme et de l’impérialisme, souligne Théo Buss. De même la remarquable Sophie Bessis, une historienne et journaliste juive franco-tunisienne, auteure de «L’Occident et les autres – Histoire d’une suprématie» (2002). Elle y cite un vieux proverbe africain: «Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse glorifieront toujours le chasseur…»
Le pasteur militant a formé sa vision au jour le jour des luttes, confronté aux dictatures militaires pilotées de Washington, qui ont ensanglanté pendant des décennies le continent latino-américain. Dans son livre, il dissèque l'»Opération criminelle Condor» où collaborait le gang des dictateurs – parmi les pires: Stroessner, au Paraguay, Banzer en Bolivie, Pinochet, au Chili et Videla en Argentine – sous l’égide de l’administration américaine.
Mais il y a aussi des moments lumineux, quand il rencontre Nelson Mandela au COE, à Genève, quatre mois après sa libération des geôles de l’apartheid, où il avait passé plus de 27 ans, avant d’être enfin relâché le 11 février 1990. Rencontrer ‘Madiba’, du nom de son clan, affirme Théo Buss, qui travaillait alors pour le COE, «voir un homme sans rancune après toutes ces années de détention dans l’isolement, sans aucun esprit de revanche, venu avec un esprit de réconciliation, c’était tellement exceptionnel».
«Nous en avions les larmes aux yeux, dans la grande salle bondée du Centre oecuménique!»
S’il ne traite pas dans son livre de l’avenir de l’Eglise, il confie à cath.ch qu’elle doit se profiler davantage, ne pas avoir peur de sortir des sentiers battus, avoir le courage de faire face aux réalités inéluctables: le monde change !
Il salue l’engagement du pape François, son aura et son rayonnement bien au-delà des fidèles de l’Eglise catholique. «Il se réfère à la théologie de la libération, il est dans la bonne ligne, et cela lui vaut beaucoup d’inimitiés. Chapeau pour son courage !»
Aujourd’hui membre d’un comité local de l’initiative pour des multinationales responsables et du Collectif Action Palestine, Théo Buss publie son troisième livre: «Justice au cœur», Editions de l’Aire 15, 1800 Vevey. (cath.ch/be)
Le pasteur qui dénonce les complicités helvétiques dans l’esclavage
Les relations du pasteur neuchâtelois avec l’institution ecclésiale n’ont pas toujours été au beau fixe. Ainsi la «mise au point» du Conseil synodal de l’EREN concernant sa prédication, retransmise sur les ondes de la Radio suisse romande (Espace 2), lors du culte du 9 mars 2003 à la Collégiale de Neuchâtel en ouverture de la campagne de Carême de cette année-là.
Théo Buss rappelait, en mentionnant les complicités helvétiques dans le commerce triangulaire de marchandises et d’esclaves entre l’Afrique, l’Amérique et l’Europe, qui a dépeuplé le continent africain, que «Dieu préfère les opprimés, tous ceux qui sont méprisés». Il comparait l’attitude et les actions du Hollandais Max Havelaar (pseudonyme utilisé par Eduard Douwes Dekker, pionnier de la dénonciation de l’exploitation coloniale dans les Indes néerlandaises – l’Indonésie actuelle) et celles de Pierre Alexandre DuPeyrou (1729-1794).
Le richissime Pierre Alexandre DuPeyrou
Cette figure de l’histoire de Neuchâtel, qui fit construire et donna son nom à un hôtel particulier somptueux, était l’héritier d’une famille huguenote qui fit fortune en Guyane hollandaise (actuel Surinam). Ami de Jean-Jacques Rousseau, anticlérical, déiste, et franc-maçon, DuPeyrou tirait l’essentiel de ses rentes de l’exploitation des esclaves trimant dans ses plantations…
Mais il était en bonne compagnie avec d’autres profiteurs de l’entreprise coloniale: «il y a eu des de Meuron, il y a eu David de Pury, considéré comme le bienfaiteur de notre ville», avait lancé le pasteur. Tollé à l’époque chez les bien-pensants et certaines autorités ecclésiastiques. Aujourd’hui, c’est une réalité assumée. Cet été, la statue du «bienfaiteur de Neuchâtel» a été barbouillée de peinture rouge symbolisant le sang des esclaves. Difficile d’avoir raison avant les autres! JB
Jacques Berset
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/theo-buss-pasteur-et-journaliste-une-vie-avec-la-justice-au-coeur/