«Fratelli tutti devrait être lue par tous les dirigeants du monde, quel que soit leur appartenance politique ou religieuse», souligne Hafid Ouardiri. L’intellectuel musulman a d’ailleurs placé le texte sur le site internet de sa fondation de l’Entre-connaissance, basée à Genève. Il affirme souscrire totalement aux thèses développées dans les 90 pages de Fratelli tutti, la 3e encyclique du pape François, qui a pour sous-titre «sur la fraternité et l’amitié sociale». Un texte qui parachève sept années d’engagement et d’interventions du pontife en faveur du dialogue et de la solidarité inter-humaine.
Hafid Ouardiri a notamment apprécié la dimension «universelle» et non pas «universaliste» de l’œuvre. «C’est un vrai universel, celui qui est démuni d’arrogance et enrichi de bienveillance». Il salue également le contraste que le pape réalise entre ‘individualisme’ et ‘individualité’. «Il est dans la défense des personnes, pas des idéologies qui enferment».
Le Genevois estime que le pontife fait, dans la première partie de l’encyclique, une état des lieux certes pessimiste et sombre du monde, mais complètement réaliste. «Selon moi, la volonté du pape était d’exprimer les limites de l’homme tout puissant». Le pontife remet en question avec raison les systèmes qui n’ont pas servi la fraternité que l’homme aurait pu développer. «François met en avant de façon très pertinente les signes du recul de l’humanité, la montée de l’égoïsme, la perte du sens social». Le pontife a mis le doigt sur les maux de la société d’aujourd’hui, assure-t-il. «En particulier le virtuel qui détruit la véritable relation».
Hafid Ouardiri se réjouit que le pontife argentin se soit inspiré de la figure de saint François d’Assise pour écrire l’encyclique. «C’était une personnalité exceptionnelle, qui a su se dépasser pour aller vers l’autre». Celui qui travaille comme médiateur culturel pense notamment à la rencontre du saint d’Ombrie avec le sultan Al-Malik, en 1219, en pleine période des Croisades. Sur ce modèle, François est le pape qui su le mieux développer ce type de rencontre, assure le fondateur de l’Entre-connaissance. Il est aussi enthousiaste que le pape rappelle le Document sur la fraternité humaine, signé en février 2019 avec Ahmed Al-Tayyeb, le recteur de l’Université Al-Azhar, au Caire.
«Ceux qui thésaurisent nous terrorisent»
L’encyclique pourrait-elle donc renforcer encore ce mouvement de rencontre entre l’islam et la chrétienté? Pas tout à fait, car pour Hafid Ouardiri, il n’y a jamais eu de conflit entre les deux religions. «Le seul conflit est celui qui existe entre ceux qui font dire aux textes ce qu’ils ne disent pas». D’ailleurs, le musulman genevois assure qu’il souscrit totalement aux passages de l’Evangile mentionnés dans Fratelli tutti, en particulier le Bon Samaritain. «Ce sont des textes qui s’adressent à toute l’humanité», explique-t-il, relevant que l’islam enjoint au respect de la Bible, considérée comme une Ecriture sainte. Ainsi, l’encyclique ramène au vrai sens du «djihad» qui est une lutte, non contre les autres, mais contre les mauvais aspects de nous-mêmes.
Le message de l’encyclique rejoint aussi complètement celui de l’Appel spirituel de Genève. Le texte a été proclamé en 1999 par plusieurs personnalités internationales et locales de diverses religions, dont le fondateur de l’Entre-Connaissance. Il exhorte entre autres au respect de la dignité humaine et au refus de l’instrumentalisation de la religion pour des actes de haine ou de violence. L’intellectuel genevois salue en cela le rejet, exprimé dans Fratelli tutti, du concept de «guerre juste».
L’ancien porte-parole de la mosquée de Genève note le lien fait par le pape entre les inégalités sociales et la violence inter-humaine. «Ceux qui thésaurisent nous terrorisent», lance-t-il. L’abus du droit de propriété dont parle le pontife est effectivement à la racine de la guerre et du meurtre. «L’inégalité sociale mène à la fragilisation et la déshumanisation de l’être humain, à l’individualisme qui est un refus de considérer l’autre comme une partie de soi-même. L’asservi développe la peur qui le pousse à se battre pour retrouver sa dignité». Le musulman dénonce ce «privé qui prive les autres». Il rappelle que dans l’islam existe la «Zakat», l’aumône légale. «En donnant de ce que je possède, je retire ce qui, de fait, appartient à l’autre. En islam, ce n’est pas une charité, mais une obligation. Le rappel que l’accaparement a des limites».
Pour Hafid Ouardiri, Fratelli tutti «parle un langage qui rejoint l’islam tel que je le définis». Pour autant, il assure ne pas l’avoir lue «en tant que musulman»: «J’ai lu la lettre d’un être humain qui parle aux autres êtres humains». Il salue en cela la pédagogie du pape François, qui a su rédiger un texte franchissant les barrières du monde catholique. Le Genevois y voit la capacité du pontife argentin à «prêcher le sens de l’humain». «Il ne dénigre rien, il dépoussière, pour faire la lumière en nous. Il communique sans exclure personne».
Le fondateur de l’Entre-Connaissance souligne que l’encyclique trace une voie qui permet le véritable dialogue entre toutes les dimensions humaines, qu’elles soient culturelles ou religieuses, de trouver une «voie du milieu», qui offre des solutions pour l’humanité. «En tant que musulman, je n’ai aucun problème avec tout homme qui œuvre au dialogue, à la solidarité. Dieu est forcément avec ceux qui entreprennent une telle démarche». Pour Hafid Ouardiri, Fratelli tutti est ainsi «le seul et unique remède pour retrouver le vrai sens de la Vie!» (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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