Cristina Vonzun, catt.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
Mauro Jöhri succède, à l’âge de 73 ans, au Frère Edy Pedruzzi à la tête des Capucins suisses italiens qui assumait cette charge depuis 2018.
Originaire de Bivio (GR), il a été ministre général de l’Ordre des capucins de 2006 à septembre 2018. Après avoir achevé son service au niveau mondial, il s’est retiré au monastère de la Madonna del Sasso, à Locarno, avant de rejoindre le monastère de la Celle, près de Cortona, en Italie, où il accueillait des confrères capucins et des pèlerins de passage.
Quels sont les principaux défis pour les capucins de Suisse italienne?
Le plus grand défi concerne la fraternité de la vie communautaire dans nos institutions. Il s’agit de coordonner tout cela et de maintenir des espaces d’ouverture orientés vers l’avenir. Nous devons nous demander quels sont les besoins auxquels nous pouvons répondre à partir de notre charisme, qui est de mener une vie simple et fraternelle. La force de ce charisme est la possibilité d’offrir des espaces de rencontre et des actions d’accompagnement des personnes, intégrés dans la vie de l’Eglise locale.
Les gens sont marqués par le coronavirus. Dans cette nouvelle donne, il semble que les relations interpersonnelles aient pris de l’importance…
La pandémie a mis en lumière l’ampleur du drame de la solitude. A l’occasion de la fête du «Pardon d’Assise», qui cette année est tombée un dimanche [2 août], j’ai passé la journée à confesser des personnes. Elles ressentaient le besoin, non seulement de raconter ce qu’elles ont vécu, mais aussi d’exprimer leurs incertitudes face à l’avenir. Nous pensions jusque-là que la science avait réponse à tout, et nous avons brusquement découvert que ce n’était pas le cas. La science est certes importante, mais elle ne peut pas tout résoudre dans nos vies. Une confiance peut maintenant être retrouvée dans la foi, qui est à la fois soutien fondamental et ouverture vers un au-delà, vers un avenir, mais aussi vers le cœur.
«Si l’Esprit-Saint nous a donné ce pontife, c’est qu’il a un message pour notre monde actuel»
Dans sa dernière lettre pastorale, Mgr Valerio Lazzeri, évêque de Lugano, rêve de créer des «laboratoires d’espérance», des lieux de rencontre, d’écoute et de charité active. Comment voyez-vous la mise en œuvre de cette idée?
Parler d’espérance, c’est faire part de sa volonté de marcher avec les gens, de les écouter, d’être proche d’eux. Ce que les gens recherchent, c’est de pouvoir se rencontrer, de manière fraternelle et accueillante, dans des lieux où ils peuvent espérer. J’ai pu trouver cela dans des communautés que je connais et que j’ai récemment visitées. Je ne sais pas si les paroisses peuvent actuellement répondre à ce besoin.
Malheureusement, les prêtres doivent courir de tous les côtés pour célébrer les messes. Le pape François dit que «le temps est supérieur à l’espace». Qu’est-ce qu’il entend par là? Pour lui, l’espace, ce sont les structures à maintenir, tandis que le temps, ce sont les processus, la croissance, la conversion. Le risque est que nous nous focalisions beaucoup plus sur l’espace que sur ces processus relationnels. Les «laboratoires d’espérances» pourraient ainsi être de petites communautés désireuses de partager leur foi, leur temps et leur vie avec d’autres. C’est une urgence aujourd’hui.
Que souhaitez-vous transmettre aux capucins de Suisse italienne sur l’enseignement du pape François, que vous connaissez bien?
J’ai eu la chance d’échanger plusieurs fois avec le pape. Pour moi, le plus important est de faire émerger un message de confiance: mettre la Miséricorde, l’Evangile, la personne au centre. Ce qu’il nous faut développer, c’est une étreinte accueillante. Je suis enthousiaste de l’insistance du pape sur le caractère concret de la proximité avec les pauvres: on ne peut pas se dire de vrais chrétiens s’il n’y a pas cette attention à un monde où la pauvreté ne cesse de croître et où l’on se sent impuissant face à des drames sans fin. Ce qui s’est passé il y a quelques jours à Lesbos, ou ce qui se produit quotidiennement en Méditerranée, doit directement nous interpeller.
Le pape François est souvent attaqué, même à l’intérieur de l’Eglise. Qu’en pensez-vous?
Ce sont certains secteurs de la hiérarchie de l’Eglise qui mènent ces attaques. C’est une situation qui fait mal. Dans le passé, il y a eu des pontifes qui ne correspondaient peut-être pas tout à fait à ma vision des choses, mais, comme l’a récemment souligné le cardinal Scola: «C’est le pape». Si l’Esprit-Saint nous a donné ce pontife, c’est qu’il a un message pour notre monde actuel et l’Eglise doit le prendre au sérieux.
Je comprends que l’on puisse disputer certains points, mais pas exercer des critiques aussi violentes et gratuites contre le pape. Sinon, chacun reste sur sa position, et c’est comme si nous disions: «Mes idées sont plus fortes que l’Institution». La figure de saint François transmet cette capacité de maintenir ensemble l’institution de l’Eglise et son charisme, qui ne sont pas contradictoires mais complémentaires. Saint François symbolise cette double fidélité, dans une tension vécue de façon unifiée. (cath.ch/catt/cv/rz)
Au service des capucins suisses et du monde
Né à Bivio, dans les Grisons italiens, Mauro Jöhri est entrée dans l’Ordre des Capucins en 1964. Il a étudie la théologie à Soleure, Fribourg, Tübingen, et à Lucerne. Il a été ordonné prêtre en 1972. En 1980, il a obtenu un doctorat à la Faculté de théologie de Lucerne avec une thèse sur le théologien suisse Hans Urs von Balthasar. Parmi ses nombreux engagements, il a été professeur dans les Facultés de théologie de Coire et de Lugano, ainsi que supérieur des capucins de la Suisse italienne et Provincial de suisse. DP
Rédaction
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