Amy Coney Barrett était depuis des années sur la liste des favoris de la droite chrétienne pour rejoindre la Cour suprême. Si elle est confirmée par le Sénat, elle succédera, à 48 ans, à la progressiste Ruth Bader Ginsburg, décédée le 18 septembre, et ancrera la Cour suprême à droite. «Il est clair qu’elle va permettre de récupérer une partie du vote catholique en faveur de Donald Trump», analyse dans le quotidien La Croix Jean-Eric Branaa, maître de conférences à l’Université Paris-2 Panthéon-Assas et spécialiste des Etats-Unis.
Selon lui, le profil d’Amy Coney Barrett ne peut que résonner dans l’esprit des catholiques pro-vie, pro-armes et anti-immigration, ce qui explique l’offensive de Trump dans leur direction: «Cette année tout se jouera dans les Etats clés de l’Illinois, de l’Indiana et du Wisconsin où le vote catholique compte beaucoup (ndlr, entre 28 et 35 % des électeurs).»
Née en Louisiane, diplômée de l’Université Notre-Dame (Indiana) où elle a aussi enseigné le droit, Amy Coney Barrett est décrite dans les milieux juridiques comme une juriste rigoureuse et cherchant le compromis plus qu’à imposer des décisions extrêmes. Presque inconnue voici quatre ans, elle avait été placée par un conseiller juridique de Trump, lui-même enseignant à Notre-Dame, sur une liste de candidats conservateurs potentiels pour pourvoir des postes de juges.
En 2017, sa nomination par Trump à la cour d’appel de Chicago avait donné lieu à une audition difficile par la commission des affaires judiciaires du Sénat. Des élus démocrates l’avaient questionnée à propos de sa foi catholique. «Le dogme résonne très fort avec vous», lui avait lancé une sénatrice démocrate, et c’est un sujet d’inquiétude pour un certain nombre.» Catholique pratiquante et mère de sept enfants, dont deux adoptés en Haïti, et un autre trisomique, Amy Coney Barrett est dénoncée par des groupes de pression démocrates comme une juge partisane et rétrograde.
Membre de la communauté charismatique «People of Praise», d’esprit pentecôtiste (voir encadré), elle a notamment déclaré, lors d’un discours devant les étudiants en droit de l’Université de Notre-Dame: «Votre carrière est un moyen pour un but, et ce but est la construction du Royaume de Dieu.» Mais elle a assuré faire la distinction entre sa foi et «ses responsabilités de juge». A la cour d’appel fédérale de Chicago, elle a notamment pris des positions favorables aux armes à feu et défavorables aux migrants et aux femmes désirant avorter, ainsi qu’à la loi sur l’assurance-santé Obamacare, que les républicains veulent démanteler.
Juste après l’annonce de sa nomination, le candidat démocrate à la Maison-Blanche Joe Biden a appelé le Sénat américain à ne pas se prononcer sur cette désignation de la juge Barrett avant la présidentielle du 3 novembre. Une nomination qui ancrerait durablement la Cour suprême dans le conservatisme, ses juges étant nommés à vie. Tout le camp démocrate est donc vent debout, arguant qu’il devrait revenir au vainqueur de l’élection présidentielle de faire un choix si déterminant pour la société américaine, puisque c’est elle qui tranche les grands débats de la société américaine.
Directeur de l’Alliance for Justice, un lobby légal progressiste, Daniel Goldberg estime que si elle entrait à la Cour suprême, «la juge Barrett, qui s’est même opposée à l’accès à la contraception, serait un fléau pour les droits des femmes à la santé reproductive».
Selon les termes de la Constitution des Etats-Unis, il appartient au Sénat (où les républicains sont majoritaires) de confirmer les nominations présidentielles pour la Cour suprême. La procédure prévoit des auditions devant le comité judiciaire du Sénat qui pourraient commencer dès le 12 octobre, avant un vote de tous les élus en séance plénière le 29 octobre. Soit quelques jours avant l’élection présidentielle.
L’empressement des sénateurs républicains pour faire confirmer la juge conservatrice avant la présidentielle, alors que Donald Trump refuse de garantir un transfert pacifique du pouvoir s’il est battu par le démocrate Joe Biden, les met toutefois en porte-à-faux avec la règle qu’ils ont eux-mêmes édictée.
En 2016, les sénateurs avaient en effet bloqué un magistrat nommé par Barack Obama en remplacement d’un juge conservateur, sous prétexte de devoir attendre le résultat de l’élection présidentielle. Or selon un sondage du Washington Post et de la chaîne ABC publié la semaine passée, 57% d’Américains aimeraient que les républicains se plient à leur propre règle et seulement 38% des personnes interrogées soutiennent la nomination de la juge à la Cour suprême avant le 3 novembre. Cette bataille pour la Cour suprême sera l’un des sujets du premier débat présidentiel entre Donald Trump et Joe Biden le 29 septembre 2020. (cath.ch/cp)
People of Praise et «Servante écarlate»: la polémique se dégonfle
Depuis sa nomination à la Cour Suprême, l’appartenance de la juge Amy Coney Barrett au groupe religieux People of Praise (Le peuple de la louange), soi-disant à l’origine du roman dystopique «La Servante écarlate» (»The Handmaid Tale»), a de nouveau soulevé la polémique aux Etats-Unis. Dans ce roman, son auteure, Margaret Atwood, y dépeint des servantes comme esclaves sexuelles forcées de porter les enfants de leurs maîtres. Le groupe People of Praise créé en 1971 à South Bend, la ville d’Indiana où enseignait la juriste avant d’être nommée juge fédérale par l’administration Trump en 2017, prône une vision de la famille dans laquelle la femme obéit à son mari sous peine d’être «humiliée», selon des témoignages d’anciens membres recueillis par le magazine Newsweek. Les femmes célibataires, appelées jusqu’en 2017 «servantes», y étaient guidées par d’autres femmes leaders.
Selon le site américain Vox qui a mené l’enquête et contrairement à ce qu’ont affirmé certains médias du pays, ce n’est pas ce groupe religieux qui a inspiré «La Servante écarlate» et son adaptation télévisée, mais le groupe People of Hope. Selon certains anciens membres, ce groupe fondamentaliste du New Jersey se comporte comme une secte et aurait arrangé des mariages entre adolescents. Il appelle aussi les femmes «servantes», d’où la confusion. L’indignation suscitée par la controverse témoigne surtout du poids symbolique que «La Servante écarlate» revêt aujourd’hui dans la culture américaine. (CP)
Carole Pirker
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/usa-avec-la-juge-amy-coney-barrett-trump-vise-lelectorat-catholique/