Evangile de dimanche: Tout est dans l’œil!

Cet évangile ne peut que nous prendre à contre-pied tellement nous avons tous une machine à calculer fixée dans notre cerveau, et cela dès l’enfance. La justice est distributive: un travail plus important mérite un salaire plus important: «à chacun selon son dû». Or voilà que Jésus brouille les cartes et nous invite à redécouvrir ce qu’est la justice divine.

Lorsque le maître de la vigne promet, tôt le matin, un salaire d’un denier (une pièce d’argent, dans la traduction liturgique) à des journaliers en attente d’embauche, il est généreux. C’était largement payé, c’était plus que le salaire habituel d’une journée. Autant dire que ceux qui n’auront travaillé que depuis 9 heures ou depuis midi se sentiront d’autant plus comblés. Quant à ceux qui n’auront travaillé à la vigne qu’à partir de 17 heures, à la fraîche en somme, quand se lève la brise vespertinale, ce sera pour eux tout à fait inespéré: ils se retrouveront comblés et honorés au-delà de leur attente.

Si l’histoire se passait en Suisse, chacun aurait dû donner son IBAN, les coordonnées de son compte bancaire. De retour chez soi, quelques jours plus tard, chacun aurait découvert la somme versée sur son compte. Les premiers: le denier promis et généreusement payé. Les autres un denier aussi, pour leur plus grande joie. Chacun aurait donc été content, très content. La justice était honorée pour le premier (un denier promis, un denier versé), et largement honorée, une justice généreuse et débordante pour les autres. Alors, où est le problème?

«Cet évangile invite à une conversion du regard et du cœur: la justice de Dieu déborde en miséricorde.»

C’est que dans le récit évangélique la distribution des honoraires a lieu en public, en commençant par les derniers. Lorsque ceux-ci reçoivent un denier – ce qui avait été promis – ils sont comblés. Tout naturellement, ceux qui avaient peiné depuis tôt le matin s’attendaient à recevoir davantage. Une fois le denier versé, ils récriminent contre le maître, s’estimant lésés. Jésus, au nom de Dieu, ne peut que rappeler: «n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens, ou alors ton regard est-il mauvais parce que je suis bon?».

Tout est donc dans l’œil. Le Seigneur veut bien combler les derniers arrivés et nous pourrions, nous devrions partager sa joie lorsqu’il accueille des retardataires, des pécheurs, alors que nous nous voyons comme des chrétiens blanchis sous le harnais et donc en droit de priorité. Cet évangile invite à une conversion du regard et du cœur: la justice de Dieu déborde en miséricorde. Elle dépasse tout droit et tout calcul.

«C’est pas juste» s’était exclamé un ado à qui je commentais cette page d’évangile en l’actualisant. Et quand je lui demandais: combien t’avais-je promis? Il dut reconnaître que la somme promise était reçue. Alors il me regarda et avec une perspicacité magnifique, il m’avoua: «c’est trop juste!»

Jean-Michel Poffet | Vendredi 18 septembre 2020


Mt 20,1-16

En ce temps-là,
Jésus disait cette parabole à ses disciples :
    « Le royaume des Cieux est comparable
au maître d’un domaine qui sortit dès le matin
afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.
    Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée :
un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent,
et il les envoya à sa vigne.
    Sorti vers neuf heures,
il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire.
    Et à ceux-là, il dit :
›Allez à ma vigne, vous aussi,
et je vous donnerai ce qui est juste.’
    Ils y allèrent.
Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures,
et fit de même.
    Vers cinq heures, il sortit encore,
en trouva d’autres qui étaient là et leur dit :
›Pourquoi êtes-vous restés là,
toute la journée, sans rien faire ?’
    Ils lui répondirent :
›Parce que personne ne nous a embauchés.’
Il leur dit :
›Allez à ma vigne, vous aussi.’

    Le soir venu,
le maître de la vigne dit à son intendant :
›Appelle les ouvriers et distribue le salaire,
en commençant par les derniers
pour finir par les premiers.’
    Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent
et reçurent chacun une pièce d’un denier.
    Quand vint le tour des premiers,
ils pensaient recevoir davantage,
mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier.
    En la recevant,
ils récriminaient contre le maître du domaine :
    ›Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure,
et tu les traites à l’égal de nous,
qui avons enduré le poids du jour et la chaleur !’
    Mais le maître répondit à l’un d’entre eux :
›Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi.
N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ?
    Prends ce qui te revient, et va-t’en.
Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi :
    n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ?
Ou alors ton regard est-il mauvais
parce que moi, je suis bon ?’

    C’est ainsi que les derniers seront premiers,
et les premiers seront derniers. »

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