Par Vincent Delcorps / Dimanche
Votre dernier ouvrage interroge les liens entre religion et pandémie. Un sacré clin d’œil à l’actualité…
Philippe Martin: En fait, l’idée est apparue en même temps que le Covid! Je me suis demandé comment l’historien pouvait participer à la réflexion collective au moment même où l’actualité devenait si prégnante.
Dans votre livre, vous couvrez trois grandes épidémies…
Je commence par la peste noire. Au XIVe siècle, elle a sans doute tué 70 millions de personnes. Or, à l’époque, la Terre ne comptait que 240 millions d’humains. C’est donc près d’un tiers de l’humanité qui a disparu!
Comment l’Eglise, si présente à l’époque, se positionne-t-elle face à ce fléau?
La religion chrétienne joue alors trois rôles. Tout d’abord, elle met en place des structures de soin. A l’époque, tout le réseau sanitaire et médical est piloté par l’Eglise. Des religieux et religieuses tiennent des hôpitaux, des prêtres sont au contact des malades… Le deuxième rôle est lié à l’accompagnement spirituel. Alors que les gens sont épuisés et se mettent à douter de tout, les Eglises leur offrent un cadre.
Dernier élément: les ecclésiastiques servent de relais entre l’Etat et la population pour favoriser l’implantation des mesures de protection. En chaire, les prêtres disent: «en raison de l’épidémie, vous ne pouvez plus quitter le village. Si vous le faites, vous serez excommuniés!» A l’époque, il n’est pas question d’amendes mais de peines spirituelles. Ces trois missions structurent véritablement la lutte contre la pandémie. Jusqu’au XVIIe siècle, les grandes pandémies sont combattues par des religieux.
«Au XIVe siècle, la peste noire a sans doute tué 70 millions de personnes.»
La deuxième pandémie que vous étudiez est le choléra…
Le choléra vient d’Asie et arrive en Europe dans les années 1830. Le contexte n’est évidemment plus celui du Moyen Age. Au XIXe siècle, le système médical n’est plus le monopole de l’Eglise. Il y a d’ailleurs des tensions entre médecins et religieux, liées au fait que ceux-ci interviennent gratuitement. «Exercice illégal de la médecine!», accusent les médecins. «En temps d’épidémie, une médecine charitable peut exister», rétorquent les clercs.
Les messes sont-elles encore autorisées en période de pandémie?
Ce sont des questions qui se posent. Au sein-même du clergé, certains réclament la fermeture des églises. Mais le principal point de crispation, c’est la question des enterrements. Des mesures très sévères sont prises pour éviter les rassemblements, les embrassades… Exactement comme on l’a vu il y a quelques mois.
La pandémie va-t-elle avoir un impact sur l’Eglise elle-même?
Il est intéressant de relever que c’est à la fin de l’épidémie de choléra que se tient le concile Vatican I (1869-1870). Ce concile pose plusieurs questions essentielles, directement liées à la pandémie: quel est le sens de la communion? Comment peut-on communier? Doit-on obligatoirement célébrer dans des églises? Il faudra toutefois attendre le concile Vatican II pour que l’Eglise modifie ses positions sur ces questions.
«J’ai été frappé de constater que, dans nos régions, toutes les religions ont soutenu les Etats dans la lutte face au Covid.»
Qu’est-ce qui a frappé l’historien des religions dans la crise du Covid?
J’ai été frappé de constater que, dans nos régions, toutes les religions ont soutenu les Etats dans la lutte face au Covid. Il y a eu un front commun. Les mosquées, les temples, les synagogues et les églises ont été fermées avant même les mesures officielles. Evidemment, il y a toujours quelques zozos qui font n’importe quoi…
On a parfois pu lire que le Covid s’était propagé à cause des rassemblements religieux…
C’est une stigmatisation! Une étude portant sur 28 pays a permis d’identifier 59 événements qui ont lancé la pandémie. Parmi ceux-ci, à peine cinq sont d’ordre religieux. A côté de ça, il y eut des soirées après-ski, des matches de football, des congrès professionnels…
Qu’avez-vous pensé du pape François durant la crise?
Il me semble que son attitude a été parfaite. Il a mobilisé toutes les ressources médicales dont l’Eglise dispose. Dans certains pays, ce n’est pas rien: en Inde, l’Eglise catholique tient 70’000 structures sanitaires. A Pâques, le pape a donné sa bénédiction Urbi et Orbi devant une place vide. Et il n’a cessé de dire qu’il fallait respecter les règles des Etats et écouter les scientifiques. Ce faisant, il s’est fait critiquer avec une violence ahurissante. Ses opposants lui ont dit: «le Covid, c’est de votre faute!», ajoutant que cela faisait exactement 60 ans que le rite de la messe avait changé… En ce sens, le Covid a révélé les tensions internes à l’Eglise.
«Dans certains pays, ce n’est pas rien: en Inde, l’Eglise catholique tient 70’000 structures sanitaires.»
Pour celle-ci, pensez-vous que le Covid marquera un tournant?
Il y a en tout cas des choses qui ont bougé sur le terrain. A Hurtebise (Le monastère Notre-Dame d’Hurtebise des moniales bénédictines, dans le sud de la Belgique, ndlr) par exemple, vu la difficulté à faire venir un prêtre, les religieuses ont décidé de ne plus avoir qu’une messe par semaine. Et cela pendant un an. C’est en contradiction complète avec la règle de saint Benoît!
Mais les changements seront-ils durables?
Dans la foulée du coronavirus, j’ai effectué un sondage auprès de plusieurs centaines de personnes, essentiellement des croyants (lire encadré). Elles en appellent à des changements de société et à des changements au sein des Eglises. Elles veulent moins de rigidités. Elles veulent mettre l’écologie au centre, revoir le système de la communauté, réfléchir au sens de la communion… Je pense que les changements concerneront particulièrement l’usage des nouvelles technologies. Un pasteur m’a dit: »Je ne ferai plus 50 kilomètres chaque semaine pour voir trois personnes, cela n’a pas de sens. Dorénavant, on utilisera WhatsApp.» Ceci dit, en ce qui concerne l’Eglise catholique, je ne suis pas certain que des changements viendront du haut, précisément en raison des oppositions auxquelles le pape François est confronté. (cath.ch/dimanche/vd/bh)
>Philippe Martin, Religions et pandémies. De la Peste au Covid-19, Cerf. A paraître le 22 octobre 2020.
Un sondage en ligne
Du 31 mai au 5 juillet, Philippe Martin a sondé en ligne 648 individus, dont 83% de Français et 59% de catholiques. Objectif: cerner la manière dont la foi a été impactée par la pandémie. Voici les principaux enseignements.
Religion et politique
68% des sondés estiment que les Eglises n’ont pas à se prononcer sur les mesures gouvernementales. En ce sens, une majorité d’entre eux voit d’un mauvais œil les prises de position adoptées par certaines autorités religieuses contre les décisions du politique.
Le monde d’après
79% des répondants pensent que les religions ont un rôle à jouer pour définir ce que doit être «le monde d’après». Les sondés estiment que d’autres composantes de la société (le monde de l’économie, la culture…) doivent également jouer un rôle. Ils estiment cependant que les religions ont comme spécificité le fait de porter une quête de sens. Parmi les grands défis liés au monde d’après, l’écologie et le souci des plus faibles sont les principaux cités.
La prière
60% des sondés déclarent ne pas avoir prié davantage durant le confinement. Sans doute parce que la plupart d’entre eux avaient déjà une vie de prière assez développée. A la question «qui avez-vous prié?», Marie apparaît en première position, avec 65 occurrences. A la question «pour quoi/qui avez-vous prié», les malades (65) et les soignants (55) sont les plus cités. La fermeture des lieux de culte n’a, quant à elle, été une privation que pour 51% des répondants. VD
Rédaction
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/jusquau-17e-siecle-des-religieux-ont-combattu-les-pandemies/