Des dizaines de milliers de Biélorusses défilent dans les rues, depuis juin 2020, pour réclamer le départ du président Alexandre Loukachenko, accusé d’avoir truqué les élections qui l’ont replacé au pouvoir. Ce dernier augmente la pression sur ses adversaires, notamment en réprimant les manifestants et en arrêtant des opposants.
Mgr Tadeusz Kondrusiewicz, archevêque catholique de Minsk, a dénoncé, début août, la répression de la part des forces de l’ordre, tout en proposant la médiation de l’Eglise. Face à ces prises de position, le président Loukachenko a conseillé aux Eglises de ne pas se mêler de politique. En représailles, le gouvernement a empêché, début septembre, l’archevêque Kondrusiewicz de rentrer dans le pays après un séjour en Pologne.
Le Père Ihar Lachuk, qui officie dans une petite ville de Biélorussie proche de la capitale, suit avec attention la situation. Contacté par cath.ch, il raconte son expérience au cœur de la tourmente.
Le président Loukachenko a, à plusieurs reprises, menacé l’Eglise catholique. Cela vous inquiète-t-il?
Ihar Lachuk: Le gouvernement met en place toutes sortes de provocations. Outre le blocage de Mgr Kondrusiewicz à la frontière, il y a eu notamment l’enfermement de manifestants dans la cathédrale de Minsk. Mais du côté des prêtres, on sait que les mesures de surveillance ont été renforcées, les homélies sont écoutées, les voyages à l’étranger sont contrôlés. Les bagages des prêtres qui rentrent en Biélorussie subissent une fouille en règle. Les douaniers recherchent principalement de l’argent [qui pourrait, selon le gouvernement, servir à financer l’opposition, ndlr.]. Beaucoup de membres du clergé ont simplement peur de sortir du pays, craignant de subir le même sort que l’archevêque, et de ne pas pouvoir revenir.
Nous, les prêtres, vivons maintenant dans la crainte de nous faire arrêter. C’est difficile, mais nous nous répétons: «Si Dieu est avec nous, qui peut être contre nous?»
Quelle est la position de l’Eglise catholique face aux événements?
La position de l’Eglise a été très clairement exprimée par l’archevêque Tadeusz Kondrusiewicz. Elle se base sur la doctrine sociale de l’Eglise. C’est-à-dire que nous soutenons la mise en place d’un dialogue entre l’opposition et les autorités. Nous condamnons tout type de violence, notamment le tabassage des manifestants. Nous voulons que des enquêtes soient lancées concernant tous les actes de violence et les fraudes étatiques. Nous voulons aussi des réponses pour toutes les personnes signalées disparues.
C’est à cause de ces prises de position publiquement exprimées par Mgr Kondrusiewicz, que ce dernier n’a pas été autorisé à rentrer au pays. Une situation absurde, puisque le droit pour tout citoyen biélorusse d’entrer sur le territoire national est inscrit dans la Constitution.
Mais que fait l’Eglise concrètement?
Notre action se situe surtout dans la prière. La prière est notre arme, et c’est une voix qui interpelle la conscience de chacun.
Comment est l’atmosphère en Biélorussie actuellement?
Dans ma petite ville, tout le monde se connaît et sait ce que pensent les autres. Donc, je suis bien au fait de l’atmosphère générale. Au sein de la population, l’ambiance reste globalement bonne, les gens sont soudés, même si les tensions entre différents groupes se sont intensifiées ces derniers temps. Les divisions se concentrent surtout entre les autorités et le peuple, et entre les fonctionnaires honnêtes et malhonnêtes.
«Les Biélorusses sont unis dans le rejet des mensonges de l’Etat et du président»
Pour la très grande majorité du peuple, la priorité est que le président Loukachenko parte. Les gens ne se préoccupent même pas de savoir qui pourrait le remplacer, ils veulent que ce président, considéré comme «primitif», quitte le pouvoir. Les Biélorusses ne sont pas contents de la façon dont il a gouverné le pays depuis 26 ans.
Quels sont les principaux soutiens du président Loukachenko?
Au sein des autorités, ses soutiens sont juste quelques dizaines de personnes, qui ne défendent pas des idéaux particuliers, mais qui servent les intérêts du pouvoir en place. Ces fonctionnaires n’ont cure de respecter les lois ou la Constitution, ni pour les autres, ni pour eux-mêmes. Ils ne font qu’exécuter la volonté du président, qui gouverne par décrets, sans égard pour le peuple. Les forces de l’ordre leur obéissent fidèlement. Ces fonctionnaires sont les mêmes qui ont participé à la fraude électorale. Certains ont subi des pressions pour le faire, d’autres ont participé volontairement. Maintenant, ils craignent pour leur vie si Loukachenko venait à tomber, et donc ils soutiennent le gouvernement de toute leur force. Ils ne sont pas nombreux, mais ils agissent à des postes clés et bénéficient de l’appui du pouvoir en place.
A côté de cela, certains fonctionnaires honnêtes, qui n’ont pas pris part à la fraude électorale, s’efforcent de faire entendre leur voix, parfois de façon discrète, mais aussi ouvertement.
Avez-vous assisté à des scènes de violence, dans le cadre des manifestations?
Je n’ai pas vu les arrestations violentes de manifestants de mes propres yeux, car j’étais à l’étranger à ce moment-là. Mais j’ai de nombreuses connaissances qui étaient sur place et qui m’ont témoigné de la rage et de la cruauté dont ont fait preuve les forces de l’ordre. Ce qui est ressorti dans les médias au sujet des violences exercées est vrai. Mais le plus perturbant et le plus alarmant, ce sont les nombreuses personnes qui ont disparu.
Que veut finalement l’opposition?
Les Biélorusses sont unis dans le rejet des mensonges de l’Etat et du président. Ils sont rassemblés pour faire face au mépris et au manque de respect de Loukachenko envers son propre peuple. Ils ne veulent plus que le pouvoir absolu soit détenu par un seul homme, considéré comment mentalement déséquilibré.
Mais les forces d’opposition ne sont pas unies. Les manifestants se rassemblent via des appels lancés sur les réseaux sociaux. Malgré ce manque de structure, ils font preuve d’une créativité qui leur permet de très bien s’organiser.
Craignez-vous une intervention russe?
Je pense que la Russie a des visées hégémoniques et impérialistes. Mais comment elle va réagir, je ne saurais le dire.
Comment pensez-vous que la situation va évoluer?
J’espère que mon pays continuera d’avancer, et qu’il pourra résister au mal qui l’assaille en ce moment. Nous prions beaucoup et demandons la protection de Dieu et de l’archange saint Michel, qui est le saint patron de la Biélorussie et qui figure sur le blason de Mgr Kondrusiewicz. (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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