«Les migrants ne sont pas un 'problème' ni une 'question'»

La «Journée des migrants» et l’Initiative populaire dite «de limitation», qui voudrait mettre fin à la libre circulation avec l’Union européenne, tombent toutes deux le 27 septembre 2020. Une thématique qui interpelle particulièrement Mgr Robert Vitillo, Secrétaire général de la Commission internationale catholique pour les migrations (CICM), basée à Genève, et lui-même petit-fils d’immigrés italiens aux Etats-Unis.

Raphael Rauch, kath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

En Suisse, un vote visant à limiter l’immigration aura lieu le 27 septembre. Les catholiques doivent-il dire ‘non’?
Robert Vitillo: Je sais combien le droit de vote est sacré en Suisse. Les catholiques doivent voter selon leur conscience concernant cette initiative. Je n’aurai donc pas la prétention de répondre de façon directe à cette question.

Et de façon indirecte?
En tant qu’Américain, je suis reconnaissant de pouvoir travailler en Suisse. Les Suisses savent à quel point ils ont bénéficié de l’immigration et dans quelle mesure les étrangers contribuent à la prospérité du pays en travaillant et en payant des impôts sur place.

Il y a cinq ans, la «crise des réfugiés» mettait l’Europe en ébullition. Actuellement, c’est la crise du coronavirus qui monopolise l’attention. Mais que se passe-t-il pour les réfugiés et les migrants?
Il y a actuellement plus de 80 millions de réfugiés et de personnes déplacées dans le monde. Nous ne pouvons pas ignorer leur sort ou les considérer uniquement comme un «problème» ou une «question». Nous devons les considérer comme des personnes à part entière – comme le rappelle souvent le pape François. Les réfugiés souffrent particulièrement de la crise sanitaire: ils n’ont pas la possibilité de pratiquer la distanciation sociale ou de travailler de chez eux. Ils se battent pour leur survie.

«Lorsque je visite les programmes de notre organisation, mon cœur se brise littéralement.»

Votre organisation travaille à plusieurs niveaux. Vous négociez avec les organisations des Nations unies – et vous vous engagez à aider les réfugiés sur le terrain. Comment avez-vous géré le confinement?
Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour assister les réfugiés pendant cette période. De nombreux hôpitaux, par exemple le long de la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan, ont été fermés – notre personnel au Pakistan a réussi à maintenir les cliniques ouvertes pour les réfugiés et la population locale.

Quels sont les plus grands défis en matière de migration?
La peur, le rejet, la discrimination et la marginalisation causent d’énormes problèmes. Ainsi que le nationalisme croissant en Europe et dans d’autres parties du monde.

Comment cela affecte-t-il concrètement les réfugiés?
Les familles sont souvent séparées de force ou même emprisonnées. Les personnes sont ainsi empêchées de demander l’asile. Pour mes grands-parents italiens, il suffisait de travailler dur pour se rendre aux États-Unis. Aujourd’hui, le travail ne suffit pas toujours. Beaucoup sont condamnés à garder toute leur vie leur statut de réfugié. Ils n’ont pas le droit de travailler dans des emplois réguliers, de nombreux enfants de réfugiés ne peuvent pas non plus aller à l’école.

«Le Saint-Père nous encourage à voir Jésus-Christ dans les visages et les cœurs des migrants et des réfugiés»

Que faire contre cette injustice?
Lorsque je visite les programmes de notre organisation, mon cœur se brise littéralement. Les gens me supplient de faire plus pour leur situation. Et je sais que parfois nous ne pouvons qu’améliorer la situation dans l’immédiat – sans pouvoir vraiment leur assurer un avenir favorable à long terme. Mais il y a d’autres exemples. Grâce au programme de réinstallation, nous avons réussi à faire sortir des réfugiés de Syrie. Certains d’entre eux ont maintenant un emploi et une vie normale.

Comment interprétez-vous le message du pape François à l’occasion de la Journée mondiale des migrants et des réfugiés 2020 : «Comment Jésus-Christ a-t-il été contraint de fuir»?
Le Saint-Père nous encourage à voir Jésus-Christ dans les visages et les cœurs des migrants et des réfugiés dans le monde d’aujourd’hui. Nous devrions prendre la peine d’apprendre à connaître les migrants et les réfugiés en tant qu’êtres humains, considérer ces familles comme les nôtres, et eux comme nos frères et nos sœurs, créés à l’image de Dieu.

Le pape François consacre cette année au sort des personnes déplacées à l’intérieur des pays.
Il s’agit de personnes qui doivent quitter leur maison tout en restant dans leur propre pays. Comme ils n’ont pas franchi de frontière, ils ne bénéficient pas de la même protection que les réfugiés qui doivent quitter un pays. Ces derniers ont leur statut reconnu par la Convention de Genève sur les réfugiés. (cath.ch/kath/rr/rz)

Fils d’immigrés
Les parents de Mgr Robert Vitillo ont émigré d’Italie vers les États-Unis avec leurs 14 enfants. Ils ont travaillé dur pour s’assurer qu’ils arriveraient dans le pays et que leurs enfants et petits-enfants aient un meilleur avenir. Aux États-Unis, «les réfugiés et les migrants ont fait la grandeur du pays», souligne Mgr Vitillo.
Une fois devenu prêtre, ce citoyen américain a travaillé dans de nombreux endroits et dans de nombreuses organisations. Il s’est notamment engagé dans Caritas Internationalis pour venir en aide aux victimes du sida. Il est arrivé à Genève en 2005, tout d’abord comme chef de la délégation de Caritas Internationalis. Depuis 2016, il est secrétaire général de la Commission internationale catholique pour les migrations (CICM). RR

La CICM
La Commission internationale catholique pour les migrations (CICM) est une organisation internationale qui assiste et protège les personnes déracinées, en particulier les migrants, les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays. Avec des programmes dans plus de 40 pays, la CICM plaide en faveur de solutions durables et de politiques fondées sur les droits humains. Elle gère un réseau mondial de Conférences épiscopales et d’organisations catholiques travaillant pour l’aide aux migrants et aux réfugiés. Elle joue également un rôle d’influenceur au sein des Nations unies.
La CICM est dotée du statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC) depuis 1952 et a reçu du Saint-Siège le statut juridique public en 2008. RZ

Rédaction

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