Au Mont-Athos, des moines résistants de la foi orthodoxe

Les moines du monastère grec orthodoxe d’Esphigmenou s’opposent résolument aux orientations œcuméniques de leur patriarche Bartholomée Ier. La justice leur a ordonné de quitter leur base et une évacuation forcée a été menée par la police le 24 juillet 2020. Mais les religieux excommuniés résistent.

Rien de vraiment pacifique au monastère d’Esphigmenou. Considérés comme des ultra-orthodoxes, ses moines se distinguent par leurs positions intransigeantes. Récemment, un conflit qui couvait depuis de nombreuses années s’est aggravé.

Le 8 juillet 2020, la Cour constitutionnelle grecque a ordonné aux moines d’évacuer leurs bâtiments. Le 24 juillet, une vaste opération de police a été menée, au cours de laquelle le domaine lui-même et l’hospice pour les pèlerins ont été évacués.

Fossé de plus en plus profond

Le Mont-Athos, site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, est situé sur la péninsule de la Chalcidique, au nord-est de la Grèce. Il reste une fascination pour les Occidentaux – du moins les hommes – en quête de Dieu. Car l’accès est interdit aux femmes. Pour les orthodoxes, il fait figure de bastion de la vieille foi chrétienne. Les Grecs ne sont pas les seuls à habiter là. Les moines sont aussi roumains, géorgiens, bulgares, serbes, voire italiens et même russes.

Mais, un peu moins d’un millénaire après le grand schisme de 1054, l’orthodoxie mondiale est menacée de division : le fossé entre les Eglises orthodoxes devient de plus en plus profond, le ton entre leurs patriarches de plus en plus virulent.

Coupure d’eau et d’électricité

Le monastère est l’un des 20 monastères de l’Athos. Ses quelque 110 moines se sont retranchés derrière leurs murs de défense du 13e siècle. Lors de la dernière dispute, il y a quelques années, ils ont réagi contre les bulldozers utilisés par le gouvernement avec des cocktails Molotov. Excommuniés par le patriarche œcuménique de Constantinople, ils avaient également résisté de manière héroïque en 1974, lorsque le gouvernement grec leur avait coupé l’eau et l’électricité pour précipiter leur départ. Peine perdue. Les religieux ont tenu bon.

Le patriarche Bartholomée, à g., ici lors de la rencontre des 70 ans du Conseil oecuménique des Églises (COE) à Genève en juin 2018 est contesté par les moines d’Esphigmenou (Photo Bernard Litzler)

Le conflit actuel reste dirigé contre le patriarche Bartholomée Ier de Constantinople, le 270e successeur de l’apôtre André, dont la résidence officielle se trouve à Istanbul. Pour les moines d’Esphigmenou, le responsable numéro un des Eglises orthodoxes, le primus inter pares, est trop intéressé par l’œcuménisme et le dialogue entre les religions. Il se serait éloigné de la vraie foi, car il a prié avec le pape, se mettant ainsi dans les pas de ses prédécesseurs Athénagoras et Dimitri, eux aussi ouverts aux contacts avec Rome.

Une vie en état de siège

Les religieux d’Esphigmenou ont donc été excommuniés par le patriarcat œcuménique, qu’ils considèrent à leur tour comme hérétique. Sous la conduite de leur abbé Methodios, ils refusent obstinément de quitter leur monastère. Ils rappellent que saint Antoine Petersky, le fondateur de la Laure de Kiev, berceau de l’orthodoxie slave, a été l’un des leurs: qualifié de «père des moines russes», il a initié le mouvement d’évangélisation des pays slaves. Néanmoins, le gouvernement d’Athos a déjà accordé aux moines contestataires le libre passage vers un autre monastère de leur choix. Sans succès.
En 2011, 14 moines d’Esphigmenou ont été condamnés à six mois de prison pour avoir refusé de se conformer à la décision de justice les expulsant de leur monastère. Depuis fin juillet de cette année, la lutte s’intensifie. Les religieux vivent en état de siège permanent. Tout ce dont ils ont besoin et qu’ils ne peuvent pas cultiver dans leurs champs ou produire dans leurs ateliers doit être introduit clandestinement dans le monastère par bateau de pêche – le seul moyen d’atteindre le monastère, situé en bord de mer.

Nouveaux médias

Les moines, que certains traitent de «talibans de l’orthodoxie», mènent leur combat avant tout avec l’aide de nouveaux médias. Ils ont un blog en grec, un site web en grec et en anglais (esphigmenou.com), avec la possibilité de leur faire un don par Paypal, et un compte Twitter. Sur leur site, ils déplorent l’attitude du gouvernement grec et se déclarent persécutés. Ils ont également compilé des coupures de presse en anglais, ainsi qu’une lettre critique adressée en 2006 au patriarche œcuménique et signée à l’époque par les 20 monastères du Mont-Athos.

Dans ce courrier, ils disent reconnaître douloureusement qu’ils ne sont pas d’accord avec la prière commune que le patriarche Bartholomée a faite avec le pape lors de sa visite à Rome. En effet, cette rencontre et d’autres célébrations liturgiques communes donnent l’impression que l’Eglise orthodoxe accepte les fidèles catholiques romains et reconnaît le pape comme évêque de Rome. De même, la visite en retour du patriarche orthodoxe au Vatican aurait été une grande source de douleur dans leur cœur. Et ce d’autant que la tradition romaine n’aurait rien changé à ses enseignements hérétiques.

«L’orthodoxie ou la mort»

Les racines du conflit sont profondes, et l’amertume dure depuis un bon millier d’années. Mais il y a aussi les conflits internes à l’orthodoxie: entre autres, la réforme du calendrier, passé du julien au grégorien (et donc au pape romain…) dès les années 1920, a provoqué de grandes discordes. A l’époque, les monastères d’Athos, à l’exception d’un seul qui avait adopté le nouveau calendrier, ont retiré le nom du patriarche de Constantinople de toutes leurs intercessions liturgiques.

Sur la bannière du monastère d’Esphigmenou figure la devise: «L’orthodoxie ou la mort!». Les moines semblent prêts à aller jusqu’au bout, donc à mourir en martyrs pour l’orthodoxie. (cath.ch/tgp/bl)

Bernard Litzler

Portail catholique suisse

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