Bernard Litzler et Raphaël Zbinden
L’été est propice à la rencontre. Contacté, l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg a accepté de s’entretenir sur les affaires chaudes qui ébranlent le diocèse. Pour cath.ch, il a défendu la vision d’une Eglise qui soit l’Evangile en actes.
Devant la succession d’affaires qui secouent votre diocèse, comment faites-vous face?
Mgr Charles Morerod: S’il y en avait moins, je ne serais pas mécontent. Mais le Christ est venu pour les malades et pas pour les bien-portants. Comme le disait Georges Bernanos, si l’Eglise n’était composée que de personnes parfaites, je l’observerais avec admiration, mais à distance.
Le message que nous prêchons à tout le monde – vous n’êtes pas réduits à vos fautes – vaut aussi pour les prêtres. Une personne va au-delà de ses fautes et Dieu nous y aide. Je ne suis pas surpris qu’il soit difficile de tenir ses engagements, notamment concernant le célibat. J’espère que la plupart des prêtres le vivent de manière heureuse et joyeuse. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Ces affaires sont déstabilisantes, car l’image de l’Eglise est atteinte. Quel est votre message pour les fidèles du diocèse?
Ces troubles, je ne les observe pas à distance et je les ressens aussi. Cela demande pour les croyants d’approfondir leur foi. Aujourd’hui on a tout intérêt à savoir pourquoi on est dans l’Eglise, sinon on aurait toutes les raisons d’en partir.
«Dévoiler des faits sur la place publique est aussi dur à affronter pour les personnes»
Mais comment aider les personnes à tenir leur engagement? Nous aidons les personnes aux prises avec des difficultés sociales, matrimoniales, mais pas tellement les prêtres. Il est difficile, pour certains, de parler de leurs problèmes.
L’évêque, pourtant, est le père de ses prêtres. C’est mission impossible?
Je dois assumer des rôles qui sont parfois en tension mutuelle. Il faudrait être à la fois le père et le policier. Un père de famille veille aussi à ce que ses enfants ne fassent pas de bêtises. Sauf que, pour un évêque, ce sont des adultes et pas des enfants. Il faut être proche, écouter, soutenir et aussi être proche des fidèles.
Il m’arrive de dire à l’un ou l’autre prêtre que ce qui les concerne a aussi un impact. Et les gens m’interpellent, car la figure paternelle pour les prêtres est aussi attendue pour les laïcs. La question soulevée est de savoir comment nous soutenir mutuellement. Car si quelqu’un est seul et isolé, existe le risque qu’il développe des compensations sur le plan sexuel ou dans l’alcool ou la nourriture.
Quelles solutions, quelles pistes, quelles ouvertures?
Il faut affronter les problèmes, mais sans établir un système policier. Parce que ce n’est ni possible, ni souhaitable. Il y environ 400 prêtres dans ce diocèse et je n’ai pas l’intention de leur mettre des détectives aux trousses. Ce n’est pas ça, l’Evangile! Il faut que les gens retrouvent leurs convictions intérieures et les développent.
Vous avez l’impression de participer aux mutations de l’Eglise actuelle, entre une époque où le cléricalisme dominait et aujourd’hui, où les responsabilités sont partagées avec les laïcs?
La mutation est plutôt de l’ordre de la transparence. Un peu comme à l’époque de la glasnost, à la fin de l’époque soviétique. Je rencontre des personnes qui ont souffert de certains prêtres, dans les décennies passées: dans les années 1940-50, le curé était souvent le «roi du village». On souffrait en silence, mais ça a provoqué un phénomène de rejet. Et il est juste de ne pas vouloir que ce soit ainsi.
Mais la transparence n’est pas sans ambiguïté. Exemple de transparence, l’enquête sur les abus à l’Institut Marini à Montet. Il s’agissait de faits qui avaient relevé du droit pénal. Mais dévoiler des faits sur la place publique est aussi dur à affronter pour les personnes.
Les dernières révélations ne seraient que la partie émergée de l’iceberg. Doit-on en attendre d’autres?
J’en ai parlé à la conférence de presse à l’évêché [ndlr: le 15 juillet dernier] parce que des journalistes me l’ont dit. J’ai l’impression que les circonstances sont mûres, maintenant, pour que ceux qui savent quelque chose le disent.
«L’Eglise ne se constitue pas et ne se gère pas en fonction de l’évolution des situations, mais elle dépend d’abord du Christ»
Quand quelqu’un accomplit des actes qui ne sont pas compatibles avec son engagement sans être d’ordre pénal, cela vaut-il la peine de les révéler sur la place publique? Il y a des gens qui ne vont pas le supporter, certains prêtres comme certains laïcs.
L’évêque a un rôle délicat. En cas d’atteinte pénale, vous dénoncez les faits à la justice…
Cette position signifie qu’on me parle moins. Il y a donc une certaine ambiguïté, car si une chose relève du droit pénal, je le dirai. Mais du coup, même s’il y a une évolution ces derniers temps, il y a des choses qu’on ne me dit pas. Car on a l’impression de dénoncer.
Des choses non pénales pourraient donc ne pas être révélées par l’évêché?
S’il s’agit de non pénal, on peut prendre des sanctions internes, inviter la personne à se reprendre. Tout dépend de l’impact sur d’autres. En ce sens, nous ne sommes pas complètement différents de ce qui peut arriver dans une entreprise. Quand un employé a des difficultés, on ne commence pas par les étaler dans la presse. On essaie de le laisser se reprendre, surtout quand cela a un impact sur d’autres.
Ces révélations appellent à des changements pour le fonctionnement du diocèse?
Pour les abus sexuels sur mineurs, les changements sont en place depuis quelque temps. Les personnes engagées dans l’Eglise doivent suivre des cours de prévention, données par des institutions externes, et signer une charte. Cela peut aussi concerner d’autres domaines, comme le fait de voler de l’argent.
Mais on ne peut pas mettre un policier derrière chaque citoyen. On doit miser sur la responsabilité personnelle. C’est le seul moyen de faire fonctionner une société. Les plus vieux textes de l’histoire humaine – c’est d’ailleurs impressionnant – sont des codes de lois: on en fait depuis longtemps et il n’existe toujours pas de société idéale. Si rien ne vient de l’intérieur de la personne, le cadre juridique externe ne suffit pas.
Les positions de l’Eglise sur la sexualité vont évoluer, à votre avis?
On est chrétien d’abord car on croit en Jésus-Christ, et cela a des conséquences sur notre comportement. L’Eglise ne se constitue pas et ne se gère pas en fonction de l’évolution des situations, mais elle dépend d’abord du Christ.
«‘Quand on le voyait, on voyait Jésus’. C’est cela, l’Eglise que je souhaite»
Le pape François le dit ainsi : quand vous rencontrez une personne, voyez-la avec son nom et pas avec un adjectif, divorcé ou remarié ou homosexuel. Mais comment s’appelle-t-elle? Quand je rencontre quelqu’un, je ne demande pas d’abord comment cette personne passe ses nuits, mais je veux la connaître.
En 2021, vous aurez 10 ans d’épiscopat. Quel diocèse avez-vous l’intention de laisser au moment où vous quitterez vos fonctions?
J’aime la phrase de Bossuet: «L’Eglise, c’est l’Evangile qui continue». Je vois de belles choses et je souhaite qu’on puisse les voir. Un vieux prêtre insomniaque m’a dit qu’il lisait l’Evangile et que cela le remplissait de joie. Idem à l’enterrement d’un prêtre, des gens m’ont dit: «Quand on le voyait, on voyait Jésus». C’est cela, l’Eglise que je souhaite, sans prétendre en être un héraut exemplaire…
Sur quoi vous appuyez-vous pour garder confiance dans la tempête?
Sur les psaumes. J’ai été surpris, ces derniers temps, de voir que je priais les psaumes autrement. Le peuple qui prie les psaumes fait confiance au Seigneur. Car il dit au Seigneur: «Ma force, c’est toi, alors aide-moi». Celui qui prie dit aussi que sa situation n’est pas merveilleuse. Ces temps, il y a aussi un encouragement inattendu que je reçois souvent. Des gens me disent: «On a de la peine, aidez-nous, ne nous abandonnez pas!». (cath.ch/bl/rz)
Rédaction cath.ch
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