Camille Dalmas, I.MEDIA
Le prestige des Barberini commence par un étrange tour de passe-passe. Originaire d’une petite ville de Toscane, Barberini Val d’Elsa, une famille de marchands nommée les Tafani – littéralement, les «taons» – commence à prospérer et s’installe à Florence au début du 16e siècle. Alors que les armes de leur famille portent trois de ces insectes, ils décident de «redorer» leur blason en changeant de patronyme, empruntant pour l’occasion le nom de leur bourg d’origine. Ils seront désormais baptisés Barberini, et ce seront trois abeilles, insectes industrieux et bâtisseurs, qui représenteront désormais la famille.
Dès lors, leur réussite commerciale se poursuit, et la famille se construit un magnifique palais à Florence sur la Piazza de la Santa Croce. C’est alors que naît Maffeo Barberini, en 1568. Un enfant brillant, qui reçoit une des meilleures éducations de l’époque, celle dispensée par les jésuites. Son remarquable parcours universitaire se poursuit à Pise, puis à Pérouse et Bologne, les plus grandes universités d’Italie de l’époque. Il en tire une immense culture, un esprit rationnel et un goût immodéré pour les arts.
À cette époque, il décide de devenir prêtre, et est ordonné après une longue formation à 32 ans en 1604. Son oncle était encore plus riche que son père, et n’avait pas d’héritier : sa mort quelques années plus tard met Maffeo à la tête d’une fortune gigantesque pour l’époque. Il s’achète un palais à Rome très rapidement, le meuble et le pare de manière somptueuse, se faisant ainsi remarquer par toute la ville ainsi que par le Saint-Siège. Et cinq mois à peine après avoir été ordonné, il devient archevêque.
Deux ans plus tard, il est créé cardinal à 35 ans. Mais sa place au cœur du pouvoir est déjà consolidée depuis plusieurs années: il est nommé en 1601 légat apostolique pour présenter à Henri IV les félicitations pontificales pour la naissance du futur Louis XIII, puis en 1604 nonce en France auprès du même roi, un poste de confiance essentiel. Le Roi sera d’ailleurs celui qui lui remettra sa barrette cardinalice, signe d’une proximité importante. On l’envoie ensuite en Écosse, terre en pleine ébullition intellectuelle, avant d’être rappelé à Bologne, où il devient le cardinal légat.
En 1623, le pape Grégoire XV meurt, et c’est le cardinal Maffeo Barberini qui est élu à l’issue du conclave, devenant le 253e pape sous le nom d’Urbain VIII. Là encore, un nom prédestiné à son avenir de constructeur – Urbain venant de urbs, c’est-à-dire la ville en latin. Comme nombre de ses prédécesseurs, il pratique le népotisme et place deux neveux à des postes clés de cardinaux, ces derniers servant de relais pour l’aider à mener à bien les très nombreux projets qu’il met à l’étude puis en chantier dès les premiers mois de son pontificat.
Son règne est marqué par un événement: le procès de Galilée, qu’Urbain fait condamner malgré une admiration véritable pour son travail scientifique, qu’il est en mesure de comprendre et de discuter. Lui-même a écrit plusieurs thèses sur les astres, et encourage dans un premier temps le savant à poursuivre ses études, lui demandant cependant de ne pas s’appuyer uniquement sur les mathématiques.
Mais Galilée, pour qui «La nature est un livre écrit en langage mathématique», ne prend pas en compte le conseil du pontife et publie son œuvre sans grand changement. Pire, il se moque ouvertement d’une thèse du Souverain Pontife dans son Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (1632). C’en est trop, et le pape, pourtant sensible à ses recherches, lui demande d’abjurer. Paradoxalement, c’est donc probablement un des papes les plus scientifiques de l’Histoire de l’Église qui deviendra le symbole de la censure – voire pour certains de l’obscurantisme – exercée par l’Église contre la science.
Sa proximité avec les humanistes de l’époque est très importante : le philosophe allemand Athanasius Kircher correspond avec lui, tout comme le mathématicien et physicien Benedetto Castelli – un défenseur de Galilée. C’est aussi le cas des grands artistes d’alors qu’il fait venir de toute l’Europe, tels les Français Nicolas Poussin ou Claude Gellée, dit le Lorrain pour la peinture, ou le théorbiste de génie vénitien Giovanni Girolamo Kapsberger ainsi que le compositeur Gregorio Allegri – qui en revanche est un pur romain.
Mais plus que dans le domaine scientifique, artistique, ou littéraire – il fait publier de très nombreux volumes de poésie de son temps – c’est dans le domaine de l’urbanisme qu’Urbain VIII va laisser une trace indélébile. Il commence stratégiquement par fortifier Civitavecchia, le Quirinal et le Château Saint-Ange, qui lui assurent une vraie puissance militaire sur l’ensemble de la cité. Et les autres travaux peuvent alors commencer.
Pour cela, il a un allié, qui est avant tout son protégé, le grand Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin, mais aussi l’architecte Pietro da Cortona qui conçoit pour le pape sa résidence d’été, le fameux Castel Gandolfo tel qu’il existe encore aujourd’hui, et dans lequel Urbain VIII commence à s’installer dès 1626.
La liste de constructions ordonnées par Urbain VIII est presque innombrable: on peut citer la façade de l’église Santa Bibiana, mais surtout le baldaquin torsadé du Bernin dans la basilique Saint-Pierre, sommet de l’art baroque. En face du splendide palais Barberini, le Bernin conçoit aussi la fontaine du Triton. Le Bernin poursuivra sa collaboration avec Alexandre VII, notamment pour bâtir les colonnes de la place Saint-Pierre, mais sans la prodigalité d’Urbain VIII.
La liste des interventions des Barberini est trop fastidieuse pour être intégralement citée, mais il faut aussi noter qu’ils feront bâtir non seulement à Rome, mais aussi dans d’autres villes italiennes, signe d’une frénésie architecturale significative. Et comme son règne dure plus de vingt ans – une éternité pour les pontifes de l’époque – la marque laissée dans Rome est indélébile.
Une locution latine résume très bien cette influence : ›Quod non fecerunt barbari, fecerunt Barberini’. Ce qui signifie : «ce que les barbares n’ont pas fait, les Barberini l’ont fait». Cette boutade qui sous-entend que les Barberini ont plus détruit Rome que les barbares eux-mêmes est le fruit de l’humour grinçant des Romains qui ne supportent pas tous de voir le pontife se permettre de piller les œuvres antiques de la cité pour ériger ses palais et églises modernes.
Le grief le plus important concernent le revêtement de plomb du Panthéon, démonté pour fondre des canons des garnisons papales. Mais c’est aussi le cas des marbres du Colisée, aujourd’hui éparpillés dans les mille demeures bâties sous le pontificat d’Urbain VIII.
Pour autant, au regard des constructions laissées par le pontife, le bon mot peut aisément être discuté. Pour les Barberini, moins intéressés par les luttes de pouvoir que les autres grandes familles romaines, la fin du pontificat en 1644 ne les amènera plus à rechercher une place sur le trône de Pierre, quand bien même ils s’allient par mariage aux Colonna, et règnent en maîtres sur leur fief de Palestrina pour une de ses branches, qui a obtenu cette terre grâce à Urbain VIII. Ils resteront d’importants mécènes, entretenant l’héritage intellectuel et artistique légué par leurs ancêtres. Et peuvent se targuer de la place immense que ceux-ci occupent encore aujourd’hui dans la Ville Éternelle. (cath.ch/imedia)
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