La CPC entend de ce fait proposer des solutions aux évêques pour répondre à la crise territoriale que rencontre aujourd’hui dans de nombreux pays le modèle traditionnel de la paroisse. Dans un monde où les mobilités s’accroissent et s’accélèrent et où la dématérialisation numérique bouleverse tout, l’Eglise voit certains de ses repères fondamentaux ébranlés voire remis en cause.
Manque de prêtres, églises presque vides, communauté vieillissantes ou même «déserts spirituels» – comme il existe des déserts médicaux –, cléricalisme et repli sur soi: nombreuses sont les maladies dont les paroisses doivent guérir si elles souhaitent poursuivre leur mission.
La remise en cause de l’ancrage des communautés locales autour d’un clocher se manifeste de façon fort différente selon les régions du monde, mais le Saint-Siège tient à souligner qu’il existe une raison commune à toutes ces crises: la perte de l’élan évangélisateur. «Emprisonnée dans l’immobilisme», la paroisse doit se réinventer à la lumière de l’évangélisation, redevenir missionnaire.
Pour renouer avec cette idée d’une «Eglise en sortie», le dicastère dirigé par le cardinal Beniamino Stella a tenu à rappeler toutes les solutions existantes qui s’offraient à une communauté diocésaine, à ses prêtres et à son évêque. Ces dispositions, encadrées par le droit canon, offrent l’espace dans lequel doit pouvoir s’épanouir la «créativité» prônée par le pape François.
L’instruction s’inscrit dans le prolongement des réflexions entamées lors du Synode sur l’Amazonie (octobre 2019) concernant la place que peuvent occuper différents membres d’une communauté dans une situation de pénurie de prêtres. Plus précisément, elle répond aux interrogations émanant du synode, dans la continuité de l’exhortation apostolique du pape François Querida Amazonia, publiée le 12 février 2020. Dans ce texte, le pape affirme que la solution se trouve au cœur de la forêt amazonienne, dans sa spécificité territoriale.
Résoudre la crise paroissiale de l’Amazonie, où de très nombreuses populations sont totalement coupées de tout prêtre, et donc de l’Eucharistie, implique d’envisager sous un autre angle son approche spatiale traditionnelle. D’une certaine façon, l’évêque doit apprendre à adopter le regard du géographe pour redéfinir les contours de sa mission: porter la parole de Dieu.
En Amazonie, l’éparpillement de la population sur des territoires immenses, coupés les uns des autres par de grands bras de fleuves et une jungle luxuriante infranchissable, forment des ensembles sociaux s’étendant en longueur, de la source à jusqu’à la confluence, à l’opposé de la dimension territoriale traditionnelle de l’Eglise, consistant en une paroisse centrale, au cœur d’une ville et d’une région sur laquelle elle rayonne.
Ces passages de l’exhortation décrivant le fleuve, qui ont pu être interprétés de façon réductrice comme un simple exercice de contemplation de la part du pontife argentin, ne s’y limitent cependant pas. Le chef de l’Eglise catholique dessine une nouvelle forme paroissiale capable de suivre le fleuve, de le remonter pour aller à la rencontre des populations oubliées, une sorte d’esprit missionnaire fluvial.
L’instruction montre qu’une telle adaptation est envisageable et même souhaitable: l’Eglise ne doit pas être «emprisonnée dans l’immobilisme», insiste-t-elle. La CPC rappelle la pertinence dans certains cas de la mise en place de «vicariats forains». Cette forme permettrait de mettre en place une forme d’itinérance d’un ou plusieurs prêtres autour de plusieurs paroisses dans un espace géographique donné, celui-ci devant toujours être fondé sur une véritable «homogénéité sociologique».
Sur ce point, l’Amazonie est un bon exemple: le bassin fluvial, linéaire, offre une meilleure homogénéité que la région européenne fonctionnant à partir d’un pôle centralisateur.
L’instruction présentée ce 20 juillet, comme l’exhortation du pape François, demande de penser d’autres modèles de paroisses enracinées dans leurs spécificités territoriales, et donc une forme d’audace de la part de ses évêques. Cependant, le document conseille aussi de ne pas conduire des réformes trop précipitées «en oubliant les personnes qui sont sur le territoire», chaque projet devant être pensé à partir de la vie réelle de la communauté et son histoire.
Si les temps semblent s’accélérer, il importe de respecter les fondations élémentaires de toute paroisse: elle doit être dirigée par un curé, seuls les prêtres peuvent prétendre aux fonctions qui leur sont réservées par le droit canon, et il importe de ne pas «cléricaliser» l’Eglise, c’est-à-dire de ne pas faire des fonctions spirituelles et pastorales des vecteurs de puissance sociale.
Chacune de ces remarques trouve une résonance particulière avec de nombreux pays, par exemple l’Eglise en Allemagne, dont l’actualité récente montre qu’elle rencontre elle aussi de vrais défis. Récemment, un évêché important, celui de Trêves, a annoncé réduire le nombre de ses paroisses en les faisant passer de 172 à 35 «super-paroisses».
L’objectif: une «décentralisation» de l’Eglise, selon le prélat, pour correspondre plus pleinement à la réalité du terrain. En juin dernier, le Saint-Siège a cependant demandé à l’évêque de revoir son projet d’»Eglise du futur», selon l’expression employée par la communication du diocèse rhénan.
Le diocèse de Trêves, comme toute l’Eglise en Allemagne, rencontre une double crise importante, celle de la baisse du nombre de vocations et de croyants (218’000 catholiques en moins outre-Rhin en 2019 par rapport à 2018). La solution ne peut cependant se faire sans l’accord des communautés.
Sur la question du regroupement des paroisses, le Saint-Siège rappelle que les motivations entraînant la fermeture d’une paroisse doit provenir de la paroisse elle-même. Elle ne saurait, selon la CPC, procéder d’une mesure venue d’en haut, que ce soit par une assemblée épiscopale ou l’évêque lui-même.
La décentralisation annoncée par l’évêque de Trêves, Mgr Stephan Ackermann, dans son diocèse se présente comme «concentration» de paroisses en de nouveaux pôles autour desquels l’Eglise locale rayonnerait. Si cela limiterait l’influence du centre traditionnel du diocèse, celui de la cathédrale, nombre d’entre elles perdront aussi leur autonomie au profit de nouveaux centres – la démarche aboutirait paradoxalement à une forme de centralisation à cette échelle.
Si l’Eglise, en Europe, n’est plus au centre des villes contemporaines, elle doit trouver de nouveaux espaces et reconquérir sa place essentielle au service de sa communauté et de la société. Cela suppose qu’elle accepte d’être «de sortie», insiste l’instruction, c’est-à-dire de s’ouvrir, d’assumer un statut qui la place de plus en plus vers les «périphéries» de la société actuelle, c’est-à-dire vers les plus démunis et les plus fragiles.
En somme, ce que rappelle la CPC, c’est qu’une nouvelle carte des paroisses est probablement à dessiner en Europe (comme dans de nombreuses parties du monde) mais que c’est l’esprit de la réforme, demandant d’aller au cœur des réalités missionnaires des territoires, qui doit d’abord être intériorisé. Celui-ci doit composer avec le lent entrelacement de cultures et d’histoires hérité des siècles, quand bien même cette construction semble aujourd’hui ébranlée. (cath.ch/imedia/cd/be)
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