Carmel du Pâquier: «La pandémie, un coup rude!»

Avec la pandémie de coronavirus, les religieuses du Carmel du Pâquier (FR) n’ont plus aucun revenu durant trois mois. Une situation inédite qui les a contraintes à puiser dans leurs réserves alors que l’activité économique repart très lentement.

La ventilation du four tourne à plein régime et accentue l’impression de se trouver dans une ruche. Une atmosphère contrastée par le silence dans lequel les religieuses vont, viennent, efficaces et précises, en s’activant à la fabrication des biscuits qui font la réputation du Carmel du Pâquier, en Gruyère. Le pic de la pandémie est passé mais l’effervescence qui règne dans le laboratoire n’occulte cependant pas le réalisme de la prieure, Sœur Anne-Elisabeth: «L’activité repart très lentement. Ce sera difficile».

La courbe de la pandémie s’est affaissée et le carmel est revenu progressivement à la vie après l’arrêt total du travail durant trois mois et le rétablissement des religieuses. Onze sœurs ont en effet été contaminées par le virus et trois, sévèrement atteintes, ont dû être hospitalisées, l’une d’elles ayant frôlé la mort.

Les biscuits, 70% des revenus

Du 15 mars au 15 juin, les religieuses ont dû cesser toute activité. Or la production des biscuits représente 70% des revenus du carmel. Le reste se répartit entre la décoration de cierges, de figurines en toile de jute et une petite activité d’hôtellerie – cinq chambres permettent de recevoir des retraitants individuels. «A cause de la pandémie, les célébrations des confirmations, des communions et des fêtes de Pâques ont été annulées, nous n’avons reçu aucune commande de cierges».

La pandémie a eu raison de la vente de cierges décorés: Confirmations, communions et veillée pascale ont été annulées. | © Bernard Hallet

«Entre les frais médicaux, les mensualités pour le home où une de nos sœurs vit actuellement et l’assurance maladie, nous avons déboursé plus de 25’000 francs en trois mois», détaille Sœur Véronique. Il a fallu aussi assurer la vie quotidienne de la communauté. En face, dans le bilan, pas un des plus ou moins 20’000 francs que gagnent en moyenne les religieuses sur la même période. «C’est un coup rude!» déplore Sœur Véronique.

«Puisque nous étions malades, nous n’avons pas pu produire de biscuits pour assurer au moins quelques ventes en ligne. Nous avons donc vécu sur nos réserves», indique Sœur Elisabeth, responsable de l’économat. Même si ce n’est pas écrit noir sur blanc, c’est une règle que se fixent en général les communautés: avoir entre un et deux ans de réserves de trésorerie. Les religieuses ont, malgré tout, pu aussi compter sur le soutien de l’Association des Amis du Carmel.

Pas de chômage partiel

Elles n’ont pas sollicité d’aide de l’Etat ni demandé le chômage partiel. «Nous n’aurions eu aucune chance. Nous sommes classées en tant que ‘collectivité’ par l’administration et nous n’avons pas de statut d’entreprise. Nos activités n’ont pas de but lucratif: nous travaillons pour vivre». Et contrairement à ce que prétend une légende tenace, «la communauté ne reçoit pas une rente de l’évêque ou de l’Eglise fribourgeoise et, non, nous ne sommes pas riches!».

A court terme, l’avenir demeure incertain. Les habitués ne sont pas encore revenus au carmel, «ils ont la crainte de venir, ce qui peut se comprendre puisque nous avons été malades», admet Sœur Anne-Elisabeth. L’activité économique reprend doucement, la rentrée sera une période difficile. Un des trois grossistes avec lesquels les sœurs travaillent habituellement est passé il y a quelques jours pour prendre quelques cartons de biscuits. Les sœurs ne croulent pas sous les commandes.

Annulation du marché monastique

Autre mauvaise – mais logique – nouvelle: le marché monastique de Saint-Maurice a été reporté à 2021. «Nous y réalisons environ 20% des ventes annuelles». L’annulation du grand rendez-vous agaunois représente donc un gros manque à gagner pour la communauté. Les sœurs vont devoir encore puiser dans leurs réserves. «Nous allons mettre une annonce dans la presse à la rentrée pour repartir», assurent-elles. L’avenir les inquiète mais ne les déprime pas, d’autant qu’elles sont toutes là.

L’aventure fut aussi éprouvante sur le plan humain. Les sœurs confinées à l’isolement dans leur chambre ne se sont plus vues pendant trois mois et vivaient dans l’inquiétude des nouvelles des leurs, hospitalisées dans un état grave. «Quelle joie ce fut de nous retrouver!» Célébrer la messe de la Pentecôte ensemble a été vécu par la communauté comme une résurrection. «La vie nous a été redonnée», estime Sœur Anne-Elisabeth qui a été durement éprouvée par le virus.

Après la cuisson, les biscuits passeront au glaçage| © Bernard Hallet

Un rythme de vie différent

«Nous avons retrouvé un rythme de vie mais pas de la même manière, nuance la prieure, les choses ont pris un tout autre relief. En fait, nous avons une nouvelle conscience de la responsabilité d’être vivantes. Mais cela, le cœur le comprend après l’épreuve».

Le retour à une activité régulière a été très important pour les sœurs. Cela a été un baromètre qui nous a permis d’éprouver notre corps et de constater, au sortir de la maladie, les progrès physiques accomplis jour après jour». Elle ajoute que le travail permet de garder un équilibre.

«Retourner au travail nous a permis de reprendre pied dans la vie. Et quel bonheur de sentir à nouveau le parfum des biscuits dans la maison!» (cath.ch/bh)

Des biscuits ont remplacé la broderie
Les religieuses du Carmel se sont reconverties dans la production de biscuits en 2006. La fabrication de drapeaux et la broderie ne rapportaient plus assez d’argent. «Nous devions évoluer et trouver une activité collective et qui soit accessible à toutes les sœurs», explique Sœur Elisabeth. L’idée de produire des biscuits s’est imposée assez rapidement. La communauté a connu une véritable expérience de création d’entreprise. Il a fallu adapter des locaux avec toutes les contraintes inhérentes à une production de denrées alimentaires. Trouver le matériel qui permette de produire en quantité suffisante. «Nous avons pu acquérir du matériel professionnel d’occasion, suite à une faillite». Cela leur permet de produire des biscuits de bonne qualité. Avant de se lancer, les religieuses ont testé plusieurs recettes. «Cette activité nous oblige à nous renouveler constamment. Nous travaillons pour améliorer les recettes ou en trouver d’autres.» BH

Bernard Hallet

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