Raphael Rauch kath / traduction Maurice Page
Quels ont été pour vous les moments forts de l’œcuménisme au cours des dix dernières années?
Kurt Koch: Ils sont nombreux: le voyage du pape Benoît XVI à Erfurt, où il a parlé de Martin Luther de manière très positive. Ou son voyage chez les Anglicans en Angleterre. La rencontre du pape François avec le patriarche orthodoxe russe Cyrille, à La Havane, a également été historique. Ou sa participation à la commémoration commune de la Réforme à Lund, en Suède. J’aime aussi repenser au voyage du pape François au Conseil œcuménique des Églises (COE) à Genève en 2018.
Au niveau de la base, beaucoup disent: «C’est de la pure diplomatie qui ne nous touche pas localement.»
Même si la base a l’impression de ne rien remarquer, de tels événements sont très importants pour le progrès de l’œcuménisme. Souvent, ces réunions ont été le point de départ de développements importants. Les fruits ne se manifestent pas toujours immédiatement. Il en va de même pour les nombreux dialogues que nous menons.
«J’aurais imaginé que nous progresserions plus rapidement.»
Quel a été votre point le plus bas en tant que ministre de l’œcuménisme?
J’aurais imaginé que nous progresserions plus rapidement. Ce dont je souffre parfois, c’est que dans l’opinion publique, les difficultés de l’œcuménisme sont toujours attribuées à l’Église catholique. On oublie facilement que des obstacles existent dans toutes les Eglises.
L’argument selon lequel, si l’Église catholique était plus ouverte sur la question de la primauté du pape, l’œcuménisme irait plus vite revient souvent.
Le pape Jean Paul II a invité toutes les Eglises chrétiennes à engager avec lui un dialogue ouvert sur la pratique de la primauté de l’évêque de Rome, afin qu’elle ne soit plus un obstacle mais un service à l’unité. J’espère que cette invitation ouverte sera encore plus largement acceptée.
«La synodalité n’est pas un parlement.»
Le pape François défend la vision d’une église synodale. Comment l’entendez-vous?
Le pape François souligne constamment que la synodalité n’est pas un parlement. La démocratie est une procédure qui permet de déterminer des majorités, la synodalité est une procédure qui doit faciliter l’unanimité. La synodalité signifie se confronter jusqu’à ce que les décisions soient prises à l’unanimité. Elle est beaucoup plus exigeante que la démocratie.
Cela signifie-t-il que vous n’attendez pas plus de liberté et plus de rapidité?
Je comprends en partie l’impatience. Mais il y a deux vertus pour l’œcuménisme: d’une part la passion pour l’unité, et d’autre part la patience nécessaire pour réaliser réellement cette unité. Il ne s’agit pas de solutions rapides, mais de solutions viables. Le pape François a donc l’intention de consacrer le prochain synode des évêques au thème de la synodalité.
«Il faut plus de dialogue entre la base et les évêques»
L’œcuménisme à la base semble mieux fonctionner que l’œcuménisme d’en haut.
J’ai été évêque de Bâle pendant 15 ans. J’ai fait l’expérience d’une base aussi diverse que celle que vous décrivez, également en ce qui concerne les questions d’œcuménisme. Il faut également renforcer le dialogue sur ces différences au niveau de la base et entre la base et les évêques. Si nous ne maintenons pas le dialogue au sein de l’Église, nous ne sommes pas crédibles non plus en matière d’œcuménisme.
A quoi ressemble votre vision œcuménique personnelle?
Il ne s’agit pas de ma vision personnelle. Je travaille au service de l’Eglise et au nom du pape. Le fait est que dans les différents dialogues avec nos partenaires, nous essayons de retrouver l’unité qui a été perdue à cause des divisions au sein de l’Eglise. Mais il doit s’agir d’une unité dans la foi et pas seulement dans l’organisation.
Un guide œcuménique pour les évêques sera publié à l’automne. Quel est son but?
Le premier responsable de l’œcuménisme dans le diocèse est l’évêque. Le droit de l’Église stipule clairement que l’évêque est au service de l’unité, non seulement de sa propre Église, mais de tous les baptisés. Le «vademecum œcuménique» veut aider les évêques, en particulier les nouveaux, à bien remplir leur responsabilité œcuménique.
De nombreuses personnes quittent les Eglises. Qu’est-ce que cela signifie pour l’œcuménisme?
Les défis auxquels le christianisme est confronté dans les sociétés sécularisées d’aujourd’hui, y compris les sorties d’Eglises, affectent toutes les confessions. Le défi le plus central est sans aucun doute la question de Dieu: qui est Dieu et comment peut-on l’expérimenter aujourd’hui?
«L’Évangile est un message d’unité et de réconciliation.»
Une réponse crédible à cette question ne doit pas être donnée par chaque Eglise seule. Nous sommes plutôt appelés au témoignage commun.
Le pape François souligne que l’Eglise ne doit pas toujours se préoccuper d’elle-même, mais qu’elle doit devenir plus missionnaire. Comment le concevoir dans une perspective œcuménique?
Cela ne peut être fait de manière crédible que si nous ne faisons pas de prosélytisme, c’est-à-dire que nous ne débauchons pas des membres d’autres Eglises ou que nous ne missionnons pas contre d’autres Eglises. L’Évangile est un message d’unité et de réconciliation et doit donc être proclamé en commun.
Quelle est la place des Eglises libres dans l’œcuménisme?
Nous assistons aujourd’hui à une croissance rapide des Eglises libres, des groupes évangéliques et charismatiques et des mouvements pentecôtistes.
«Ces mouvements sont convaincus de l’action du Saint-Esprit dans la vie des gens»
Le pentecôtisme est aujourd’hui numériquement la deuxième réalité après l’Église catholique. Ces mouvements sont très souvent caractérisés par une forte conviction de l’action du Saint-Esprit dans la vie des gens. Nous devrions nous laisser interpeller par cela.
Dans le passé, l’Église se moquait des Eglises pentecôtistes qualifiées de sectes.
Le pape François vient d’Amérique latine et connaît bien les mouvements pentecôtistes. Il peut ainsi ouvrir des portes pour de nouvelles rencontres. Nous pouvons apprendre beaucoup d’eux.
«Nous ne devons pas adopter la théologie de la prospérité».
Mais ce que nous ne devons pas adopter, c’est la théologie de la prospérité, cette foi qui garantit le progrès économique dans la vie de l’individu. Une telle «théologie» est à l’opposé de l’option pour les pauvres, qui est importante pour l’Église catholique.
Pour vous, quel est l’aspect le plus douloureux de l’œcuménisme?
Cette forme que le pape François appelle ‘l’œcuménisme du sang’. Nous avons plus de persécutions des chrétiens aujourd’hui qu’aux premiers siècles. 80% des personnes persécutées aujourd’hui pour des raisons de foi sont des chrétiens. Toutes les Eglises ont leurs martyrs.
«Le sang des martyrs ne sépare pas mais unit les chrétiens»
Ces gens sont persécutés non pas parce qu’ils sont orthodoxes ou protestants, catholiques ou anglicans, mais parce qu’ils sont chrétiens. Cette réalité devrait éveiller une plus grande solidarité entre nous, les chrétiens.
Le terme ‘œcuménisme du sang’ a une résonnance plutôt martiale.
Ce n’est pas le mot qui est martial, mais la réalité. Je suis convaincu que le sang de tant de martyrs aujourd’hui nous aidera à retrouver l’unité entre les chrétiens. Car ce sang ne sépare pas mais unit les chrétiens. (cath.ch/kath.ch/rr/mp)
Rédaction
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