Par Elise Ann Allen, Crux Now/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
«Au cours de l’histoire, il apparaît que les dirigeants de l’Eglise ont malheureusement concentré leur réponse aux abus sur les prêtres, et non sur les victimes», a noté Gabriel Dy-Liacco au cours d’une visioconférence, le 30 juin 2020, sur le thème «La victimologie et les modèles pour assurer une sécurité relationnelle» (Victimology and the relational safety model). «Et ces réponses ont toujours été faite sous le sceau du secret. Elles manquaient de transparence», a relevé le professeur américain, notant que si les dirigeants de l’Eglise commençaient à mieux comprendre le problème, il restait à l’institution encore beaucoup de chemin à parcourir.
Aux États-Unis, il existe maintenant une charte pour la protection de l’enfance, a noté Gabriel Dy-Liacco. «Mais les changements ne sont pas pleinement mis en œuvre». Il a souligné que si les États-Unis avaient mis en place une formation et des audits obligatoires pour assurer aux enfants un environnement sûr, ce n’était pas le cas de l’Église dans de nombreuses régions du monde.
«Il faut admettre que la première étape de la réponse institutionnelle aux abus, celle de la reconnaissance et de la conscientisation, ne s’est pas encore concrétisée dans l’Église», a remarqué le professeur associé à la Divine Mercy University de Virginie. Pour étayer cela, Gabriel Dy-Liacco a pris l’exemple de Laudato si’, l’encyclique du pape François sur la protection de l’environnement, qui «est partout». «Si vous allez dans une paroisse isolée, dans la brousse ou dans les montagnes, vous y trouverez certainement quelque chose sur Laudato si’«, a-t-il souligné. «Dans la plupart des paroisses du monde, vous ne trouverez cependant pas le Motu proprio sur la protection des mineurs et des personnes vulnérables [promulgué le 29 mars 2019, ndlr.]».
Selon le psychothérapeute pour adultes, ce qui manque le plus dans la réponse de l’Eglise aux abus est «sa capacité à protéger». Il note que la plupart des abus se produisent lorsque trois facteurs se combinent: la présence d’une personne vulnérable, la présence d’un délinquant potentiel et l’absence d’une entité protectrice.
«On attendait de nous que nous soyons des protecteurs, et nous avons échoué. Au lieu de cela, qu’avons-nous fait?, interroge Gabriel Dy-Liacco. La dissimulation, le déni, le silence, le transfert. Nous n’avons pas bien protégé nos mineurs et nos personnes vulnérables».
Le professeur a souligné que, dans la plupart des pays qu’il a pu visiter, il existait une mentalité générale selon laquelle «les enfants doivent être entendus, mais pas écoutés». «Beaucoup de personnes ont cette idée que la voix d’un enfant, d’une personne vulnérable, n’est pas aussi importante que celle des autres.
Le membre fondateur de la Commission pontificale pour la protection des mineurs (PCPM) a également remarqué qu’il y a généralement davantage de ressources pour les délinquants que pour les victimes. Notamment dans les pays développés, où il existe de nombreux établissements psychiatriques destinés aux abuseurs, mais peu aux victimes.
Il a également souligné l’absence d’un ministère adéquat pour les victimes dans l’Église catholique, observant que la plupart des diocèses du monde ont des programmes pour la pastorale des jeunes, de la famille et de la vie, ou un ministère pour l’environnement.
Gabriel Dy-Liacco a retracé l’histoire des abus au sein de l’Eglise et décrit le profil de l’abuseur potentiel, tout en relevant que des recherches supplémentaires sont nécessaires dans ce domaine.
L’expert a relevé que la plupart des abuseurs avaient eux-mêmes subi une forme d’abus ou développé de mauvaises méthodes pour faire face aux traumatismes et au stress.
Il a trouvé également un facteur de risque dans la «solitude» du prêtre, notant que dans de nombreux pays, des ministres se retrouvent très isolés et laissés à eux-mêmes dans les paroisses. Ce n’est qu’il y a environ 20 ans, précise-t-il, que les prêtres diocésains ont commencé à avoir du temps pour la vie communautaire.
Gabriel Dy-Liacco a proposé un modèle de prévention et d’intervention à trois niveaux, basé sur la formation: au niveau personnel pour les agents pastoraux, au niveau de la communauté ecclésiale et au niveau institutionnel, à travers les politiques, les structures et les mentalités.
«Nous sommes tenus à faire beaucoup mieux que jusqu’à présent, afin de réaliser notre rôle de protecteurs; des protecteurs disponibles pour les personnes vulnérables, qui apprennent à gérer correctement les délinquants sexuels, en particulier les récidivistes», a conclu le psychothérapeute. «Ce qui est en jeu, ici, c’est le salut des âmes, celles des victimes autant que celles des coupables». (cath.ch/crux/rz)
Tabous culturels
Une seconde visioconférence, également tenue le 30 juin 2020, a eu pour principal intervenant Mgr Charles Scicluna, secrétaire adjoint de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) et responsable du Vatican pour le traitement des affaires d’abus sexuels en milieu clérical.
L’évêque maltais a souligné la nécessité d’écouter réellement les victimes, de les traiter avec «dignité et respect». Il a noté que les tabous culturels, notamment en Afrique, peuvent empêcher les victimes de se manifester. Il a rappelé à cet effet que le document Vos Estis Lux Mundi, promulgué par le pape François en mai 2019, exigeait que chaque diocèse adopte des politiques de déclaration obligatoire des cas et mette en place un système qui facilite la divulgation des cas.
Pour Mgr Scicluna, les victimes ont également raison de se plaindre lorsqu’elles révèlent leur cas aux autorités, et qu’elles sont ensuite laissées dans l’ignorance de ce qui se passe.
Il a en outre noté la difficulté pour les survivants de se présenter aux autorités de l’Eglise, avec une dynamique du pouvoir qui peut les mettre mal à l’aise, soulignant l’importance d’une bonne communication entre les parties. RZ
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/laudato-si-plus-visible-dans-leglise-que-la-protection-des-mineurs/