Carole Pirker
On la découvre au bout d’un long chemin de croix, après avoir bifurqué à droite avant le village de Broc (FR). Nichée au pied de la Dent-de-Broc, sur la butte qui surplombe le paysage de la Gruyère, elle jouxte un majestueux tilleul, qui ressemble de loin à un gardien protecteur. «La chapelle Notre-Dame des Marches accueille chaque année près de 10 000 visiteurs et beaucoup d’hommes politiques de Suisse romande viennent s’y recueillir», glisse Sœur Anne-Françoise Camélique, l’une des trois sœurs en charge de ce haut-lieu de pèlerinage dédié à Marie.
Membre de la congrégation des sœurs de la Sainte-Croix d’Ingenbohl, qui a repris depuis 1987 la gestion des Marches, la religieuse y assure depuis 19 ans l’accueil des pèlerins, l’animation liturgique et l’accompagnement des groupes: «Certains souhaitent une messe, d’autres une demande de prière, mais il y a aussi des randonneurs qui s’arrêtent». Amoureux de la nature, ces pèlerins d’un nouveau genre viennent surtout y chercher l’énergie que dégage ce sanctuaire paisible. A la fenêtre de la cure où elle me reçoit, la Sœur pointe un petit sentier qui descend vers la Sarine: «En 45 minutes au bord de la rivière, on rejoint à pied Gruyères, en passant par le fameux Pont tremblant… une très jolie balade».
C’est surtout la guérison de la jeune Léonide Andrey, le 17 mai 1884, qui contribue au succès du lieu et à la ferveur envers la Vierge des Marches: «Cette jeune fille de Broc ne pouvait plus marcher et a été amenée ici sur un brancard avant d’en repartir à pied», raconte la Sœur. Par la suite, les pèlerinages et les guérisons se succèdent et on construit en 1886 le premier Abri des Marches, l’actuel restaurant du site, dont la terrasse, très appréciée des randonneurs, offre une vue splendide sur les Préalpes.
Le célèbre chant de l’abbé Bovet Nouthra Dona di Maortsè contribue aussi, dès 1933, à la renommée des Marches. Mais selon la religieuse, c’est en 1945, alors que la guerre empêche les pèlerins de rejoindre Lourdes, que le site s’affirme véritablement comme lieu de pèlerinage et lui vaudra son surnom de petit Lourdes fribourgeois: «C’est alors que s’est constitué le comité de l’œuvre des malades, qui aurait dû fêter cette année son 75ème pèlerinage, mais la pandémie en a voulu autrement…».
Depuis 1945, chaque 19 mai, le pèlerinage des malades attire entre 600 et 700 personnes: «L’accueil nécessite une organisation importante, avec le montage d’une cantine de 1’000 places et le recours à une centaine de bénévoles». Et pour accompagner les pèlerins, la religieuse peut toujours compter sur les jeunes des classes de la région.
Le second temps fort est le pèlerinage d’automne, le 14 septembre. Situé juste après la bénichon, il était jusqu’en 1920 un pèlerinage de pénitence contre les excès d’alcool… Depuis, il est devenu une tradition, tout comme l’accueil des pèlerins le Vendredi Saint ou le pèlerinage des gens du voyage, le premier week-end de mars. Or malgré la pandémie, qui a reporté à 2021 tous ces rendez-vous, Notre-Dame des Marches ne désemplit pas: «Nous avons accueilli énormément de monde durant le confinement, se réjouit la Sœur. Je crois que cette foi en Marie explique une telle fréquentation».
Sur la porte de la chapelle, l’écriteau mentionnant l’absence de messe pour cause de pandémie lui rappelle sa séance du matin: «On vient de renoncer aux messes, car on ne peut pas respecter la distance de 1 m 50, lâche-t-elle, dépitée. On pensait pouvoir recommencer avec les masques, mais l’évêché a dit non.»
A l’intérieur de l’édifice, trois femmes se recueillent et interpellent la religieuse sur le sujet. «Normalement, chuchote-elle en me rejoignant, on donne ici trois messes par semaine, et le dimanche, on sort des chaises pour que les gens puissent suivre la célébration à l’ombre du tilleul, car nous avons un dispositif audio qui la transmet sur l’esplanade». Ainsi, le dimanche, la petite chapelle, qui dispose d’un maximum de 120 places, peut accueillir jusqu’à 300 personnes.
Au-dessus de la sacristie, sur une plaque commémorative, apparaît le nom de Jean-Jacques Ruffieux. En 1705, lui et ses deux frères Nicolas et François ont bâti cette chapelle dédiée à Marie. Et la voici, justement, la Vierge des Marches, qui trône au-dessus du retable: «La couleur crème de sa parure est celle du temps ordinaire. Elle est rouge pour les temps de pèlerinage et bleue pour l’Avent et le Carême. Nous en avons aussi une blanche, brodée par les Sœurs de la Fille-Dieu, ajoute la Sœur, mais le coton des broderies était de trop mauvaise qualité pour être nettoyé. Il a fallu le remplacer et refaire toutes les broderies».
Coût de l’opération: 13’000 francs, offerts par une bienfaitrice prodigue. Car les pèlerins, nombreux, se montrent généreux. Le site ne vit pas des impôts ecclésiastiques, m’explique la religieuse, mais de leurs dons et des rentrées d’argent, qui proviennent surtout de la vente de lumignons. Contrairement à nombre d’églises qui ont vu leurs revenus baisser durant la pandémie, Notre-Dame des Marches se porte bien, m’assure-t-elle tout sourire.
Derrière nous, la lumière de l’après-midi irise deux vitraux d’Alexandre Cingria. On peut y lire les noms de Fatima, Lourdes, le Bourguillon, autant de lieux de pèlerinages suisses et internationaux. «Voyez, dit-elle en m’indiquant les panneaux à géométrie libre du maître verrier, c’est la première fois qu’il utilise comme support une plaque de verre transparente. Cela donne au vitrail beaucoup plus de lumière que la technique au plomb». Les couleurs y sont flamboyantes.
Soudain, le bruit métallique d’une serrure résonne dans l’espace. Ma guide a disparu. Elle revient de la sacristie, et de ses doigts fins, dépose délicatement sur l’autel un calice, un ciboire et un magnifique ostensoire décoré par six émaux bleus: «Ces pièces d’orfèvrerie sont dans le coffre-fort, murmure-t-elle, car elles sont sans prix». Captant mon regard sur l’ostensoire, elle me lance: «Il est beau, n’est-ce pas? Son style paraît contemporain, et pourtant, il date de 1946!». Nul doute, le rayonnement artistique du lieu éclaire aussi une part de son attrait.
Mais une part seulement, car les nombreux ex-voto disposés de part et d’autre de la porte de la chapelle témoignent aussi de la gratitude des pèlerins. Leurs demandes et leurs remerciements sont consignés ici dans des carnets d’intentions. Rédigés surtout en français, mais aussi en allemand, anglais et espagnol, ils expriment qui, le désir d’un enfant ou d’un conjoint, qui une guérison, la réussite professionnelle ou une aide face aux coups durs de la vie. «Hier soir, lorsque j’ai poussé la porte de la chapelle, un homme d’une trentaine d’années s’est retourné et m’a dit, les yeux tout embués: «Voyez ma sœur, je viens aujourd’hui remercier, car j’ai reçu une grâce.» (cath.ch/cp)
Pour découvrir Notre-Dame des Marches
Contact : Route des Marches 18, 1636 Broc, +41 26 921 17 19
Site et chapelle ouverts aux visiteurs, mais aucune messe ni célébrations n’ont lieu actuellement, en raison de la pandémie.
Liens internet : http://www.lesmarches.ch
Randonnées : https://www.schweizmobil.ch/fr/suisse-a-pied/itineraires/route-0285.html
Pour aller plus loin : Les Marches, le petit Lourdes fribourgeois, histoire d’un lieu sacré, François et Jacques Rime, édité par la Fondation du Rectorat Catholique de Notre-Dame des Marches, 2016 (rééd.), 143 p.
Carole Pirker
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https://www.cath.ch/newsf/notre-dame-des-marches-le-petit-lourdes-fribourgeois/