En Allemagne, dix religieuses ont réfléchi à la façon dont elles ont relevé et maîtrisé les défis engendrés par la pandémie, en l’absence de prêtres pour célébrer l’Eucharistie. Basées à Munich, Tutzing, Bernried et Nuremberg, elles ont développé leurs réflexions dans le cadre du groupe «Femmes religieuses pour la dignité humaine», constitué à l’automne 2018. Leurs expériences, écrit le site catholique autrichien Feinschwarz.net, sont très pertinentes pour la compréhension des sacrements, de l’Eucharistie, du ministère et de l’image du prêtre. Leur contribution amène une réflexion particulièrement riche sur la rencontre avec Dieu adapté à la vie quotidienne, au lieu d’une pratique purement rituelle.
«Nous avions tout prévu. Nous avions essayé de trouver un prêtre, parce que les règles de l’Eglise catholique sont ainsi faites. Mais ensuite, de manière tout à fait inattendue et dans un délai très court (…) l’annulation est arrivée et nous avons été confrontées à la situation de devoir faire face, ce dont nous pouvons aujourd’hui nous réjouir.»
C’est ainsi que l’une des religieuses du groupe «Femmes religieuses pour la dignité humaine» décrit les jours qui précèdent Pâques 2020. De nombreux croyants et de nombreuses communautés de sœurs partagent, dit-elle, ces expériences particulières vécues à Pâques, durant la crise liée au Covid-19, lorsque tous les services religieux publics ont été annulés et que, dans de nombreuses communautés de femmes, la célébration de l’Eucharistie avec un célébrant extérieur a été interdite.
Le fait, durant cette crise, de n’avoir pas le choix est justement ce qui a ouvert de réelles alternatives, expliquent les religieuses. S’il y a d’abord eu un vide, avec le manque de messes, elles ont rapidement réfléchi à la façon dont elles pouvaient fonctionner, et à ce qui était au centre de leur foi et de sa célébration, avec comme corollaire cette question, souvent limitative: qu’est-ce qui est autorisé?
«Cela montre l’extrême dépendance des femmes religieuses à l’égard d’un homme consacré.»
En tant que femmes religieuses, nous pouvons, exposent-elles, être responsables, organiser et mener toute notre vie nous-mêmes, surtout en matière spirituelle, mais nous ne pouvons pas célébrer l’Eucharistie. Une supérieure a droit à la direction spirituelle d’une communauté, mais pas à la présidence de la célébration eucharistique. Quelle image de la congrégation, du prêtre et de la femme se cache derrière tout cela? Cela montre le déséquilibre de l’Eglise catholique et l’extrême dépendance des femmes religieuses à l’égard d’un homme consacré.
Pour beaucoup d’entre elles, la chose était claire: elles n’allaient pas se contenter de s’asseoir devant la télévision ou une messe en streaming. Aussi utile et précieux que cela ait pu être pour certains croyants, la célébration consommée par les médias ne peut à leurs yeux remplacer la vraie célébration. Pour elles, cela a été et reste un coup de poignard douloureux dans le cœur de voir le célébrant communiquer, sans pouvoir participer elles-mêmes. Elles ont aussi constaté qu’il était impossible de célébrer l’Eucharistie avec la congrégation sans donner la communion.
Des questions centrales se posent alors pour la compréhension de l’Eucharistie: l’Eucharistie est-elle un repas commun ou un événement exclusif réservé au prêtre ordonné? Selon elles, le Concile Vatican II est très clair sur ce point: il s’agit de «tous ceux qui, par la foi et le baptême, sont devenus enfants de Dieu, se rassemblant et jouissant de la Cène». (SC 10) Elles se demandent alors si la forme correctement célébrée est plus importante que le contenu. Dans quelle mesure la communion est-elle sérieusement considérée comme un élément central de la célébration de l’Eucharistie? Les règles et règlements ne rendent-ils pas la compréhension des sacrements trop étroite? Tout ne peut-il pas «devenir un signe efficace de la présence de Dieu» (Leonardo Boff) lorsqu’il résonne en nous?
«Pourquoi ne serait-il pas possible que des personnes des deux sexes de la congrégation puissent célébrer l’Eucharistie?»
Pourquoi le sacrement valablement célébré doit-il encore dépendre de la décision, qui s’est développée dans l’histoire de l’Eglise, selon laquelle seul un homme vivant dans le célibat peut être ordonné prêtre? Afin de rendre concevable la célébration eucharistique dominicale avec une expérience communautaire pour chaque congrégation, pourquoi ne serait-il pas possible que des personnes des deux sexes de la congrégation soient affectées à cette fonction – naturellement avec une formation appropriée? Nos formes sacramentelles servent-elles vraiment la vie, ou la vie ne s’est-elle pas entre-temps subordonnée aux formes?
Mal à l’aise avec l’idée d’une célébration par procuration, lors de laquelle les prêtres ont annoncé qu’ils célébraient l’Eucharistie au nom de la congrégation absente, elles ont trouvé plus réconfortant qu’ils renoncent à la célébration, en solidarité avec tous les fidèles, car une congrégation ne peut pas célébrer l’Eucharistie sans un prêtre et vice-versa.
Elles témoignent qu’elles ont vécu au sein de leur communauté des célébrations qui ont fait voler en éclat toute étroitesse d’esprit face à la célébration eucharistique. Elles ont partagé le pain et le vin et de nombreuses expériences qu’elles relatent montre que Jésus -Christ a été vécu comme présent en elles. La présence de Jésus-Christ, affirment-elles, se manifeste dans la communion, dans sa Parole, et d’une manière particulière, dans le pain et le vin. Ce moment de «transformation», ce mystère ne peut être lié uniquement à un homme consacré. Une sœur a résumé l’expérience par ces mots: «Il ne m’a jamais été donné de voir autant de visages rayonnants, touchés et remplis par ces jours et par notre célébration. Pour moi, l’esprit du Ressuscité était très palpable et actif parmi nous».
«Il ne m’a jamais été donné de voir autant de visages rayonnants, touchés et remplis par ces jours et par notre célébration.»
Pour beaucoup de religieuses, le temps de contemplation, d’adoration silencieuse, de simple existence en présence de Dieu, le silence comme ou l’écoute et le partage de la Parole sont devenus nourrissants et ont représenté un réel soutien. Beaucoup aussi ont vécu la liturgie comme une structuration de la journée, à laquelle elles ont prêté une attention particulière.
Le manque de célébration de l’Eucharistie leur a permis de gagner en profondeur spirituelle et d’acquérir une très grande sensibilité pour des gestes d’attention interpersonnelle. Ainsi, les expériences vécues durant le confinement ont dissous l’accent étroit mis sur la célébration eucharistique et ont mis en évidence le lien organique entre la liturgie et la diaconie.
Enfin, dans le contexte de la réflexion liturgique, les sœurs chargées de la préparation des célébrations liturgiques ont commencé à reformuler les textes «afin qu’elles puissent elles-mêmes les prier honnêtement». En accomplissant la liturgie, il était très important qu’elles puissent elles-même prier et exprimer les prières. «Soudain, témoigne cette soeur, je n’étais plus dans le rôle de l’auditrice, qui ne peut participer qu’avec des réponses standardisées. Cette expérience très différente m’a fait beaucoup de bien.»
«Un travail de traduction des textes dans la réalité linguistique actuelle est absolument nécessaire»
La question centrale qui les a occupées a tourné autour de la façon d’encourager une véritable «participation pleine, consciente et active». Certaines oraisons sont formulées de telle manière que beaucoup d’entre nous peuvent difficilement supporter d’entendre ces textes, déclarent-elles. Comment peut-on pardonner à des personnes qui n’ont pas reçu, comme nous, des années d’initiation à la liturgie? Nous considérons donc qu’un «travail de traduction» des textes liturgiques dans la réalité linguistique actuelle est absolument nécessaire, car la «partie immuable par institution divine» de la liturgie ne peut pas se référer à la formulation des textes de prière.
C’est dans ce contexte qu’elles se sont demandé comment faciliter une rencontre avec Dieu adaptée à la vie quotidienne. La pratique religieuse antérieure, souvent institutionnalisée, sépare généralement le sacré du quotidien. Nous nous référons au mysticisme en tant que chemin d’expérience, argumentent-elles, mais où y a-t-il de la place dans notre Eglise et notre vie liturgique pour le silence et pour la rencontre personnelle et individuelle avec Dieu?
«Malgré les tensions, nous devons poser nos questions et chercher sérieusement des réponses vivables et convaincantes.»
Elles ont constaté que les questions posées par l’Eucharistie ont provoqué des tensions, voire des conflits au sein de leur communauté. La réconciliation était plus importante que jamais, expliquent-elles, car elles veulent continuer à vivre dans le respect de celles qui pensent et ressentent différemment. Mais nous devons, soulignent-elles, poser nos questions et chercher sérieusement des réponses vivables et convaincantes.
Pendant ce temps sans Eucharistie et malgré ces conflits, elles ont fait l’expérience de la communion comme un élément central de leur vie: en étant dépendantes les uns des autres, comme une source de sécurité et de soutien, comme un espace de réconciliation vécu et donné, et comme le lieu d’une grande diversité de charismes qui pourraient se déployer encore davantage. «Il n’y a pas de retour en arrière pour nous, suite aux expériences vécues durant ces semaines de confinement, écrivent-elles. Nous espérons que nos expériences contribueront à la recherche de nouvelles voies et à leur poursuite courageuse». (cath.ch/feinschwarz.net/cp)
Carole Pirker
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/elles-proposent-que-les-femmes-accedent-a-la-celebration-eucharistique/