Bernard Litzler
Il est, pour arriver à Bonmont, deux chemins. Celui du visiteur suivant les panneaux «Abbaye de Bonmont»: du parking extérieur, il va rejoindre à pied l’église abbatiale. L’autre chemin est celui du Golf de Bonmont: un portail chic, une allée d’arbres qui mène à un élégant country club, hôtel de charme et restaurant. Bonmont, deux chemins pour une réalité longtemps unique, aujourd’hui scindée.
Tout ici est reliques de l’abbaye du 12e siècle. Les deux mondes cohabitent: pour les passionnés de spirituel s’impose l’église abbatiale, pour les golfeurs, installés dans les bâtiments conventuels de jadis, le sport est roi. Du haut de sa tour carrée, l’abbatiale domine les lieux verdoyants.
A l’intérieur de l’église, Hélène Lasser, «intendante» et guide, fait l’accueil. Le bâtiment est épuré, les lignes claires. Pas de décor mural apparent, ni bancs, ni chaises dans la nef, volume sobre qui élève le regard. Des vitraux modernes, superbes grisés, ajoutent à la sensation de dépouillement.
Dans le chœur, des micros et une table de mixage, signes d’un enregistrement en cours: «Des disques sont souvent enregistrés ici. Et des concerts ont lieu régulièrement», indique la guide des lieux. Il suffit de chanter. Le son monte, se prolonge, comme suspendu aux voûtes séculaires. «L’écho dure sept secondes, c’est pourquoi l’église est si recherchée par les chorales à cause de l’acoustique. Mais pas de Mozart, il y a trop de notes… Il faut des chants méditatifs».
Charles Ansermet, jeune hydro-géologue, officie également comme guide. Un passionné qui prépare un ouvrage sur l’abbaye. Il est natif du village voisin de Chéserex, où son père a été syndic. «Bonmont a été l’une des plus riches abbayes de l’arc lémanique», note Charles pour situer les lieux.
Un rayonnement difficile à imaginer dans cette église austère. Blanchie à la chaux, elle reflète la simplicité chère à Bernard de Clairvaux, fondateur de l’ordre cistercien. «C’est la première abbaye cistercienne de Suisse, la 8e dans l’ordre de saint Bernard», ajoute Hélène. Les bénédictins de Bonmont adoptent la règle cistercienne en 1131: ils construisent en 60 ans une église conventuelle reflétant leur nouvel élan spirituel. «Et pourtant les moines n’étaient qu’une quinzaine au maximum, indique Charles Ansermet. Mais Bonmont a été une puissance agricole régionale, au Moyen Age. Elle faisait vivre et travailler des dizaines de familles mercenaires».
Témoins de cette richesse, les bâtiments conventuels, repris par le Golf de Bonmont. Car l’abbaye a vécu, de sa fondation au 12e siècle à l’invasion bernoise en 1536, un âge d’or de quatre siècles. Elevage, moulins, pisciculture, forge, vigne, fabrication de chaux, faïencerie, fonderie de cloches, scierie: une vraie industrie est née dans le sillage des moines, grâce à la situation idéale du monastère au pied du Jura, pourvoyeur en eau.
Pourtant, la réforme initiée par Bernard de Clairvaux insistait sur la pauvreté et le refus d’exploiter les serfs. Mais l’évolution économique du monastère a fait bouger les lignes: « On estime que, vers 1260, environ 200 hommes-liges travaillaient pour l’abbaye, confie Charles Ansermet. Bonmont était une vraie seigneurie ecclésiastique. Et l’abbé était souvent issu d’une famille noble de la région, un de Gingins ou de Divonne. Même Genève était dépendante de Bonmont: la chaux des fortifications de la ville et bien du vin livré au bout du lac venaient de l’abbaye, car il était meilleur que le vin local!».
Avec l’arrivée des Bernois, l’abbaye disparaît. L’église conventuelle devient tour à tour grenier et cave, boulangerie et fromagerie sous l’Ancien Régime bernois. A partir du 19e siècle, elle sert même de garage et de dépôt agricole.
La roue tourne au 20e siècle. Le canton de Vaud se lance entre 1980 et 1995 dans la restauration complète de l’édifice. L’église vient de lui être cédée par le propriétaire du domaine, Henry-Ferdinand Lavanchy, fondateur de l’entreprise Adecco. En 1979, il ne restait qu’un superbe bâtiment abandonné: façades recouvertes de lierre et encombrement total à l’intérieur.
Grâce à la restauration, l’«agglomération de Bonmont» reprend vie. Séparé de l’église, le domaine passe au golf en 1982. Les efforts des restaurateurs permettent de redonner une âme au vénérable édifice. Il a fallu enlever des éléments, obturer des ouvertures parasites, essayer de restituer les éléments d’origine.
Aujourd’hui, l’abbatiale vaudoise est utilisée pour des concerts (les Vibrations de Bonmont) et parfois pour certains offices religieux, mariages, culte et messe. Le dimanche du Jeûne fédéral, les paroisses de la région célèbrent un office œcuménique.
Les amoureux de Bonmont se souviennent qu’en 1998, pour les 900 ans de l’ordre fondé par saint Bernard, six communautés cisterciennes de Suisse romande, femmes et hommes, avaient chanté les vêpres sous l’antique voûte de l’abbatiale. Pourtant, pour Hélène Lasser, Bonmont n’est pas assez connue. «Ce site est unique, dit-elle. Et l’église a été construite par le même architecte que celui de la célèbre abbaye de Fontenay, en Bourgogne. «Car l’Europe était le terrain de jeu de l’ordre cistercien», renchérit Charles Ansermet. Enthousiastes, les amoureux de Bonmont perpétuent son esprit.
Visites
Tous les après-midis en juillet et en août, il est possible de visiter l’abbatiale.
Bernard Litzler
Portail catholique suisse
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